Ce
n'est pourtant pas son fort, à l'humanité, la paix. Encore heureux
que la Lune se soit révélée inhabitable, sinon ses occupants, une
fois passées les courtoises salutations avec les visiteurs en
scaphandres, auraient vite déchanté. D'autres Terriens auraient
rappliqué pour leur apprendre, à leurs dépens, l'art de la guerre,
du crime et du pillage.
(Sylvie
Germain, Chanson des mal aimants, Gallimard, 2002)
En
hommage à Mandela, une des rares personnalités politiques contemporaines que
j'ai pu admirer, je voudrais reproduire ce discours sur la Palestine
qu'il adressait à Thomas Friedman, journaliste américain (New
York Times) :
Cher
Thomas,
Je
sais que vous et moi, nous aspirons à la paix au Moyen-Orient, mais
avant que vous continuiez à parler des conditions nécessaires d’un
point de vue israélien, vous devez savoir ce qui est dans mon
esprit.
Par
où commencer ? Disons 1964. Laissez-moi citer mes propres paroles
lors de mon procès. Elles sont vraies aujourd’hui, autant qu’elles
l’étaient alors : J’ai combattu contre la domination blanche
et j’ai combattu contre la domination noire. J’ai chéri l’idéal
d’une société libre et démocratique dans laquelle tous vivraient
ensemble en harmonie et avec des chances égales. C’est un idéal
pour lequel j’espère vivre. Mais s’il le faut, c’est un idéal
pour lequel je suis prêt à mourir.
Aujourd’hui,
le monde, noir et blanc, reconnaît que l’Apartheid n’a pas
d’avenir. En Afrique du Sud, il s’est terminé grâce à notre
propre action de masse décisive, pour bâtir la paix et la sécurité.
Cette campagne et d’autres actions ne pouvaient qu’aboutir à
l’établissement de la démocratie.
C’est
peut-être étrange pour vous d’observer la situation en Palestine
ou, plus spécifiquement, la structure des relations politiques et
culturelles entre les Palestiniens et les Israéliens, comme un
système d’apartheid. C’est parce que vous pensez à tort que le
problème de la Palestine a commencé en 1967. Cela a été démontré
dans votre récent article Premier Mémo de Bush dans le New
York Times du 27 Mars 2001.
Vous
semblez surpris d’entendre qu’il y a encore des problèmes de
1948 à résoudre, dont le plus important est le droit au retour des
réfugiés palestiniens. Le conflit israélo-palestinien n’est pas
seulement une question d’occupation militaire et Israël n’est
pas un pays qui a été créé « normalement » et s’est
mis à occuper un autre pays en 1967. Les Palestiniens ne luttent pas
pour un «État» mais pour
la liberté, la libération et l’égalité, exactement comme nous
avons lutté pour la liberté en Afrique du Sud.
Au
cours des dernières années, et surtout pendant le règne du Parti
travailliste, Israël a montré qu’il n’était pas encore prêt à
rendre ce qu’il avait occupé en 1967, que
les colonies resteraient, que Jérusalem serait sous souveraineté
exclusivement israélienne et que les Palestiniens n’auraient pas
d’État indépendant mais qu’ils seraient placés sous
domination économique israélienne avec un contrôle israélien des
frontières, de la terre, de l’air, de l’eau et de la mer.
Israël
ne pense pas à un «État»
mais à une «séparation». La valeur de la séparation se mesure en
termes de capacité d’Israël à garder l’État
Juif, et à ne pas avoir une minorité palestinienne qui pourrait
avoir la possibilité de devenir majoritaire à un certain moment
dans l’avenir. Si cela se produit, cela forcerait Israël à
devenir soit un État
démocratique ou bi-national laïque, ou à se transformer en un État
d’apartheid de facto.
Thomas,
si vous suivez les sondages en Israël au cours des 30 ou 40
dernières années, vous trouvez clairement un racisme grossier : un
tiers de la population se déclare ouvertement être raciste. Ce
racisme est de la nature de «Je hais les Arabes» et «je souhaite
la mort des Arabes.»
Si
vous suivez également le système judiciaire en Israël, vous verrez
qu’il y a discrimination contre les Palestiniens, et si vous
considérez les territoires occupés en 1967, vous trouverez qu’il
y a déjà deux systèmes judiciaires opérationnels qui représentent
deux approches différentes de la vie humaine : une pour la vie des
Palestiniens, l’autre pour celle de la vie juive. En outre, il y a
deux approches différentes pour la propriété et pour la terre. La
propriété palestinienne n’est pas reconnue comme propriété
privée puisqu'elle peut être confisquée.
Quant
à l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de Gaza, il y a
un facteur supplémentaire. Les soi-disant «zones autonomes
palestiniennes» sont des Bantoustans.
Ce
sont des entités restreintes au sein de la structure de pouvoir du
système israélien d’apartheid.
L’État
palestinien ne peut être le sous-produit de l’État
juif, juste pour garder la pureté juive d’Israël. La
discrimination raciale d’Israël est la vie quotidienne de la
plupart des Palestiniens. Depuis qu’Israël est un État
juif, les Juifs israéliens sont capables d’accumuler des droits
spéciaux que les non-juifs ne peuvent pas avoir. Les Arabes
palestiniens n’ont aucune place dans un État
juif.
L’apartheid
est un crime contre l’humanité. Israël a privé des millions de
Palestiniens de leur liberté et de la propriété. Il a perpétué
un système de discrimination raciale et d’inégalité. Il a
systématiquement incarcéré et torturé des milliers de
Palestiniens, en violation des règles du droit international. Il a,
en particulier, mené une guerre contre une population civile, en
particulier les enfants.
Les
réponses de l’Afrique du Sud en matière de violation des droits
humains provenant des politiques de déportation et des politiques
d’apartheid ont mis en lumière ce que la société israélienne
doit nécessairement accomplir, avant que l’on puisse parler d’une
paix juste et durable au Proche-Orient et de la fin de la politique
d’apartheid.
Thomas,
je n’abandonne pas la diplomatie au Moyen-Orient,
mais je ne serai pas complaisant avec vous comme le sont vos
supporters.
Si vous voulez la paix et la démocratie, je vous soutiendrai. Si
vous voulez formaliser l'Apartheid, nous ne vous soutiendrons pas. Si
vous voulez soutenir la discrimination raciale et le nettoyage
ethnique, nous nous opposerons à vous.
Quand
vous saurez ce que vous voudrez, appelez moi...
Nelson
Mandela
Non à l'apartheid, à la ségrégation,
où que ce soit
où que ce soit
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