vendredi 20 décembre 2013

20 décembre 2013 : au nom des pères


monsieur votre père, dans son veuvage exemplaire, est revenu à un état de virginité primitif qui intrigue puissamment la communauté scientifique et lui a valu un dossier de précanonisation à l'archevêché.
(Carlos Ruiz Zafón, Le prisonnier du ciel)


Si on me lit attentivement, on sait à quel point je suis passionné par la paternité, le fait d'être père – ou de ne l'être pas, la capacité qu'ont certains hommes à mettre en œuvre ce rôle de père ou à le nier totalement... J'ai vu ces derniers temps quelques films qui nous montrent assez bien comment l'absence ou la présence du père jouent dans la difficulté d'être.

Couleur de peau : miel, vu en dvd, est tiré d'une bande dessinée racontant l'adoption plénière d'un jeune orphelin coréen, Jung, dans une famille belge déjà chargée d'enfants. C'est un film composite, autobiographique, comprenant à la fois des documents d'époque (actualités des années 50, films en super 8 de l'arrivée du petit enfant), des documents d'aujourd'hui (Jung devenu homme se décide à aller voir un peu à quoi ressemble la Corée) et l'enfance et l'adolescence belges traitées en dessin animé. On voit beaucoup la mère, le père est présent aussi. Ils font de leur mieux, mais Jung doit se construire tout seul, n'étant ni tout à fait belge, ni tout à fait coréen, et doit donc répondre par lui-même à la question : qui suis-je ? Film admirable, que je suis étonné de l'avoir raté à la sortie.

Les garçons et Guillaume à table Affiche

Les garçons et Guillaume, à table, autre film autobiographique, nous montre un jeune garçon qui croit que pour être aimé par sa mère, il doit l'imiter en tout, et donc devenir une fille, puisqu'au fond, la mère voit en lui la fille qu'elle aurait aimé avoir, après ses deux premiers garçons. Là, le père est notablement absent, il semble ne s'intéresser qu'aux affaires et au sport (comme les deux aînés), et le cadet va devoir trouver sa place et son identité, prouver qu'il n'est pas ce que l'on croit. Pas un grand film, mais très intéressant par la manière dont le machisme ordinaire aussi bien que la maternité couveuse sont subvertis.

 Eka et Natia, Chronique d'une jeunesse georgienne

Eka et Natia, chronique d'une jeunesse georgienne, largement autobiographique aussi, se passe en Géorgie, après la chute de l'URSS. Là, c'est très simple, les pères sont absents ou alcooliques, et les jeunes filles doivent se débrouiller comme elles peuvent pour se construire, dans un monde à la mentalité « méditerranéenne », c'est-à-dire très sexiste, et où les hommes sont machos dès le plus jeune âge. Natia ainsi se voit contrainte à un mariage forcé. Eka, légèrement plus jeune, et dont le père est en prison, s'en sortira peut-être différemment... Très beau film, bien joué, et qui m'a profondément ému.

Suzanne

Suzanne, lui, est un film qui joue sur la durée : on suit l'héroïne de six à trente ans. Dès le début (scène des fleurs au cimetière), on sait que la mère va manquer, morte quand les deux filles Maria et Suzanne étaient toutes petites. Le père (formidable François Damiens) ne se remarie pas. Il va, non sans difficultés, élever seul ses filles. Il est camionneur, et donc souvent absent. On voit donc grandir les deux filles petites, devenant adolescentes, lycéennes, et soudain le choc : la proviseure convoque le père pour lui apprendre que Suzanne, même pas dix-sept ans, est enceinte de plus de trois mois. C'est le début d'une descente aux enfers pour le père autant que pour Suzanne, qui va avoir son petit garçon, Charlie, puis s'amouracher d'un voyou, partir en prison, en sortir, faire un deuxième enfant, y retourner... Ce qui pourrait être un mélo assez lourdingue se révèle un film d'une incroyable finesse et d'une justesse de ton, assez rares dans le cinéma français. Le père, Maria, Charlie, l'avocate (Corinne Masiero, formidable aussi), même Julien, l'ange du mal, tournent autour de Suzanne, et ne sont vus que de son point de vue à elle. Très beau portrait de père esseulé, on s'en doute, mais beau portrait de femmes aussi... Un film qui étonne.

The Lunchbox

The lunchbox est un film indien. Cette fois aussi, un film féministe, qui ose la rencontre entre Ila, une jeune mère nantie d'un mari qui la néglige (et ne s'occupe pas du tout de leur enfant) et Saajan, un homme proche de la retraite et veuf. Ila prépare pour son mari la « lunchbox », c'est-à-dire gamelle, que des livreurs portent aux hommes qui travaillent pour leur repas de midi ; elle y met de bons petits plats, dans l'espoir de faire revenir l'amour de son mari. Mais un jour, les livreurs se trompent d'adresse, et la lunchbox parvient à Saajan. Ici, c'est un film social (les autres l'étaient aussi), très ancré dans les notations concrètes, où tous les personnages jouent leur partition (ah ! Il faut remarquer la voisine du dessus d'Ila, qu'on ne voit jamais, mais qui lui donne les idées de plats plus appétissants les uns que les autres, ou le jeune successeur à l'emploi de bureau de Saajan), et qu'on quitte à regret, comme si c'était des amis.
*                     *
Alors, je ne sais pas trop où étaient les pères là-dedans : absents, esseulés, dominateurs, ni si on peut dire qu'il y a un rapport entre tous ces films vus en l'espace de deux semaines. Néanmoins, ils m'ont donné l'idée de donner un coup de jeune à la fameuse prière de Jésus et de la récrire à ma façon, puisque maintenant le Ciel semble définitivement absent :

Mon père qui es sur terre,
je souhaite que tu sois vraiment là,
que tu nous amènes à être au moins égal à toi,
et que ta volonté ne nous empêche pas de devenir ce que nous devons être.
Rends-nous capable d'assumer notre pain quotidien,
pardonne-nous nos torts envers toi
comme on te pardonne tes propres torts,
et enseigne-nous la force
qui nous permettra de lutter contre les tentations du monde.

Aucun commentaire: