ces
yeux braqués sur un texto, qui ignorent le monde et toute la beauté
qui environne ce malheureux message !
(Alexandre
Jollien, Le philosophe nu,
Seuil, 2010)
Ce
qui m’a probablement le plus frappé lors de mon séjour en
Guadeloupe – le précédent remontant à sept ans auparavant, et, à l'époque, ce
n’était pas le cas –, c’est la connexion généralisée. Pas
un coin de rue, pas un trottoir, pas une place, pas un bord de mer,
pas une file d’attente dans les supermarchés, pas un caissier ou
une caissière en attente de client, pas un bistrot, pas un
restaurant même, où l’on ne pouvait observer chacun occupé par
sa petite machine qui remplissait sa main, au cas où, sans doute, un
message important lui aurait échappé dans l’instant ! Sur la
plage, à peine sortis de l’eau, tous se précipitaient sur leur
engin. Mêmes remarques que je faisais à Venise ces dernières
années. Bien sûr, c’est sans doute la même chose à Bordeaux,
mais je m’en aperçois moins, circulant principalement à vélo.
Cannelle, l'autre chat, qui choisit bien son endroit pour bénéficier d'ombre et de ... fraîcheur
À
ce titre, en tout cas, moi qui n’ai pas de smartphone, je me
sentais nu, même si j’avais l’avantage de regarder autour de
moi, de voir les affiches, les sculptures, les arbres, les fleurs et les animaux,
les maisons et les églises, la circulation, le volcan, la mer, la
vie, quoi, qui se déroulaient sous mes yeux ébahis de voir les
êtres humains obnubilés par leurs étranges petites machines qu’ils
ou elles manipulaient, je dois dire, avec infiniment de dextérité.
Mais je ne les enviais pas ; j’aurais aimé leur parler un peu
plus. Heureusement, j’ai pris plusieurs fois les bus. J’ai
toujours su que le collectif est un bon moyen d’entrer en contact
avec les autres. Et là, je n’ai pas été déçu, tant aux arrêts
de bus qu’à l’intérieur, où j’ai pu un peu discuter.
encore un anoli qui choisit la proximité de ma douche
Bien
sûr, mes amis possèdent ce genre d’appareil, ce qui leur fait un
budget d’abonnement électronique important (Car inutile de dire que c'est plus cher qu'en France !). Ils en ont les moyens,
mais je me posais la question, sachant que la majorité de la
population rame un peu sur le plan financier, même si la manne
touristique commence à apporter quelque revenu complémentaire. Mais mes amis n’en abusent pas, il est vrai qu’ils sont de mon âge. Et, heureusement, j'ai pu discuter longuement avec eux, ainsi qu'avec leur fils et leur belle-fille et leurs cousins de Corrèze, et leurs amis Solange et Alfredo. On a beaucoup discuté politique (le voleur Fillon en a pris pour son grade !), religion (c'est la grande affaire ici, où de multiples religions sont présentes, les évangéliques ou les adventistes du septième jour semblant avoir supplanté les catholiques d'antan), agriculture et environnement...
les ruines de la tour du père Labat à Baillif, au bord de la mer
Évidemment,
on se sent plus nu en Guadeloupe qu’en métropole. Avec un climat
aux températures dépassant généralement 27° quasiment tous les
jours (et plus de 30 ou 35 au soleil) on se vêt très légèrement :
un t-shirt, un short ou bermuda, des nu-pieds suffisent à nous
couvrir. Il est très rare d’avoir à enfiler une veste.
Je
l’ai fait toutefois pour aller au Festival de cinéma Terrafestival,
qui en était à sa quatorzième édition. J’avais peur que la
salle soit trop climatisée. Heureusement non. Nous y sommes allés
avec Frédéric et Mathilde, puisqu’il s’agit d’un festival de
films documentaires sur l’environnement et qu'en tant qu'agriculteurs, ils sont concernés. Dans la très belle salle
communale de Gourbeyre (à 22 km de Saint-Robert, le lieu-dit de
Baillf où habitent mes amis, mais avec une route qui tourne
énormément, toute en descentes et en montées, compter plutôt 40 mn de route), nous avons assisté
à deux soirées.
Josélie, héroïne de À
la racine
La
première était consacrée à trois courts et moyens métrages :
Ma santé mon environnement, un très court métrage
d’animation produit par l’IREPS (Instance Régionale d’Éducation
et de Promotion de la Santé), qui soulignait de manière ludique les
diverses causes de l’apparition d’une maladie chez un individu
(alimentation, mode de vie, stress, pollution, etc.). À
la racine (documentaire de la Guadeloupéenne Katia
Café-Fébrissy, présente à la soirée) racontait la manière dont Josélie,
héritant de son père d’une terre contaminée par la chlordécone,
décide de la faire revivre. Film sympathique mais qui nous a
laissés sur des sentiments mitigés. Pesticides, le poison de la
terre, de Aude Rouaux, raconte le drame des vignobles charentais
et girondins où les habitants du cru sont directement touchés par
l’exposition aux pesticides, y compris les enfants des écoles. Le
sujet semble rester un tabou dans le monde agricole. J’ai signé
cette année une pétition pour interdire l’usage de ces pesticides
à proximité des écoles. Mais le film, terrifiant, montre qu’il
faudrait en interdire totalement l’usage ! Et qui, en tout cas, vous dégoûte de boire du vin !
Trois
jours après, nous sommes allés, cette fois en emmenant avec nous
Michelle et Yvon, voir le film de long métrage de Marie-Monique
Robin, Qu’est-ce qu’on attend ? (passé à l’Utopia
en fin d’année dernière et raté), qui nous démontre qu’on
peut changer les choses, pour peu que la politique s’en mêle. La
petite ville d’Ungersheim, en Alsace, est ainsi devenu la première
ville engagée dans la démarche de la transition vers
l’après-pétrole, sous l’impulsion d’un maire intelligent
(oui, ça existe), écolo, végétarien, qui a lancé un vaste
programme de démocratie participative, créé la plus grande
centrale photovoltaïque d’Alsace, un grand jardin collectif bio, un
écomusée, construit un quartier de maisons passives, etc... Cent
emplois ont été créés, les frais de fonctionnement de la ville
ont été réduits et le bilan carbone notablement amélioré.
la statue de Gerty Archimède, à Basse-Terre : première femme députée noire !
Ce
film formidable m’a donné très envie d’aller voir ce gros
village lors de mon prochain passage en Alsace ! Je me suis
dit : « Quand même, on peut faire quelque chose, nom de
Dieu ! » Je me suis soudain senti un peu moins nu !
Un peu moins nul aussi ! Et j’ai repensé aux paroles
d’Alexandre Jollien, ce philosophe handicapé qui doit se battre
pour survivre : "De
même que je suis déjà nu sous mes vêtements, de même la joie est
là, dissimulée sous l’épaisse brume des passions tristes, des
désirs artificiels et des peurs."
À
suivre...
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