Avant
d’atteindre autrui, la haine s’emploie d’abord à répandre son
venin dans le cœur qui la nourrit. Elle le mine, le ronge, le tue à
petit feu.
(Mahi
Binebine, Le fou du roi,
Stock, 2017)
Ah!
ils en auront fait couler de l’encre, ces fameux "gilets
jaunes" (ceux
des bas-côtés, des confins, des fossés, des marges,
comme l’étaient les anciens colonisés) !
En général de l'encre et des paroles peu amènes à leur égard : car
l’aigreur des journalistes, des politologues et experts de tous
poils qui n’avaient rien vu venir n’a eu d’égale que leur
provocante suffisance, celle de ceux qui "savent" (quoi ?
on se le demande bien !) à l’égard de ceux qui sont dans l’ignorance
(peut-être,
mais ces derniers savent bien que "l’argent est une arme de destruction
massive"),
que leur fiel de nantis déversé par tombereaux pour déconsidérer
un mouvement qui leur échappe. Et voilà maintenant qu’ils se
plaignent du manque de considération qu’on a pour eux, ou même de
la haine qu’ils suscitent et de la colère, des insultes et des
violences qui s’ensuivent. J’allais écrire : qui sème le
vent récolte la tempête…
Le
petit livre publié au Sextant, et qui réunit les deux
courts textes
de Jean Grave, La colonisation
(1912) et de Paul Vigné d’Octon, Le
massacre d’Ambiky
(1900), m’apparaît très éclairant sur ce qui se passe
aujourd’hui, ici et dans le monde.
Jean
Grave note que "les nations civilisées" se partagent "les
peuples comme un bétail, tout cela cachant les plus louches
combinaisons financières [...] des requins de la finance, […]
brigandage et vol à main armée […] ; il y a un mot honnête pour
couvrir les malhonnêtes choses que la société commet : on
appelle cela « civiliser » les populations arriérées !"
Si
les populations "se révoltent, on leur fera la chasse, on les
traquera comme des fauves, le pillage sera alors non seulement toléré,
mais commandé ; cela s’appellera une « razzia »."
Viols, assassinats, villages livrés aux flammes, "laissez
passer, c’est une nation policée, qui porte la civilisation chez
des sauvages !" La
conquête ; "vite, deux ou trois cuirassés en marche, une
demi-douzaine de canonnières, un corps de troupes de débarquement,
saluez, la civilisation va faire son œuvre." On
pratique alors
l’accaparement
de "terrains volés aux vaincus",
on
trouve des populations à exploiter, on peut les "massacrer chez
elles pour les plier à un monde de vie qui n’est pas le leur."
Il ajoute plus loin que "l’institution qui défend la
propriété en Europe ne la reconnaît pas sous une autre latitude."
Les soldats "en viennent à servir, inconsciemment, d’instruments
au despotisme, à se vanter de ce rôle, à ne plus en comprendre la
bassesse et l’infamie." Jean
Grave conclut : "ce que vous déguisez sous le nom de
colonisation a un nom parfaitement défini dans votre Code, lorsqu’il
est le fait de quelques individualités obscures ; cela
s’appelle : « pillages et assassinats en bandes
armées »." Alain Finkielkraut pourrait lire ce livre pour
convenir qu’Israël ne fait pas autrement avec la Palestine
aujourd’hui : destructions
de maisons palestiniennes, arrachages d’oliviers palestiniens, tirs
de l'armée sur les manifestants désarmés de Gaza, etc...
On
ne l’a guère entendu dénoncer ces faits, ce grand humaniste.
Paul
Vigné d’Octon relate, lui, l’un de ces nombreux massacres qui
eurent lieu à Madagascar. Je ne peux le raconter en détail ici,
mais renvoie au texte intégral :
http://dormirajamais.org/ambiky/.
Dans ce massacre d’une population encore endormie qui se fit au
petit matin du 29 août 1897, le commandant Gérard, pourtant averti des intentions pacifiques de la population locale, poussa le comble de
l’horreur en envoyant en première ligne les tirailleurs sénégalais
qui tuèrent hommes, femmes et enfants surpris dans leur sommeil. L’auteur
conclut : "La Gazette
officielle
dit seulement : « Le roi Touère, son ministre et deux
chefs ont été tués pendant le combat. » ; il ne fallait
pas que l’affaire, où nous-mêmes n’avions pas perdu un seul
homme, parût excéder l’importance d’un engagement quelconque
avec des rebelles. La Gazette
ajoutait : « Cinq cents prisonniers sont tombés entre nos
mains »" Et voilà le roman officiel de la colonisation. Car "la vérité est que pas un indigène n’en est sorti
vivant", et qu'il n'y a jamais eu de combat, mais un massacre.
Que voila un bel exploit, digne de nos livres d'histoire ! Mais qui le sait aujourd'hui, la mémoire coloniale étant presque totalement occultée ? Et inutile de dire qu'on le trouvera difficilement en bibliothèque (une seule bibliothèque universitaire le possède selon le SUDOC, il est absent de la Médiathèque de Bordeaux...), d'une part en raison de sa minceur (on préfère en bibliothèque publique les pavés indigestes qui servent d'oreiller sur les plages !), et aussi de son contenu, pas tout à fait politiquement correct...
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