J'ai
une âme de manouche, dit Partisoti. Je prends la vie comme elle
vient, au fur et à mesure de rien. La terre appartient au soleil,
aux étoiles. L'homme ne fait que passer.
(Monique
Enckell, Quand
je serai grand, je serai étrangère)
En
fin de compte, j'aurai passé l'été à Bordeaux ou avec des
va-et-vient dans les environs proches (Dordogne, Landes) ou peu
éloignés (Poitou-Charentes, Vendée). J'aurai trempoté mes pieds
dans l'océan et le lac à Biscarosse, en piscine à Brocas, mais,
comme comme on le sait, l'eau n'est pas mon fort – du moins pour
m'y mouiller, il n'y a guère que sous les Tropiques que je lui
trouve du charme, parce que suffisamment tiède pour mon corps trop
peu gras. Et pourtant, j'aime la mer ; en relisant Delph
le marin,
pour la première fois depuis 1955, sans doute (je l'avais reçu en prix
en juillet 1955 en fin de CM 2, heureuse époque où l'on
encourageait les jeunes à la lecture par ce biais), je me suis rendu
compte à quel point ce modeste roman (que je continue à trouver
excellent) m'avait influencé, me poussant vers Jules Verne,
Stevenson, Melville, Conrad, et autres grands romanciers de la mer, et donné
tout bonnement l'envie de naviguer à mon tour, un jour. J'ai attendu
la vieillesse, et le vœu fait à Claire de faire un grand voyage en
cargo (« le voyage en cargo, tu dois le faire, pour moi »,
telles furent ses dernières paroles vraiment distinctes chuchotées
à mon oreille, en avril 2009), et comme ça m'a beaucoup plu, de
réitérer.
la fontaine des Trois grâces, place de la Bourse
haut lieu du tourisme l'été
Même
le film que j'ai vu hier, Hijacking,
qui raconte l'odyssée d'un petit cargo danois (seulement sept
membres d'équipage) assailli par des pirates dans la mer d'Oman,
excellent film à suspense, ne m'en a pas découragé. J'ai pourtant
vu que la peau des otages ne vaut pas cher pour les patrons des
compagnies maritimes, et qu'en cas d'attaque de pirates, il faut
s'attendre à une séquestration longue, et peut-être à des sévices
ou à la mort. Mais ne sommes-nous pas de passage sur terre ?
C'est vrai que c'est assez angoissant.
On va encore me demander pourquoi je vais voir ces films, comme ceux qui parlent de la mort, de la maladie, de la misère, du mal de vivre ; mais ne doit-on pas se préparer à ce qui risque de nous arriver ? Je pense que si j'en avais vu davantage avant, j'aurais été d'un meilleur accompagnement pour Claire, quand elle fut malade.
On va encore me demander pourquoi je vais voir ces films, comme ceux qui parlent de la mort, de la maladie, de la misère, du mal de vivre ; mais ne doit-on pas se préparer à ce qui risque de nous arriver ? Je pense que si j'en avais vu davantage avant, j'aurais été d'un meilleur accompagnement pour Claire, quand elle fut malade.
Je
suis à un âge où je ne supporte plus le pur « divertissement »
(l'ai-je jamais supporté d'ailleurs ?), c'est-à-dire de se tenir à
l'écart des problèmes, dans l'oubli. Je tiens à être dans le
présent, je ne me suis jamais drogué, justement pour ne pas être
hors de moi et du monde qui m'entoure : je fréquente des très
vieux, des très malades aussi, des gens en difficulté sociale,
pourquoi fermer mes yeux sur ce qui existe ? En quoi le
divertissement peut-il m'aider à apporter ma petite contribution à
leur égard ? Je n'ai pas envie de fermer les yeux sur nos
faiblesses, nos petits malheurs liés au vieillissement, si je vois
une comédie, c'est qu'elle est liée à ces problèmes, qu'elle
touche à notre humanité : mais les blagues imbéciles des
animateurs télé ou radio, les gags idiots ou salaces de certains
films, les romans de deux sous, les articles people d'une certaine presse, non merci, non merci, non merci !
"Les
hommes n'ayant pu guérir la mort, la misère, l'ignorance [j'ajoute
la maladie, le vieillissement, la solitude subie, etc.], ils se sont
avisés pour se rendre heureux de n'y point penser",
nous dit Blaise Pascal. Je suis pour ma part plus heureux d'y penser,
et de ne point les oublier, de ne pas m'en divertir, de m'y préparer
même quelque peu, en aidant par mes visites mes vieux amis ou ceux
qui sont malades, car je sais que dans leur grande solitude, ils ont
besoin qu'on pense à eux, qu'on ne les oublie pas.
Je
viens d'achever ma postface à l'anthologie bilingue
français-allemand des poèmes d'Odile Caradec, à paraître en fin
d'année ou en début d'année prochaine. Douze pages écrites en hommage à
cette vieille dame qui, à quatre-vingt huit ans, n'a pas encore
baissé les bras. Quelques jours de lecture et de travail
intellectuel, puisque c'est ce que je sais faire le mieux. Mais quel
plaisir quand je l'entends me dire : « Jean-Pierre, tu es
un homme précieux ! » Allons, le monde marche mieux quand
on est dedans que quand on est dans le divertissement, ça me fait
mal de voir les terrasses de café surchargées, les boîtes de nuit
faire florès (ah ! ce n'est pas elles qui sont près de faire
faillite !), tandis que des tas de vieillards sont abandonnés
en maison de retraite ou dans la solitude tragique de leur
appartement. Et ça ne m'empêche pas de rire, loin de là... Mais
Molière m'a habitué à être difficile : la comédie aussi
doit avoir du sens !
la dune du Pyla : cinq visites cette année
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