monsieur
votre père, dans son veuvage exemplaire, est revenu à un état de
virginité primitif qui intrigue puissamment la communauté
scientifique et lui a valu un dossier de précanonisation à
l'archevêché.
(Carlos
Ruiz Zafón, Le
prisonnier du ciel)
Si
on me lit attentivement, on sait à quel point je suis passionné par
la paternité, le fait d'être père – ou de ne l'être pas, la
capacité qu'ont certains hommes à mettre en œuvre ce rôle de père
ou à le nier totalement... J'ai vu ces derniers temps quelques films
qui nous montrent assez bien comment l'absence ou la présence du
père jouent dans la difficulté d'être.
Couleur
de peau : miel,
vu en dvd, est tiré d'une bande dessinée racontant l'adoption
plénière d'un jeune orphelin coréen, Jung, dans une famille belge
déjà chargée d'enfants. C'est un film composite, autobiographique,
comprenant à la fois des documents d'époque (actualités des années
50, films en super 8 de l'arrivée du petit enfant), des documents
d'aujourd'hui (Jung devenu homme se décide à aller voir un peu à
quoi ressemble la Corée) et l'enfance et l'adolescence belges
traitées en dessin animé. On voit beaucoup la mère, le père est
présent aussi. Ils font de leur mieux, mais Jung doit se construire
tout seul, n'étant ni tout à fait belge, ni tout à fait coréen,
et doit donc répondre par lui-même à la question : qui
suis-je ? Film admirable, que je suis étonné de l'avoir raté
à la sortie.
Les
garçons et Guillaume, à table,
autre film autobiographique, nous montre un jeune garçon qui croit
que pour être aimé par sa mère, il doit l'imiter en tout, et donc
devenir une fille, puisqu'au fond, la mère voit en lui la fille
qu'elle aurait aimé avoir, après ses deux premiers garçons. Là,
le père est notablement absent, il semble ne s'intéresser qu'aux
affaires et au sport (comme les deux aînés), et le cadet va devoir
trouver sa place et son identité, prouver qu'il n'est pas ce que
l'on croit. Pas un grand film, mais très intéressant par la manière
dont le machisme ordinaire aussi bien que la maternité couveuse sont
subvertis.
Eka
et Natia, chronique d'une jeunesse georgienne,
largement autobiographique aussi, se passe en Géorgie, après la
chute de l'URSS. Là, c'est très simple, les pères sont absents ou
alcooliques, et les jeunes filles doivent se débrouiller comme elles
peuvent pour se construire, dans un monde à la mentalité
« méditerranéenne », c'est-à-dire très sexiste, et où
les hommes sont machos dès le plus jeune âge. Natia ainsi se voit
contrainte à un mariage forcé. Eka, légèrement plus jeune, et
dont le père est en prison, s'en sortira peut-être différemment...
Très beau film, bien joué, et qui m'a profondément ému.
Suzanne,
lui, est un film qui joue sur la durée : on suit l'héroïne de six à trente ans. Dès le début (scène des
fleurs au cimetière), on sait que la mère va manquer, morte quand
les deux filles Maria et Suzanne étaient toutes petites. Le père
(formidable François Damiens) ne se remarie pas. Il va, non sans
difficultés, élever seul ses filles. Il est camionneur, et donc souvent absent. On voit
donc grandir les deux filles petites, devenant adolescentes, lycéennes, et
soudain le choc : la proviseure convoque le père pour lui
apprendre que Suzanne, même pas dix-sept ans, est enceinte de plus
de trois mois. C'est le début d'une descente aux enfers pour le père
autant que pour Suzanne, qui va avoir son petit garçon, Charlie,
puis s'amouracher d'un voyou, partir en prison, en sortir, faire un
deuxième enfant, y retourner... Ce qui pourrait être un mélo assez
lourdingue se révèle un film d'une incroyable finesse et d'une justesse de ton, assez rares dans le cinéma français.
Le père, Maria, Charlie, l'avocate (Corinne Masiero, formidable
aussi), même Julien, l'ange du mal, tournent autour de Suzanne, et
ne sont vus que de son point de vue à elle. Très beau portrait de
père esseulé, on s'en doute, mais beau portrait de femmes aussi...
Un film qui étonne.
The
lunchbox
est un film indien. Cette fois aussi, un film féministe, qui ose la
rencontre entre Ila, une jeune mère nantie d'un mari qui la néglige
(et ne s'occupe pas du tout de leur enfant) et Saajan, un homme
proche de la retraite et veuf. Ila prépare pour son mari la
« lunchbox », c'est-à-dire gamelle, que des livreurs
portent aux hommes qui travaillent pour leur repas de midi ; elle y met
de bons petits plats, dans l'espoir de faire revenir l'amour de son
mari. Mais un jour, les livreurs se trompent d'adresse, et la
lunchbox parvient à Saajan. Ici, c'est un film social (les autres
l'étaient aussi), très ancré dans les notations concrètes, où
tous les personnages jouent leur partition (ah ! Il faut
remarquer la voisine du dessus d'Ila, qu'on ne voit jamais, mais qui
lui donne les idées de plats plus appétissants les uns que les
autres, ou le jeune successeur à l'emploi de bureau de Saajan), et qu'on quitte à
regret, comme si c'était des amis.
* *
Alors,
je ne sais pas trop où étaient les pères là-dedans :
absents, esseulés, dominateurs, ni si on peut dire qu'il y a un
rapport entre tous ces films vus en l'espace de deux semaines.
Néanmoins, ils m'ont donné l'idée de donner un coup de jeune à la
fameuse prière de Jésus et de la récrire à ma façon, puisque
maintenant le Ciel semble définitivement absent :
Mon
père qui es sur terre,
je
souhaite que tu sois vraiment là,
que
tu nous amènes à être au moins égal à toi,
et
que ta volonté ne nous empêche pas de devenir ce que nous devons être.
Rends-nous
capable d'assumer notre pain quotidien,
pardonne-nous
nos torts envers toi
comme
on te pardonne tes propres torts,
et
enseigne-nous la force
qui
nous permettra de lutter contre les tentations du monde.
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