samedi 15 avril 2017

15 avril 2017 : Guadeloupe 2017 : choses lues


« La nature est le plus grand et le plus merveilleux des temples du Seigneur, surtout par temps sec », assura-t-elle.
(Arto Paasilinna, Le cantique de l’apocalypse joyeuse, trad. Anne Colin du Terrail, Denoël, 2008)

fruits de Guadeloupe : mangues, bananes-figues, goyaves

Il n’est pour moi pas de vacances sans lectures ; on me dira que je lis tout le temps. Certes, mais la période de vacance (au singulier) est une période particulière, où souvent je suis déconnecté de toute la machinerie moderne encombrante, énervante et décérébrante (téléphone, télévision, internet, radio), et où, de ce fait, je suis extrêmement concentré et apte à lire des livres ardus, en tout cas de ceux qui nécessitent, justement, de la concentration. C’est pour cela que j’emporte en vacances ma liseuse, avec tous les grands classiques de l’humanité enregistrés, et quelques livres-papier triés sur le volet. Par ailleurs, je sais que souvent je suis hébergé chez des amis où je trouverai des livres auxquels je n’ai pas pensés.


J’avais emporté : Cent poèmes de Aimé Césaire (Omnibus, 2009), une anthologie composée par Daniel Maximin, que j’avais eu le plaisir d’accueillir et de présenter à La Bibliothèque départementale lors de mon séjour, sans doute en 1982 ou 83, Le Chasseur d’ombres et autres psaumes, poèmes de Marcelle Delpastre, La chambre des morts de Franck Thilliez, un polar que j’avais acheté il y a quelques années et jamais lu, Les poissons ne ferment pas les yeux, émouvant roman de l’Italien Erri De Luca, un auteur qui ne m’a jamais déçu et un volume de Pléiade de Virginia Woolf, contenant les deux romans (Orlando et Les vagues) que je n’avais pas encore lus de cet écrivain, un de mes préférés aujourd’hui... Bien sûr, j’ai tout lu, j’ai donné à Frédéric et Mathilde le volume de Césaire (Yvon et Michelle le possédaient déjà) et à Yvon et Michelle les livres de Thilliez et De Luca, ce qui a allégé ma valise pour pouvoir rapporter du rhum !


Inutile de dire que Césaire est un des plus grands poètes de langue française du XXème siècle, que sa lecture reste difficile (il est issu du surréalisme), mais fertile, surtout pour un apprenti poète comme moi. J’ai enfin achevé le magnifique recueil de Marcelle Delpastre (commencé sur le cargo en 2015), pas difficile à lire, mais qui nécessite, comme toute bonne poésie, de ne pas être dérangé dans le fil de la lecture. Le polar de Thilliez est particulièrement saignant, si j’ose dire. Le court roman d’Erri De Luca raconte le premier amour d’un enfant de dix ans dans l’Italie des années 50 : c’est frais, c’est subtil, ça sonne juste, surtout pour moi qui ai connu mon premier amour à cet âge-là. Quant aux deux romans de Virginia Woolf, qui sont deux romans expérimentaux de la carrière la plus fructueuse de l’auteur, ils m’ont sidéré : la manière dont elle joue avec l’espace et le temps dans les deux romans, avec l’identité et le genre dans Orlando, sont la marque géniale d’une femme au plus haut de sa capacité : chapeau !


Bien sûr, j’ai aussi trouvé des livres sur place : d’abord, chez Frédéric, la biographie Aimé Césaire, le nègre universel, de David Alliot, ouvrage paru en Suisse en 2008, comme une sorte de tombeau du poète, mort cette année-là. C’est un très beau livre, qui se lit presque d’une traite, et qui montre un homme d’une grande valeur. Puis chez Yvon, j'ai déniché deux livres de Pagnol, que je n’avais jamais lus : Les marchands de gloire, sa première pièce de théâtre, qui fustige les profiteurs de guerre (14-18) et de l’après-guerre, et Jofroi, le texte de son film écrit d’après une nouvelle de Giono. C’était tout à fait rafraîchissant ! J’ai trouvé aussi un roman du Finlandais Arto Paasilinna, Le cantique de l’apocalypse joyeuse, qui dresse le portrait d’une utopie finlandaise après le déclenchement d’une nouvelle guerre mondiale ; encore une lecture roborative, quoiqu'un brin inquiétante ! Et puis, le livre de Pierre Michon, que je voulais lire depuis des années, son fameuses Vies minuscules, où il célèbre les petites gens de la campagne : je me suis régalé.


Sur ma liseuse, j’ai lu un roman philippin de la fin du 19ème siècle : Au pays des moines (titre original Noli me tangere = Ne me touche pas) de José Rizal, une dénonciation de l’emprise des moines et notamment des Jésuites (mais pas que) sur l’archipel philippin dans les années 1860-1880. Un roman réaliste d’une belle venue, de la part d’un auteur qui finira fusillé par les autorités locales à 35 ans ! J’ai lu aussi le reportage saisissant d’Albert Londres sur la Guyane française des années 20 et le bagne : Adieu, Cayenne raconte l’évasion sensationnelle au Brésil d’un des innocents condamnés au bagne, le fameux Eugène Dieudonné, anarchiste français : là aussi, un régal. Vraiment, Albert Londres avait le sens de la formule et du récit, et la plupart des journalistes actuels écrivant peuvent aller se rhabiller ! Enfin, toujours sur ma liseuse, j’ai lu Attila, du Québécois Napoléon Legendre, un roman patriotique et rural qui fait fait penser aux romans d’Erckmann-Chatrian : il y a de plus mauvais modèles, et j’y ai pris un grand plaisir !


On me dira qu’il y a bien d’autres choses choses à faire en vacances que de lire. Sans doute. Mais d’abord, partout où je vais, j’emporte de la lecture, car je suis avant tout un lecteur, et un amateur de littérature. Ensuite, cela ne m’empêche pas de me promener, de converser avec les gens, d’observer les plantes, les animaux, les collines et les montagnes, le ciel et la mer, et aussi de me livrer de temps à autre à l’oisiveté la plus totale. Car c’est dans l’oisiveté que se nichent le rêve, l’inspiration, l’imagination et en fin de compte peut-être bien la joie la plus pure, celle qui naît de rien ou presque, le vent qui passe, l’oiseau qui chante, le lézard qui vient nous rendre visite, la fleur qu’on n’avait pas encore vue, la forme d'un nuage, une pluie tropicale soudaine... Tant d’instants de bonheur à savourer, tant que je le peux encore !

le sucrier, un oiseau de là-bas

Au prochain voyage...

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