Je me suis senti soulagé de t’avoir appelée, et plus soulagé encore que tu n’aies pas décroché. Le téléphone est ce que nous avons trouvé de mieux pour ne pas nous parler.
(Éric Fottorino, Dix-sept ans, Gallimard, 2018)
Je suis allé à la messe dimanche dernier à l’église de la Trinité, à 300 mètres de chez moi, première fois que j'y allais, sur la suggestion d'Huguette, man amie en EHPAD. Je dois constater une fois de plus que nous avons perdu l’essence de la spiritualité, c’est-à-dire le silence. J’en tiens pour coupables tous ces appareils électriques ou technologiques (radio, télévision, téléphone et surtout smartphone), qui sont allumés en permanence, comme s’ils nous étaient essentiels. Résultat, même avant la messe, au lieu de se recueillir pour partir à la rencontre de Dieu – si tant est que ce soit un objectif à atteindre dans ce type de cérémonie – dans les dix minutes qui précèdent, ça papotait dans tous les coins, et quand ça ne papotait pas, c’est qu’on avait les yeux rivés sur son smartphone (des ados par exemple, mais pas qu'eux). Nous étions quelques-uns seulement à être en silence. Qu’après, pendant le culte qui suit, on chante des cantiques, des psaumes, des litanies, je comprends : on est venu pour ça, pour célébrer Dieu. Qu’à la sortie de l’église, on se parle entre habitués, on accueille les nouveaux venus (personne n'est venu me parler !), je conçois aussi. Mais avant ? On doit se concentrer, on peut se saluer discrètement, mais on entre dans le sacré.
C’est la même chose pour les sportifs : avant une course, une épreuve, on doit se concentrer. Même chose quand on va au cinéma, au théâtre, à l’opéra, à un concert : je m’assois à ma place, je ferme les yeux pour que mon esprit soit prêt à accueillir le don que me font les artistes (metteurs en scène, acteurs, chanteurs, artistes en tous genres). Idem, peut-on imaginer de lire dans le brouhaha ?
On dirait que la majorité de nos contemporains ont peur du silence. Cette vertu si précieuse : elle n’empêche pas qu’à d’autres moments, on ait envie de chanter, de danser, de s’amuser, voire de faire du bruit. Mais sans silence, pas d’écoute, pas d'approche de l'art, de la littérature, de la spiritualité. C’est peut-être pour ça que dans le monde actuel, on ne sait plus débattre, car pour débattre, il faut écouter l’autre, les autres. On ne sait plus s’aimer non plus, car pour s’aimer, il faut savoir se taire, il faut des moments de calme, de mystère, il faut du secret et du sacré.
Puisque ma grande passion, avec la littérature, c’est le cinéma, j’ai besoin de me mettre dans la même situation pour me lancer dans un film que pour un livre. Pour ce dernier, je le prends en main, je le hume (je me souviens que mon frère Bernard, ado, en faisait autant), je regarde la typographie, le nom de l’auteur, le titre, éventuellement la table des matières ou les illustrations, je m’isole, car c’est impossible de lire dans le bruit. Au cinéma, j’entre furtivement pour ne pas déranger les autres, je m’assois, je respire un grand coup, je ferme les yeux et j’attends que ça commence : "le film commence enfin. J’adore quand les lumières s’éteignent, quand l’écran s’allume. Pour moi, cela a toujours quelque chose de magique. J’ai toujours la chair de poule avant que le générique ne démarre", nous dit le héros du roman de. Rémi Giordano, Les premiers plans (T. Magnier, 2021). Oui, c’est magique, mais on sait qu’il y a une part de sacré dans la magie. Le poète Henri Droguet, lui, dit : "j’ignore / où je vais mais cela / au moins je le sais / et c’est la seule chose / au vrai que je sache encore" dans ses Palimpsestes et rigodons (Potentille, 2016).
C’est pareil avec les promenades à pied ou à vélo en solo : le silence permet l’écoute de la nature (vent, oiseaux, insectes, bruissement du feuillage…), d'entendre sa propre respiration, d’observer le ciel, les rochers, les arbres, les buissons, les fleurs, les rivières, de humer les senteurs diverses, de sentir la texture du sol (l’idéal serait de marcher pieds nus), de faire corps avec le monde alentour, à la découverte de son moi grâce à "ce silence en moi, ce silence enfin qui me délivre de tout" (Albert Camus, Journaux de voyage, Gallimard, 1978).
Admettons qu’on fasse du jogging en ville avec les écouteurs de son smartphone aux oreilles, à cause de l’excès de bruit citadin... Mais sur la plage ? En forêt ? En montagne ? Le long d’un canal ? Sur des sentiers ? Est-ce la peur du vide ou du silence assimilé à du vide ? Est-ce la peur de se retrouver face à soi-même ? Ont-ils lu Pascal (Pensées): "Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie" ou Baudelaire (Le gouffre) : "Le silence, l'espace affreux et captivant..." ? J’en doute fort.
Non, la société moderne est une société du divertissement, et le silence est son ennemi ! Je vois même des écrivains qui publient dans leurs livres (après la page de titre ou à la fin) la liste des disques qu’ils ont écoutés pendant leur écriture. Que n’ont-ils lu Jean-Christophe de Romain Rolland : "Tout ce qui vibre, et s’agite, et palpite, les jours d’été ensoleillés, les nuits où le vent siffle, la lumière qui coule, le scintillement des astres, les orages, les chants d’oiseaux, les bourdonnements d’insectes, les frémissements des arbres, les voix aimées ou détestées, les bruits familiers du foyer, de la porte qui grince, du sang qui gonfle les artères dans le silence de la nuit, – tout ce qui est, est musique : il ne s’agit que de l’entendre".
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