C’est
idiot de faire des pèlerinages dans des lieux où l’on a
vécu…(Patrick
Modiano, Quartier
perdu,
Gallimard, 1984)
au Fort Napoléon, un iguane
Je
ne reviendrai pas sur mes trois semaines à la Désirade, sinon pour
dire à quel point j’en suis sorti calme (si peu de circulation),
reposé (aucune agression auditive, ni radio ni télé, et pas
davantage visuelle, pas de panneaux publicitaires), enthousiasmé par
les rencontres diverses, renouvelé intérieurement, j’allais
presque dire « ressuscité », en grande partie par mes
nombreuses randonnées pédestres. Ça m’a rendu en tout cas prêt
à affronter la Guadeloupe, que je savais plus surpeuplée, plus
dure, plus agressive, plus remplie de véhicules et de promiscuité,
mais sans que ça me préoccupe plus que ça. Le sas de la Désirade
fut une bonne préparation.
un pélican en bord de mer
J’ai
donc quitté la Désirade le 28 janvier pour aller attendre à
Pointe-à-Pitre Mathieu et Lucile qui devaient arriver par avion le
29. J’avais loué une chambre à l’Hôtel Saint John, près de la
Darse en plein centre ville. Après la traversée en bateau jusqu’à
Saint-François, j’ai pris le bus et j’ai dû arriver vers 19 h.
J’ai pris possession de ma chambre, très confortable, avec vue sur
la rade, puis je suis sorti un moment prendre le pouls de la ville,
qui s’est bien dégradée – du moins le centre – depuis 1984.
En fait, je ne m’étais pas arrêté dans cette ville lors de mes
voyages précédents de 2010 et 2017. Je gardais le souvenir d’une ville
coloniale avec pas mal de maisons encore en relatif bon état il y a trente-six ans, ce qui
n’est plus le cas aujourd’hui. Si on s’éloigne du centre, on
trouve des immeubles d’habitation flambant neufs. Mais au centre,
que d’immeubles anciens en bois en décrépitude !
le Musée Saint-John Perse dans une belle maison coloniale
(en état moyen : interdit d'aller sur le balcon)
(en état moyen : interdit d'aller sur le balcon)
Après
une bonne nuit, comme mes enfants n’arrivaient que l’après-midi,
j’eus le temps de visiter le Musée Saint-John Perse, situé dans une
maison coloniale en relatif bon état. Comme vous le savez,
Saint-John Perse est un de nos écrivains Prix Nobel de littérature
(1960). Bien que méconnu et peu lu en France (comme tous les poètes), il est né en
Guadeloupe, où il vécut son enfance. Devenu diplomate, il nous a
laissé une œuvre poétique très exigeante qui n’a pas été sans
influencer les poètes de la négritude (Césaire, Senghor) ou les
surréalistes. L’exposition dans le Musée nous raconte sa vie sur
je connaissais peu. J’ai retenu qu’il avait été déchu de la
nationalité française par le régime de Vichy en juillet 1940
(comme de Gaulle et bien d’autres) pour avoir quitté la France
sans autorisation pour les USA. Les nombreuses citations de poèmes
m’ont impressionné par la puissance évocatrice du langage
utilisé.
la maison d'Yvon et Michèle Bourseau : nous occupions le 1er étage
Puis
je me suis baladé avant de prendre le taxi pour l’aéroport où
j’ai accueilli Mathieu et Lucile. On a loué une voiture et nous
sommes partis pour Baillif : la nuit était tombée, et pas
évident dans le noir de retrouver la maison de mon collègue Yvon
Bourseau, décédé en 2018. Son fils Frédéric nous a guidé par téléphone et accueilli ;
il nous installé dans le logement, à l’étage de la maison de ses
parents (Michèle, sa mère était absente pour quelques jours), sur
les hauteurs de Baillif et nous a invité à dîner chez lui, cent mètres plus bas. Nous avons apprécié l’hospitalité :
les enfants ont fait connaissance de Mathilde, la femme de Frédéric,
de leur fils Gallim (2,04 m) et de son amie Sarah, avec qui ils se
sont bien entendus pendant le séjour et qui ont gravi avec eux le
volcan, la Soufrière, auquel j’ai renoncé. Ces grimpettes ne sont
plus de mon âge.
