« La
nature est le plus grand et le plus merveilleux des temples du
Seigneur, surtout par temps sec », assura-t-elle.
(Arto
Paasilinna, Le cantique de l’apocalypse joyeuse,
trad. Anne Colin du Terrail, Denoël, 2008)
fruits de Guadeloupe : mangues, bananes-figues, goyaves
Il
n’est pour moi pas de vacances sans lectures ; on me dira que
je lis tout le temps. Certes, mais la période de vacance (au
singulier) est une période particulière, où souvent je suis
déconnecté de toute la machinerie moderne encombrante, énervante et décérébrante (téléphone,
télévision, internet, radio), et où, de ce fait, je suis
extrêmement concentré et apte à lire des livres ardus, en tout cas
de ceux qui nécessitent, justement, de la concentration. C’est pour
cela que j’emporte en vacances ma liseuse, avec tous les grands
classiques de l’humanité enregistrés, et quelques livres-papier
triés sur le volet. Par ailleurs, je sais que souvent je suis
hébergé chez des amis où je trouverai des livres auxquels je n’ai
pas pensés.
J’avais
emporté : Cent
poèmes
de Aimé Césaire (Omnibus, 2009), une anthologie composée par
Daniel Maximin, que j’avais eu le plaisir d’accueillir et de
présenter à La Bibliothèque départementale lors de mon séjour,
sans doute en 1982 ou 83, Le
Chasseur d’ombres et autres psaumes,
poèmes
de
Marcelle Delpastre, La
chambre des morts
de Franck Thilliez, un polar que j’avais acheté il y a quelques
années et jamais lu, Les
poissons ne ferment pas les yeux,
émouvant
roman de
l’Italien Erri De Luca, un auteur qui ne m’a jamais déçu et un
volume de Pléiade de Virginia Woolf, contenant les deux romans
(Orlando
et Les vagues)
que je n’avais pas encore lus de cet écrivain, un de mes préférés
aujourd’hui... Bien sûr, j’ai tout lu, j’ai donné à Frédéric
et Mathilde le volume de Césaire (Yvon et Michelle le possédaient
déjà) et à Yvon et Michelle les livres de Thilliez et De Luca, ce
qui a allégé ma valise pour pouvoir rapporter du rhum !
Inutile
de dire que Césaire est un des plus grands poètes de langue
française du XXème siècle, que sa lecture reste difficile (il est issu du surréalisme), mais
fertile, surtout pour un apprenti poète comme moi. J’ai
enfin achevé le magnifique recueil de Marcelle Delpastre (commencé sur le cargo en 2015), pas
difficile à lire, mais qui nécessite, comme toute bonne poésie, de ne pas être dérangé dans
le fil de la lecture. Le polar de Thilliez est particulièrement
saignant, si j’ose dire. Le court roman d’Erri De Luca raconte le
premier amour d’un enfant de dix ans dans l’Italie des années
50 : c’est frais, c’est subtil, ça sonne juste, surtout pour moi qui ai connu mon premier amour à cet âge-là. Quant aux
deux romans de Virginia Woolf, qui sont deux romans expérimentaux de
la carrière la plus fructueuse de l’auteur, ils m’ont sidéré :
la manière dont elle joue avec l’espace et le temps dans les deux
romans, avec l’identité et le genre dans Orlando,
sont la marque géniale d’une femme au plus haut de sa capacité :
chapeau !
Bien
sûr, j’ai aussi trouvé des livres sur place : d’abord,
chez Frédéric, la biographie Aimé
Césaire, le nègre universel,
de David Alliot, ouvrage paru en Suisse en 2008, comme une sorte de
tombeau du poète, mort cette année-là. C’est un très beau
livre, qui se lit presque d’une traite, et qui montre un homme
d’une grande valeur. Puis chez Yvon, j'ai déniché deux livres de Pagnol, que je
n’avais jamais lus : Les
marchands de gloire,
sa première pièce de théâtre, qui fustige les profiteurs de
guerre (14-18)
et de l’après-guerre, et Jofroi,
le texte de son film écrit d’après une nouvelle de Giono. C’était
tout à fait rafraîchissant ! J’ai trouvé aussi un roman du
Finlandais Arto Paasilinna, Le
cantique de l’apocalypse joyeuse,
qui dresse le portrait d’une utopie finlandaise après le
déclenchement d’une nouvelle guerre mondiale ; encore une
lecture roborative, quoiqu'un brin inquiétante ! Et puis, le livre de Pierre Michon, que je
voulais lire depuis des années, son fameuses Vies
minuscules,
où il célèbre les petites gens de la campagne : je me suis
régalé.
Sur
ma liseuse, j’ai lu un roman philippin de la fin du 19ème
siècle : Au
pays des moines
(titre original Noli
me tangere
= Ne me touche pas) de José Rizal, une dénonciation de l’emprise
des moines et notamment des Jésuites (mais pas que) sur l’archipel
philippin dans les années 1860-1880. Un roman réaliste d’une
belle venue, de la part d’un auteur qui finira fusillé par les
autorités locales à 35 ans ! J’ai
lu aussi le reportage saisissant d’Albert Londres sur la Guyane
française des années 20 et le bagne : Adieu,
Cayenne
raconte l’évasion sensationnelle au Brésil d’un des innocents
condamnés au bagne, le fameux Eugène Dieudonné, anarchiste
français : là aussi, un régal. Vraiment, Albert Londres avait
le sens de la formule et du récit, et la plupart des journalistes
actuels écrivant peuvent aller se rhabiller ! Enfin, toujours sur ma liseuse,
j’ai lu Attila,
du Québécois Napoléon Legendre, un roman patriotique et rural qui
fait fait penser aux romans d’Erckmann-Chatrian : il y a de
plus mauvais modèles, et j’y ai pris un grand plaisir !
On
me dira qu’il y a bien d’autres choses choses à faire en
vacances que de lire. Sans doute. Mais d’abord, partout où je
vais, j’emporte de la lecture, car je suis avant tout un lecteur,
et un amateur de littérature. Ensuite, cela ne m’empêche pas de
me promener, de converser avec les gens, d’observer les plantes,
les animaux, les collines et les montagnes, le ciel et la mer, et
aussi de me livrer de
temps à autre
à l’oisiveté la plus totale. Car c’est dans l’oisiveté que
se nichent le rêve, l’inspiration, l’imagination et en fin de
compte peut-être bien la joie la
plus pure, celle qui naît de rien ou presque, le vent qui passe,
l’oiseau qui chante, le lézard qui vient nous rendre visite, la
fleur qu’on n’avait pas encore vue, la forme d'un nuage, une pluie tropicale
soudaine... Tant d’instants de bonheur à savourer, tant que je le
peux encore !
le sucrier, un oiseau de là-bas
Au prochain voyage...
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