Vous
qui entrez, laissez toute espérance
(Dante
Alighieri, La
Divine comédie, L’Enfer,
III)
gare de Genève : l'arrivée
Bien
entendu, il ne me viendrait pas à l’esprit de comparer la partie
"enfer" de notre périple
à l’enfer que vivent les coureurs cyclistes lors des grands tours,
ni à celui que vivent les migrants qui tentent de traverser la
Méditerranée au péril de leur vie, ni à celui que vivent en
permanence les exploités, humiliés et offensés de toute sorte qui
pullulent de par le monde, ni à celui des enfants-soldats, des
fanatisés prêts à se faire sauter, ni à celui des Gazaouis enfermés dans leur immense camp de concentration, encore moins à celui de ceux qui vivent dans la hantise des bombardements ; ne serait-ce que parce que sur les routes
qui bordaient le Léman ou nous en éloignaient de temps à autre,
nous n’avons jamais perdu l’espérance que Dante signale à ceux
qui sont entrés en Enfer.
Mais
il me plaît assez de découper mon compte rendu du tour du Léman à
vélo en trois parties, comme sa Divine
comédie.
Commençons donc par ce qui s’apparente à l’enfer, à
mes yeux en tout cas.
l'accueil à l'Auberge de jeunesse de Genève
« L’enfer,
c’est les autres », dit Garcin dans Huis
clos
de Sartre. Pour un cycliste sur route, l’enfer, c’est les
automobilistes (inversement, il est très probable que pour un
automobiliste, l’enfer, c’est le cycliste). Or, la Suisse (et la
Savoie n’est pas en reste) étant le paradis des automobiles, des
grosses cylindrées, des m’as-tu vu qui plastronnent au volant, et
comme nous avons pris parfois des routes importantes, que notre
peloton de soixante-dix cyclothécaires était forcément gênant,
j’avoue avoir eu parfois peur. Heureusement, à deux ou trois
reprises, nous avons été escortés par la police qui nous frayait
le passage, notamment lors de l’arrivée à Lausanne.
pause baignade pour les amateurs (Vevey)
Une
autre forme d’enfer, quand on circule à vélo, c’est la grosse
chaleur, et je dois dire que nous avons été gâtés, de ce côté-là.
Remarquez que, quand je vois la pluie qui tombe depuis mon retour sur
Bordeaux, je me dis que je préfère encore le soleil. Mais enfin,
nous eûmes soif, envie d’ombre, de fraîcheur, et sans être
vraiment sur
des
routes de
montagne, nous nous sommes suffisamment écartés du bord du lac pour
avoir quelques longs faux-plats et quelques bosses parfois
assez raides, quoique brèves. J’eus beau me mettre en tête du
peloton (assez rarement) ou au milieu, je finissais souvent bon
dernier, juste avant le serre-file, au sommet des côtes ou à l’arrivée de l'étape.
devant la Fondation Bodmer (Genève)
Un
autre aspect qui me rappelait, vaguement, l’enfer, c’est
justement le pédalage en groupe. En règle générale, je ne collais
jamais au (à la) cycliste juste devant moi, craignant mes réflexes
trop lents (l'âge, ma bonne dame) en cas de coup de frein brutal. Résultat, peu à peu, je
perdais du terrain, les autres derrière moi me dépassaient, et au
bout du compte, je ne parvenais presque jamais à recoller, ainsi
pour l’arrivée à Saint-Maurice, après pourtant un superbe
parcours le long du Rhône, sur une piste cyclable épatante. De
plus, impossible de s’arrêter si le groupe ne s’arrêtait pas.
Or, je ne sais pas boire en roulant. J’ai donc eu quelques moments
difficiles.
la femme sirène de Marguerite Peltzer (Musée du Chablais)
L’enfer,
ce fut aussi un programme de visites surchargé, minuté et
chronométré, qui laissait rarement le temps de souffler. Je crois
avoir souffert autant des nombreuses visites de bibliothèques
(surtout) et de quelques musées, d’y avoir piétiné ou au
contraire de les avoir parcourus au pas de course, et d’y avoir
regretté mon cher vélo, qui au moins, me transportait, lui !
hostellerie du château de Bossay
Enfin,
si nous eûmes des nuits agréables, notamment dans les hostelleries
religieuses (n’en déplaise aux laïcs !), il y eut aussi les
chambrées de
5 ou 6 en
auberges de jeunesse qui sans doute m’ont rappelé mon jeune temps
(et le voyage en Suède de 2004), mais
où les ronfleurs ont pu déranger ceux qui n’avaient pas eu la
précaution d’emporter des bouchons auriculaires. J’en étais
cependant suffisamment pourvu pour très bien dormir et ne pas les
entendre. Mais les commentaires au petit déjeuner étaient
édifiants. Avis aux amateurs : l’enfer est rempli de
ronfleurs, bien que Dante n’en ait pas dit un mot !
pieds du cyclothécaire en fin d'étape, heureux de sortir des chaussures et de de se rafraîchir sur l'herbe
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