jeudi 1 août 2013

1er août 2013 : "Fanny" ou les grâces du mélo


Une rose d'automne est plus qu'une autre exquise

(Agrippa d'Aubigné, Les Tragiques)



Je ne sais pas si je resterai un nouvel été à Bordeaux ou dans la région, tant il y fait chaud, en tout cas cette année. 35° dehors cet après-midi, déjà 27° dedans, tous volets fermés ainsi que les fenêtres pour empêcher l'air chaud d'entrer ! Il y a eu trop peu de courant d'air cette nuit, et la température intérieure n'est pas descendue au-dessous de 24°3... Bon, on survit, j'ai rempli d'eau la baignoire pour m'y rafraîchir, et j'essaie de m'agiter le moins possible. Seul le vélo, à l'extérieur, me procure un semblant de vie pleine d'agrément...

J'ai recommencé à pleurer en septembre 2008, après plus de trente ans sans qu'aucune larme ne soit tombée, même pendant les coups durs (et j'en ai eu mon compte !). Déjà enfant, je pleurais peu, mon père n'aimant pas qu'un garçon pleure. Je m'étais confectionné une carapace. Pendant mes douleurs d'estomac (1965-1968, arrivant du reste toujours pendant l'été) et mes coliques néphrétiques (1972), je me pliais en deux, me recroquevillais sur moi-même, mais ne garde pas le souvenir de pleurs. Mais en ce mois de septembre 2008, quand le chef de service de l'hôpital m'annonce froidement, après avoir examiné Claire dans la chambre où elle venait d'être hospitalisée, au milieu du couloir où j'attendais son verdict : « Vous pouvez commander la chaise roulante pour son retour ! », avant de me quitter sur le champ, j'ai été sidéré. Je l'aurais battu ! La jeune interne, qui avait tout entendu, voyant mes yeux brouillés, m'a fait venir dans son bureau et m'a donné les explications nécessaires. Mais, sitôt rentré à la maison, j'ai eu besoin de téléphoner à ma mère ; et alors, je me suis mis à pleurer, longuement, sans discontinuer, pendant une heure : la digue avait cédé... Et maman qui me disait : « Pleure, y a pas de honte à ça, ça fait du bien ! », tandis que je n'arrivais pas à aligner plus de trois mots audibles.

Depuis, je pleure assez fréquemment, les larmes viennent vite et je suis obligé de me munir de mouchoirs et d'enlever mes lunettes. La moindre émotion me terrasse. Pendant les neuf derniers mois de Claire (la gestation de sa mort), je me suis toujours retenu à la maison, ne voulant pas la chagriner davantage. J'éclatais en plein air, lors de mes sorties vélo. Et ma mère avait raison, ça faisait du bien ! Maintenant, c'est le plus souvent en lisant un roman, en voyant un film, que les digues cèdent de nouveau.

Là, je viens de voir Marius et Fanny, les films de Daniel Auteuil d'après Pagnol ; je n'étais pas allé voir sa Fille du puisatier, d'abord parce que c'était le film le plus faible de Pagnol (selon moi), et puis parce que la bande-annonce me donnait l'impression qu'Auteuil surjouait l'accent marseillais. Mais on m'affirmait que les deux premiers volets de la fameuse trilogie étaient bien meilleurs ; l'Utopia étant fermé pour remise en état de la clim, j'ai dû me rabattre sur les cinémas commerciaux pour trouver quelque chose à mon goût. Et, en cette saison de blockbusters et de dessins animés américains dont j'avais vu plusieurs fois les bandes-annonces décourageantes, et le peu de films français valables sortant en été, je me suis dis : pourquoi pas ? Et si Marius ne me plaît pas, je n'irai pas voir le second volet. 


 

Ça doit bien faire quarante ans que je n'ai pas vu les anciens films avec Raimu, Pierre Fresnay et Orane Demazis. J'avais lu les livres auparavant, et le personnage de Marius m'avait toujours séduit par son envie de partir (mon goût du nomadisme et des longs voyages sur mer vient-il de lui ? En partie, probablement). Et puis, les films (surtout les deux premiers, César m'a toujours paru long et boursouflé) m'avaient ému. Je voulais voir si Daniel Auteuil ferait sourdre aussi bien l'émotion en s'emparant d'une histoire archi-connue, du moins de moi. Eh bien, pari réussi, les films sont très honnêtes, bons même (tellement supérieurs aux remakes américains de 1938 et 1961). Si j'ai sorti deux ou trois fois mon mouchoir pendant la projection de Marius, ce fut le déluge pendant celle de Fanny qui, de la trilogie, a toujours été mon préféré. Celui où Orane Demazis atteignait au sublime (pour moi, car je connais nombre de personnes qui ne pouvaient pas supporter cette actrice !). La fille enceinte sans être mariée (le déshonneur à l'époque chez nous, et sans doute encore dans bien des pays), le brave homme de Panisse qui accepte pourtant de l'épouser, le retour de Marius qui veut reprendre femme et enfant, et le vieux César qui lui explique que ce n'est pas tout de donner la vie. Bref, dans un grand nombre de scènes l'émotion sourd, non pas vraiment du mélo, mais de la profonde humanité des personnages. 


 

Ici, Auteuil, qui a d'ailleurs bien allégé les scénarios, n'en fait pas des tonnes et campe un César sobre, Darroussin est parfait en Panisse, Chazel en Honorine. Mais les deux jeunes acteurs, qui ont plus l'âge des rôles (Fresnay avait 34 ans, Demazis 37, lors du tournage de Marius, finalement ils avaient le bon âge pour le tournage de César qui se passe vingt ans plus tard), sont eux aussi parfaits : Raphaël Personnaz a pourtant 32 ans et Victoire Belezy 23 (les personnages sont censés avoir 20 et 18 ans), mais ils sont magnifiquement dirigés, comme aussi tous les seconds rôles. Mention bien au décorateur, au chef-opérateur (belles couleurs chaudes), au musicien (pas de trémolos abusifs). Bref, c'est une réussite. Et me voici sensible aux mots de Musset : « Vive le mélodrame où Margot a pleuré ! » Je m'y laisse aller moi aussi et tant pis pour les puristes.

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