Une
rose d'automne est plus qu'une autre exquise
(Agrippa
d'Aubigné, Les
Tragiques)
Je
ne sais pas si je resterai un nouvel été à Bordeaux ou dans la
région, tant il y fait chaud, en tout cas cette année. 35° dehors
cet après-midi, déjà 27° dedans, tous volets fermés ainsi que
les fenêtres pour empêcher l'air chaud d'entrer ! Il y a eu
trop peu de courant d'air cette nuit, et la température intérieure n'est pas
descendue au-dessous de 24°3... Bon, on survit, j'ai rempli d'eau la
baignoire pour m'y rafraîchir, et j'essaie de m'agiter le moins
possible. Seul le vélo, à l'extérieur, me procure un semblant de
vie pleine d'agrément...
J'ai
recommencé à pleurer en septembre 2008, après plus de trente ans
sans qu'aucune larme ne soit tombée, même pendant les coups durs
(et j'en ai eu mon compte !). Déjà enfant, je pleurais peu,
mon père n'aimant pas qu'un garçon pleure. Je m'étais confectionné
une carapace. Pendant mes douleurs d'estomac (1965-1968, arrivant du reste
toujours pendant l'été) et mes coliques néphrétiques (1972), je
me pliais en deux, me recroquevillais sur moi-même, mais ne garde
pas le souvenir de pleurs. Mais en ce mois de septembre 2008, quand le
chef de service de l'hôpital m'annonce froidement, après avoir
examiné Claire dans la chambre où elle venait d'être hospitalisée,
au milieu du couloir où j'attendais son verdict : « Vous
pouvez commander la chaise roulante pour son retour ! »,
avant de me quitter sur le champ, j'ai été sidéré. Je
l'aurais battu ! La jeune interne, qui avait tout entendu, voyant mes yeux brouillés, m'a
fait venir dans son bureau et m'a donné les explications
nécessaires. Mais, sitôt rentré à la maison, j'ai eu besoin de
téléphoner à ma mère ; et alors, je me suis mis à pleurer,
longuement, sans discontinuer, pendant une heure : la digue
avait cédé... Et maman qui me disait : « Pleure, y a pas
de honte à ça, ça fait du bien ! », tandis que
je n'arrivais pas à aligner plus de trois mots audibles.
Depuis,
je pleure assez fréquemment, les larmes viennent vite et je suis
obligé de me munir de mouchoirs et d'enlever mes lunettes. La
moindre émotion me terrasse. Pendant les neuf derniers mois de
Claire (la gestation de sa mort), je me suis toujours retenu à la
maison, ne voulant pas la chagriner davantage. J'éclatais en plein
air, lors de mes sorties vélo. Et ma mère avait raison, ça faisait
du bien ! Maintenant, c'est le plus souvent en lisant un
roman, en voyant un film, que les digues cèdent de nouveau.
Là,
je viens de voir Marius et Fanny, les films de Daniel
Auteuil d'après Pagnol ; je n'étais pas allé voir sa Fille du
puisatier, d'abord parce que c'était le film le plus faible de
Pagnol (selon moi), et puis parce que la bande-annonce me donnait
l'impression qu'Auteuil surjouait l'accent marseillais. Mais on
m'affirmait que les deux premiers volets de la fameuse trilogie
étaient bien meilleurs ; l'Utopia étant fermé pour remise en
état de la clim, j'ai dû me rabattre sur les cinémas commerciaux
pour trouver quelque chose à mon goût. Et, en cette saison de
blockbusters et de dessins animés américains dont j'avais vu
plusieurs fois les bandes-annonces décourageantes, et le peu de
films français valables sortant en été, je me suis dis : pourquoi
pas ? Et si Marius ne me plaît pas, je n'irai pas voir
le second volet.
Ça
doit bien faire quarante ans que je n'ai pas vu les anciens films
avec Raimu, Pierre Fresnay et Orane Demazis. J'avais lu les livres
auparavant, et le personnage de Marius m'avait toujours séduit par
son envie de partir (mon goût du nomadisme et des longs voyages sur
mer vient-il de lui ? En partie, probablement). Et puis, les
films (surtout les deux premiers, César m'a toujours paru
long et boursouflé) m'avaient ému. Je voulais voir si Daniel Auteuil
ferait sourdre aussi bien l'émotion en s'emparant d'une histoire
archi-connue, du moins de moi. Eh bien, pari réussi, les films sont
très honnêtes, bons même (tellement supérieurs aux remakes
américains de 1938 et 1961). Si j'ai sorti deux ou trois fois mon
mouchoir pendant la projection de Marius, ce fut le déluge
pendant celle de Fanny qui, de la trilogie, a toujours été
mon préféré. Celui où Orane Demazis atteignait au sublime (pour
moi, car je connais nombre de personnes qui ne pouvaient pas
supporter cette actrice !). La fille enceinte sans être mariée (le
déshonneur à l'époque chez nous, et sans doute encore dans bien
des pays), le brave homme de Panisse qui accepte pourtant de
l'épouser, le retour de Marius qui veut reprendre femme et enfant,
et le vieux César qui lui explique que ce n'est pas tout de donner
la vie. Bref, dans un grand nombre de scènes l'émotion sourd, non pas vraiment du
mélo, mais de la profonde humanité des personnages.
Ici,
Auteuil, qui a d'ailleurs bien allégé les scénarios, n'en fait pas
des tonnes et campe un César sobre, Darroussin est parfait en
Panisse, Chazel en Honorine. Mais les deux jeunes acteurs, qui ont
plus l'âge des rôles (Fresnay avait 34 ans, Demazis 37, lors du
tournage de Marius, finalement ils avaient le bon âge pour le
tournage de César qui se passe vingt ans plus tard), sont eux
aussi parfaits : Raphaël Personnaz a pourtant 32 ans et
Victoire Belezy 23 (les personnages sont censés avoir 20 et 18 ans),
mais ils sont magnifiquement dirigés, comme aussi tous les seconds
rôles. Mention bien au décorateur, au chef-opérateur (belles
couleurs chaudes), au musicien (pas de trémolos abusifs). Bref,
c'est une réussite. Et me voici sensible aux mots de Musset :
« Vive le mélodrame où Margot a pleuré ! » Je m'y
laisse aller moi aussi et tant pis pour les puristes.
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