vendredi 14 avril 2017

14 avril 2017 : Guadeloupe 2017 : choses nues


ces yeux braqués sur un texto, qui ignorent le monde et toute la beauté qui environne ce malheureux message !
(Alexandre Jollien, Le philosophe nu, Seuil, 2010)


Ce qui m’a probablement le plus frappé lors de mon séjour en Guadeloupe – le précédent remontant à sept ans auparavant, et, à l'époque, ce n’était pas le cas –, c’est la connexion généralisée. Pas un coin de rue, pas un trottoir, pas une place, pas un bord de mer, pas une file d’attente dans les supermarchés, pas un caissier ou une caissière en attente de client, pas un bistrot, pas un restaurant même, où l’on ne pouvait observer chacun occupé par sa petite machine qui remplissait sa main, au cas où, sans doute, un message important lui aurait échappé dans l’instant ! Sur la plage, à peine sortis de l’eau, tous se précipitaient sur leur engin. Mêmes remarques que je faisais à Venise ces dernières années. Bien sûr, c’est sans doute la même chose à Bordeaux, mais je m’en aperçois moins, circulant principalement à vélo.

Cannelle, l'autre chat, qui choisit bien son endroit pour bénéficier d'ombre et de ... fraîcheur

À ce titre, en tout cas, moi qui n’ai pas de smartphone, je me sentais nu, même si j’avais l’avantage de regarder autour de moi, de voir les affiches, les sculptures, les arbres, les fleurs et les animaux, les maisons et les églises, la circulation, le volcan, la mer, la vie, quoi, qui se déroulaient sous mes yeux ébahis de voir les êtres humains obnubilés par leurs étranges petites machines qu’ils ou elles manipulaient, je dois dire, avec infiniment de dextérité. Mais je ne les enviais pas ; j’aurais aimé leur parler un peu plus. Heureusement, j’ai pris plusieurs fois les bus. J’ai toujours su que le collectif est un bon moyen d’entrer en contact avec les autres. Et là, je n’ai pas été déçu, tant aux arrêts de bus qu’à l’intérieur, où j’ai pu un peu discuter. 

encore un anoli qui choisit la proximité de ma douche 
 
Bien sûr, mes amis possèdent ce genre d’appareil, ce qui leur fait un budget d’abonnement électronique important (Car inutile de dire que c'est plus cher qu'en France !). Ils en ont les moyens, mais je me posais la question, sachant que la majorité de la population rame un peu sur le plan financier, même si la manne touristique commence à apporter quelque revenu complémentaire. Mais mes amis n’en abusent pas, il est vrai qu’ils sont de mon âge. Et, heureusement, j'ai pu discuter longuement avec eux, ainsi qu'avec leur fils et leur belle-fille et leurs cousins de Corrèze, et leurs amis Solange et Alfredo. On a beaucoup discuté politique (le voleur Fillon en a pris pour son grade !), religion (c'est la grande affaire ici, où de multiples religions sont présentes, les évangéliques ou les adventistes du septième jour semblant avoir supplanté les catholiques d'antan), agriculture et environnement...

les ruines de la tour du père Labat à Baillif, au bord de la mer
 
Évidemment, on se sent plus nu en Guadeloupe qu’en métropole. Avec un climat aux températures dépassant généralement 27° quasiment tous les jours (et plus de 30 ou 35 au soleil) on se vêt très légèrement : un t-shirt, un short ou bermuda, des nu-pieds suffisent à nous couvrir. Il est très rare d’avoir à enfiler une veste.

  
Je l’ai fait toutefois pour aller au Festival de cinéma Terrafestival, qui en était à sa quatorzième édition. J’avais peur que la salle soit trop climatisée. Heureusement non. Nous y sommes allés avec Frédéric et Mathilde, puisqu’il s’agit d’un festival de films documentaires sur l’environnement et qu'en tant qu'agriculteurs, ils sont concernés. Dans la très belle salle communale de Gourbeyre (à 22 km de Saint-Robert, le lieu-dit de Baillf où habitent mes amis, mais avec une route qui tourne énormément, toute en descentes et en montées, compter plutôt 40 mn de route), nous avons assisté à deux soirées.

Josélie, héroïne de À la racine

La première était consacrée à trois courts et moyens métrages : Ma santé mon environnement, un très court métrage d’animation produit par l’IREPS (Instance Régionale d’Éducation et de Promotion de la Santé), qui soulignait de manière ludique les diverses causes de l’apparition d’une maladie chez un individu (alimentation, mode de vie, stress, pollution, etc.). À la racine (documentaire de la Guadeloupéenne Katia Café-Fébrissy, présente à la soirée) racontait la manière dont Josélie, héritant de son père d’une terre contaminée par la chlordécone, décide de la faire revivre. Film sympathique mais qui nous a laissés sur des sentiments mitigés. Pesticides, le poison de la terre, de Aude Rouaux, raconte le drame des vignobles charentais et girondins où les habitants du cru sont directement touchés par l’exposition aux pesticides, y compris les enfants des écoles. Le sujet semble rester un tabou dans le monde agricole. J’ai signé cette année une pétition pour interdire l’usage de ces pesticides à proximité des écoles. Mais le film, terrifiant, montre qu’il faudrait en interdire totalement l’usage ! Et qui, en tout cas, vous dégoûte de boire du vin !


Trois jours après, nous sommes allés, cette fois en emmenant avec nous Michelle et Yvon, voir le film de long métrage de Marie-Monique Robin, Qu’est-ce qu’on attend ? (passé à l’Utopia en fin d’année dernière et raté), qui nous démontre qu’on peut changer les choses, pour peu que la politique s’en mêle. La petite ville d’Ungersheim, en Alsace, est ainsi devenu la première ville engagée dans la démarche de la transition vers l’après-pétrole, sous l’impulsion d’un maire intelligent (oui, ça existe), écolo, végétarien, qui a lancé un vaste programme de démocratie participative, créé la plus grande centrale photovoltaïque d’Alsace, un grand jardin collectif bio, un écomusée, construit un quartier de maisons passives, etc... Cent emplois ont été créés, les frais de fonctionnement de la ville ont été réduits et le bilan carbone notablement amélioré.

la statue de Gerty Archimède, à Basse-Terre : première femme députée noire !

Ce film formidable m’a donné très envie d’aller voir ce gros village lors de mon prochain passage en Alsace ! Je me suis dit : « Quand même, on peut faire quelque chose, nom de Dieu ! » Je me suis soudain senti un peu moins nu ! Un peu moins nul aussi ! Et j’ai repensé aux paroles d’Alexandre Jollien, ce philosophe handicapé qui doit se battre pour survivre : "De même que je suis déjà nu sous mes vêtements, de même la joie est là, dissimulée sous l’épaisse brume des passions tristes, des désirs artificiels et des peurs."
À suivre...

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