Nous
avons sillonné la Guadeloupe. À Saint-Claude, je leur ai fait
visiter la rue où nous habitions et où Mathieu fit ses premiers
pas, puis nous avons regardé la clinique où il est né, devenue un
immeuble universitaire administratif, avant de faire un petit tour et
de manger dans un restaurant de Matouba, non loin du fort où Louis
Delgrès, officier de la république, refusant le rétablissement de
l’esclavage par Bonaparte en 1802, s’est fait sauter avec trois
cents de ses hommes au cri de : « La liberté ou la
mort ». C’est le héros national ici, il a sa statue dans
chaque commune.
un pilier de carbet de la Plage Caraïbe : art naïf local
Toujours
avec Mathieu et Lucile, nous avons aussi visité le zoo de Guadeloupe
dans le Parc des Mamelles : zoo qui est aussi un parc botanique.
Je ne l’avais jamais vu, il est très intéressant. Nous avons loué
un gîte pour une nuit à Terre-de-Haut, dans l’archipel des
Saintes, petite île que nous avons sillonnée pendant deux jours à pied de long en
large, alors que la majorité des touristes louent des véhicules
électriques (autos, scooters, vélos, trottinettes), comme s’ils
n’avaient plus de jambes. Nous y avons visité le Fort Napoléon, musée historique,
avec ses remparts végétalisés et couverts de cactées (dont le
cactus « Tête à l’anglais »), et où se nichent des
iguanes non peureux. Deux plages eurent droit à notre visite, dont
celle de l’Anse Crawen, au bout de l’île, que nous étions les
seuls à fréquenter en 1982-84, et où nous faisions du nudisme,
ce dernier interdit aujourd’hui où elle est presque bondée, grâce à la fée
électricité.
la deuxième chute du Carbet
suite à des glissements de terrain, on ne peut pas approcher plus près
Nous nous sommes baladés et avons vu pas mal de sites naturels : les
impressionnantes chutes du Carbet de l’autre côté de la
Soufrière, la Cascade aux écrevisses sur la route des Mamelles, la
pointe de la Grande Vigie tout au nord de la Grande Terre, plus à
l’est la Porte d’enfer (où nous avions aperçu en janvier
1982, Claire et moi, le manège nocturne d’un « quimboiseur » ou sorcier)
et le Trou à Man Coco qui en est proche, la Pointe des Châteaux,
près de laquelle Lucile avait donné rendez-vous à une collègue avec qui elle
avait travaillé en Côte d’Ivoire. Plusieurs plages aussi, dont
la Plage Caraïbe de Pointe-Noire, tout près du débouché de la
route des Mamelles.
Terre de Haut : panorama vu du Fort Napoléon
Et,
à Pointe-à-Pitre, la
matin de leur départ, nous
avons visité le Mémorial ACTe ou Centre caribéen d'expressions et
de mémoire de la Traite et de l'Esclavage, à
la muséographie
très orientée vers les technologies actuelles.
Ce
musée
ultra-moderne consacré à la douloureuse histoire de la Traite des
noirs vers l’Amérique et les Antilles, à l’esclavage donc et à
son abolition en 1848 en Guadeloupe après une première abolition en
1794 votée
par
Robespierre et la Convention :
"Vous
abolissez l'infâme commerce des hommes, ce n'est point assez, il
faut consacrer ce grand jour en rendant aux noirs leur liberté (vifs
applaudissements).
La convention nationale décrète que l'esclavage est aboli dans
toute l'étendue du territoire de la République ; en conséquence,
tous les hommes sans distinction de couleur jouiront des droits de
citoyens français".
la cascade aux écrevisses, très courue
Dans
mon journal de voyage, j’avais noté : "On
nous donne à l’entrée un audio-guide et, si on veut vraiment tout
écouter, la visite dure 2 heures et demi, ce qu’ont fait Mathieu
et Lucile. Je les ai rapidement perdus de vue dès la deuxième salle
et, bien sûr, j’ai passé moins de temps qu’eux.
D’une
part parce que je connaissais déjà
bien
l’histoire de l’esclavage et de la traite, le Code
noir
institué par Louis XIV en
1685
la même année qu’il révoqua l’Édit
de Nantes, signe de l’absence de tolérance et de persécutions à
venir. Ceci étant, j’ai beaucoup appris, notamment le rappel des
philosophes
des
Lumières et de la Franc-maçonnerie dans la lutte et le débat sur
l’esclavage, l’importance de quelques révolutionnaires français
pour imposer l’abolition avant
le rétablissement de l’esclavage par Bonaparte, alors Premier
consul en 1802".
un groupe carnavalesque à Terre de Haut
Je
ne détaille pas davantage tout leur séjour, ponctué de nombreux
repas avec les Bourseau dont l’hospitalité n’est plus à
démontrer. Je crois que Mathieu et Lucile étaient satisfaits du
voyage, et le fait de se retrouver à trois sur des lieux qui furent
importants pour Claire et moi, nous a permis de penser plus vivement
à elle.
Mathieu et le coq à l'anse Crawen
Lucile à la plage Caraïbes
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