Chaque
fois qu'on me parle de mariage, je m'imagine un corset :
j'ignore si c'est parce que c'est vieux, ou parce que c'est
étouffant.
(Luiz
Alfredo Garcia-Roza, L'étrange
cas du Dr Nesse,
trad. Sébastien Roy, Actes sud, 2010)
Après
cinq jours de réunions familiales, au demeurant agréables et
joyeuses, j'ai retrouvé ma solitude. Comme cette notion paraît néfaste à bien de mes contemporains, j'ai quand même envie de
causer de la haute solitude qui est la mienne, celle du poète, de
l'artiste, du contemplatif, du méditatif, du cycliste, du lecteur, du blessé de la vie aussi.
Je n'ignore certes pas qu'il existe des solitudes subies, celle de
l'enfant martyrisé, du collégien racketté, du vieillard abandonné,
de l'épouse délaissée, de l'étranger esseulé, etc...
Mais
pour moi, la solitude est nécessaire, et je dirais même qu'elle est
active, productive, génératrice de rencontres. D'abord, quoiqu'on
dise, on est toujours, et réellement seul. En
couple, en société, au travail, dans les loisirs, dans les
groupements politiques ou syndicaux, dans les sports, dans les
manifestations festives, et même dans les églises, on peut donner
le change, afficher une convivialité factice, faire semblant. Mais,
comme dans le conte d'Andersen, le Roi est nu.
Andersen : relire Les habits neufs de l'empereur
Il
faut faire avec. Accepter. Et même accueillir. Pour ne pas subir. Je
sais, c'est très difficile, surtout aujourd'hui, à l'heure de la
communication permanente, des téléphones qui nous suivent partout
(tiens, pas le mien, j'ai la particularité de ne l'emporter pas
quand je vais en ville !), de la télévision allumée sans raison
aucune (là encore, je m'en passe volontiers), de l'internet, des écouteurs vissés dans les oreilles, des
bruits de fond intenses – publicités agressives dans les rues, sur
les murs, engins et machines de toutes sortes
martyrisant nos tympans (camions et voitures,
avions, baffles, marteaux-piqueurs, perceuses, aspirateurs et autres
appareils électriques ménagers : "Un
objet qui réduit en esclavage est monstrueux, et les monstres ne
sont pas beaux",
écrivait Jack London dans son petit essai La
Maison de mes rêves) – qui nous tétanisent, du besoin de savoir
en permanence où l'on est (GPS), mais en oubliant de chercher à
savoir ce que l'on est...
Car
là, si l'on se dirige vers l'être, et non pas l'avoir, le paraître, on
est forcément induit à rechercher le silence et la solitude. J'ai
besoin du silence pour lire, pour écouter de la musique, pour faire
du vélo, pour marcher (c'est pourquoi j'ai arrêté de faire des
marches en groupe), et donc de la solitude, de la plus haute des
solitudes, celle que l'on recherche pour se trouver, pour se créer,
pour s'éprouver, pour grandir... Je ne nie pas l'importance des expériences
vécues en groupe, en couple, dans la vie sociale, dans l'amitié,
dans les rencontres. Mais tant que soi-même, on ne sait pas qui on
est, tant qu'on ne s'est pas rencontré soi-même, aller vers
l'autre, vers les autres, relève de la gageure. Car c'est dans le
silence et la solitude que l'on s'enrichit de ce que l'on peut,
ensuite, apporter aux autres : du fruit de nos lectures, de nos
découvertes personnelles, de l'approfondissement de la vie
intérieure.
D'où
mon goût pour le voyage en solo, pour les retraites monacales (à expérimenter, en fait je n'ai pas encore essayé, mais je suis très tenté, notamment par les repas en silence), pour
le refus des fêtes imposées (à mon goût pires que les impôts !), pour
les promenades à pied ou à vélo (la seule machine qui trouve grâce
à mes yeux, car peu bruyante, elle laisse tous nos sens en éveil et
porte – comme tout exercice corporel – le cerveau à
l'incandescence). Et pourtant, je suis très sociable, je vais
facilement vers les autres, je suis porté vers l'amitié, les
rencontres me font du bien, mais certes non les rencontres imposées par la
publicité, le consumérisme, la peopolisation...
D'ailleurs,
c'est dans le silence qu'on réalise plus sûrement le mystère de
l'amour : "Tu
es venue quand au parterre sonne le muguet, venue avec le corps qu'il
fallait, le silence qu'il fallait dans tout ce bruit du monde",
chante le poète québécois Normand de Bellefeuille. Et comme, cette
année, dans la solitude immense du cargo, Claire est redescendue en
moi pour un accompagnement transcendantal (comprenne qui voudra !), j'ai encore mieux compris
la valeur du silence et de la solitude, de la simplicité et de
l'amour, du retrait partiel du monde.
Si
nous voulons vraiment être libres, délivrons-nous des corsets
étouffants imposés par l'extériorisation excessive de la vie, libérons-nous de "la
lourdeur du monde, c'est-à-dire [du] poids de son agitation un peu
vaine, [du] bruit de sa rumeur certains jours si assommante"
(que dénonce si justement Jean-François Beauchemin dans La
fabrication du monde),
faisons
le choix de développer notre vie intérieure ; elle seule, par
son enrichissement, peut nous aider à nous approcher des autres, à
leur apporter, éventuellement, quelque chose.
les fleurs, dans leur nudité, nous parlent quand on est seul
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