le
pouvoir des juntes, militaires ou civiles, religieuses ou laïques,
n’est jamais que celui, impitoyable, des riches.
(Alain
Accardo, La décroissance,
avril 2013)
Un
état peut-il ne pas être voyou ?
Les puissances occidentales ont facilement tendance – pour mieux se
dédouaner – de lancer ce terme d'états voyous principalement aux
états qui les contrarient dans leurs intérêts : dictatures
communistes comme la Corée du Nord, islamistes comme la Libye de Kadhafi, l'Iran des
Mollahs ou l'Afghanistan des Talibans, « républiques »
d'Afrique noire avec leurs présidents à vie, etc. Je ne nie pas les défauts de ces états, mais ne devrait-on pas balayer devant notre porte ?
N'oublions pas que la Suisse, état soi-disant modèle de démocratie
bourgeoise, est aussi celui où le blanchiment de l'argent sale est
sans doute l'activité la plus rentable, et qu'elle fut la sauvegarde des
intérêts financiers des nazis. Est-ce un état voyou ? Bien
sûr que non, la Suisse n'est ni islamiste, ni communiste, ni république
bananière... Qu'Israël occupe illégalement des territoires d'où ils ont chassé les Palestiniens à grands coups de bulldozers pour
faire place à des colonies de peuplement qui se veulent
irréversibles et empêcheront, non seulement la création d'un état
palestinien viable, mais toute réconciliation entre les deux peuples. Que
ce même état dicte ses conditions aux compagnies aériennes de nos
pays pour empêcher telle ou telle personne de monter dans un avion à
destination de Tel Aviv pour aller en territoire palestinien. Alors même qu'ils ont détruit tous les aéroports palestiniens et qu'on est obligé de passer par chez eux. Est-ce un
état terroriste ? Bien sûr que non, Israël n'est ni islamiste, ni
communiste, ni république bananière...
Que les USA, non contents
d'espionner toute la planète (ce qui ne leur a pas permis –
curieusement ??? – de déjouer les attentats du 11
septembre !), y compris sans doute ce que j'écris en ce moment, ont
vassalisé à ce point nos propres états qu'ils ont décidé d'empêcher
l'avion présidentiel d'Evo Morales de survoler nos espaces aériens
le 2 juillet dernier, en provenance d'un voyage diplomatique à
Moscou. Voilà, Edward Snowden y était peut-être caché (mais à quoi peut bien leur servir leur capacité d'espionnage, grand Dieu ?) !
Ce qui était faux ; mais les USA voulaient seulement vérifier que nos
pays étaient toujours à leur botte ! Bingo. Hollande, qui n'en
rate pas une, a donné le feu rouge au survol, ainsi que le Portugal
et l'Italie. Quant à l'Autriche, où l'avion bolivien a dû se
poser, elle souhaitait par son ambassadeur – sur ordre américain, certainement –
faire fouiller l'avion avant d'autoriser son départ, ce qu'Evo
Morales a refusé énergiquement. Les USA, la France, le Portugal,
l'Italie, l'Autriche, sont-ils des états terroristes ? Bien sûr
que non, ils ne sont ni islamistes, ni communistes, ni républiques
bananières...
Dans
une tribune publiée par Le
monde diplomatique,
Evo Morales écrit : "Violant
tous les principes de la bonne foi et les conventions
internationales, Washington a transformé une partie du continent
européen en territoire colonisé. Une injure aux droits de l'homme,
l'une des conquêtes de la Révolution française." Oui, comme
ajoute Morales, "l'obéissance aux ordres qu'on leur donnait"
confirme que ces pays sont "soumis" à "l'impérialisme
américain". Revoilà donc le fameux impérialisme américain,
que copie d'ailleurs Israël, en donnant des injonctions à nos états
pour les voyageurs par avion.
Nous
sommes, il est vrai, soumis à l'impérialisme économique libéral,
celui des puissances d'argent. Mais cet impérialisme ne parviendrait
pas à nous dominer s'il n'était aussi totalitaire : comme écrit
Alain Accardo dans Engagements (Agone éd.),
les USA on su "mettre
en œuvre,
dans le cadre du fameux « plan Marshall », leur rêve
d'hégémonie mondiale au moyen d'injections massives de dollars, de
chewing-gum, de Coca-Cola, de DDT, de pin-ups et autres ingrédients
de l'american
way of life
qui allaient rapidement transformer les pays occidentaux en
satellites de Washington, leurs administrations en bureaux d'affaires
des trusts et leurs populations en troupeaux robotisés de
consommateurs conditionnés par les banques et les agences de
publicité."
On a réussi à nous faire croire – et c'est totalement ancré dans
nos cerveaux – que la libération, le progrès, l'ouverture, la
modernité, que "l’avenir
du genre humain est voué au mode de vie made
in USA,
[pourtant particulièrement] insane, schizophrénique, totalement aliénant et soumis aux
exigences du capitalisme mondialisé, [mais] qui apparaît aux
petits-bourgeois comme l’objectif suprême du progrès humain".
Or, ce
mode de vie, d'où tout idéal a disparu au profit d'un matérialisme
consumériste effréné, ce mode de vie qui transforme nos enfants, adolescents et
adulescents en zombies hébétés pendus à leurs téléphones portables, qui font la queue aux Wolverine,
World
War Z,
Pacific
Rim,
American
nightmare
et autres Percy
Jackson,
sans parler des dessins animés aussi ineptes qu'agressivement laids
ou des jeux vidéo aliénants et addictifs, personnellement, je n'en
veux pas. Comme Cyrano de Bergerac, chez Rostand, j'ai envie de
dire : "non,
merci ; non, merci ; non, merci !"
On
s'est fait rouler dans la farine, et on en redemande ; jusqu'à
nos juges (dont on se demande s'ils ne sont pas stipendiés par les
multinationales) qui veulent autoriser à nouveau le maïs OGM. Il
est vrai que, pour compenser, on va multiplier les productions
« bio » ou « sans gluten ». Cherchez l'erreur... Et nos élus,
fascinés par le modernisme technologique – et les retombées financières attendues – veulent nous faire avaler les couleuvres du
gaz de schiste ou des aéroports pharaoniques. À quoi bon un
aéroport nouveau à Nantes si on ne peut pas s'y embarquer pour Israël
et rendre visite à nos amis palestiniens ? À quoi bon risquer de nouveaux dégâts écologiques à long terme ? Il est vrai que pour les actionnaires, c'est : après nous, le déluge !
Et,
pendant ce temps-là, les librairies crèvent. Et qui lit encore La
Nouvelle Héloïse ou
Gaspard
de la
nuit,
pour ne citer que deux titres parmi tant d'autres ? Ils
deviendront "des
« classiques » dont on connaissait le nom, mais que seule
une poignée d'universitaires et de curieux avaient vraiment lus",
comme l'indique Jean-Pierre
Ohl, dans son beau roman Monsieur
Dick ou le dixième livre (Gallimard).
Il est vrai qu'ouvrir son esprit à la littérature, à
l'art, à la nature, à la belle musique, à l'amitié, à la
spiritualité, à tout ce qui ne permet pas de rentabiliser son temps
en espèces sonnantes et trébuchantes, ne relève pas de ce que nos
maîtres nous imposent : consommer.
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