dimanche 8 décembre 2013

8 décembre 2013 : Mandela nous parle encore


Ce n'est pourtant pas son fort, à l'humanité, la paix. Encore heureux que la Lune se soit révélée inhabitable, sinon ses occupants, une fois passées les courtoises salutations avec les visiteurs en scaphandres, auraient vite déchanté. D'autres Terriens auraient rappliqué pour leur apprendre, à leurs dépens, l'art de la guerre, du crime et du pillage.
(Sylvie Germain, Chanson des mal aimants, Gallimard, 2002)


En hommage à Mandela, une des rares personnalités politiques contemporaines que j'ai pu admirer, je voudrais reproduire ce discours sur la Palestine qu'il adressait à Thomas Friedman, journaliste américain (New York Times) :


Cher Thomas,


Je sais que vous et moi, nous aspirons à la paix au Moyen-Orient, mais avant que vous continuiez à parler des conditions nécessaires d’un point de vue israélien, vous devez savoir ce qui est dans mon esprit.
Par où commencer ? Disons 1964. Laissez-moi citer mes propres paroles lors de mon procès. Elles sont vraies aujourd’hui, autant qu’elles l’étaient alors : J’ai combattu contre la domination blanche et j’ai combattu contre la domination noire. J’ai chéri l’idéal d’une société libre et démocratique dans laquelle tous vivraient ensemble en harmonie et avec des chances égales. C’est un idéal pour lequel j’espère vivre. Mais s’il le faut, c’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir.
Aujourd’hui, le monde, noir et blanc, reconnaît que l’Apartheid n’a pas d’avenir. En Afrique du Sud, il s’est terminé grâce à notre propre action de masse décisive, pour bâtir la paix et la sécurité. Cette campagne et d’autres actions ne pouvaient qu’aboutir à l’établissement de la démocratie.
C’est peut-être étrange pour vous d’observer la situation en Palestine ou, plus spécifiquement, la structure des relations politiques et culturelles entre les Palestiniens et les Israéliens, comme un système d’apartheid. C’est parce que vous pensez à tort que le problème de la Palestine a commencé en 1967. Cela a été démontré dans votre récent article Premier Mémo de Bush dans le New York Times du 27 Mars 2001.
Vous semblez surpris d’entendre qu’il y a encore des problèmes de 1948 à résoudre, dont le plus important est le droit au retour des réfugiés palestiniens. Le conflit israélo-palestinien n’est pas seulement une question d’occupation militaire et Israël n’est pas un pays qui a été créé « normalement » et s’est mis à occuper un autre pays en 1967. Les Palestiniens ne luttent pas pour un «État» mais pour la liberté, la libération et l’égalité, exactement comme nous avons lutté pour la liberté en Afrique du Sud.
Au cours des dernières années, et surtout pendant le règne du Parti travailliste, Israël a montré qu’il n’était pas encore prêt à rendre ce qu’il avait occupé en 1967, que les colonies resteraient, que Jérusalem serait sous souveraineté exclusivement israélienne et que les Palestiniens n’auraient pas d’État indépendant mais qu’ils seraient placés sous domination économique israélienne avec un contrôle israélien des frontières, de la terre, de l’air, de l’eau et de la mer.
Israël ne pense pas à un «État» mais à une «séparation». La valeur de la séparation se mesure en termes de capacité d’Israël à garder l’État Juif, et à ne pas avoir une minorité palestinienne qui pourrait avoir la possibilité de devenir majoritaire à un certain moment dans l’avenir. Si cela se produit, cela forcerait Israël à devenir soit un État démocratique ou bi-national laïque, ou à se transformer en un État d’apartheid de facto.
Thomas, si vous suivez les sondages en Israël au cours des 30 ou 40 dernières années, vous trouvez clairement un racisme grossier : un tiers de la population se déclare ouvertement être raciste. Ce racisme est de la nature de «Je hais les Arabes» et «je souhaite la mort des Arabes.»
Si vous suivez également le système judiciaire en Israël, vous verrez qu’il y a discrimination contre les Palestiniens, et si vous considérez les territoires occupés en 1967, vous trouverez qu’il y a déjà deux systèmes judiciaires opérationnels qui représentent deux approches différentes de la vie humaine : une pour la vie des Palestiniens, l’autre pour celle de la vie juive. En outre, il y a deux approches différentes pour la propriété et pour la terre. La propriété palestinienne n’est pas reconnue comme propriété privée puisqu'elle peut être confisquée.
Quant à l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de Gaza, il y a un facteur supplémentaire. Les soi-disant «zones autonomes palestiniennes» sont des Bantoustans. Ce sont des entités restreintes au sein de la structure de pouvoir du système israélien d’apartheid.
L’État palestinien ne peut être le sous-produit de l’État juif, juste pour garder la pureté juive d’Israël. La discrimination raciale d’Israël est la vie quotidienne de la plupart des Palestiniens. Depuis qu’Israël est un État juif, les Juifs israéliens sont capables d’accumuler des droits spéciaux que les non-juifs ne peuvent pas avoir. Les Arabes palestiniens n’ont aucune place dans un État juif.
L’apartheid est un crime contre l’humanité. Israël a privé des millions de Palestiniens de leur liberté et de la propriété. Il a perpétué un système de discrimination raciale et d’inégalité. Il a systématiquement incarcéré et torturé des milliers de Palestiniens, en violation des règles du droit international. Il a, en particulier, mené une guerre contre une population civile, en particulier les enfants.
Les réponses de l’Afrique du Sud en matière de violation des droits humains provenant des politiques de déportation et des politiques d’apartheid ont mis en lumière ce que la société israélienne doit nécessairement accomplir, avant que l’on puisse parler d’une paix juste et durable au Proche-Orient et de la fin de la politique d’apartheid.
Thomas, je n’abandonne pas la diplomatie au Moyen-Orient, mais je ne serai pas complaisant avec vous comme le sont vos supporters. Si vous voulez la paix et la démocratie, je vous soutiendrai. Si vous voulez formaliser l'Apartheid, nous ne vous soutiendrons pas. Si vous voulez soutenir la discrimination raciale et le nettoyage ethnique, nous nous opposerons à vous.
Quand vous saurez ce que vous voudrez, appelez moi...
Nelson Mandela

Non à l'apartheid, à la ségrégation, 
où que ce soit
 

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