mercredi 14 août 2013

14 août 2013 : exception culturelle ???



Et finalement, que nous importe une longue vie, si elle est pénible, pauvre en amis et riche en souffrances, au point que nous ne pouvons qu'accueillir la mort comme une délivrance ?

(Sigmund Freud, Le malaise dans la culture, trad. Pierre Pellegrin, Flammarion)



On nous parle d'exception culturelle, qu'on veut à juste titre préserver... Mais où est-elle ? Cet été, seules les salles d'art et d'essai proposent une variété de films ; dans les grands circuits, c'est 80 % de films américains (drôle d'exception, j'appelle ça colonisation culturelle) et 20 % de films français. À Bordeaux, seul l'Utopia donne une proportion normale de films : sur 27 films proposés, 11 français, 6 américains, 2 japonais, 2 anglais, 2 italiens, 1 danois, 1 grec, 1 iranien, 1 tchadien, ce qui me semble correspondre plus à la variété culturelle que personnellement, je recherche. On nous dit : c'est la faiblesse du cinéma français en ce moment qui fait que Hollywwod ratisse 85 % des entrées cet été ! Or, c'est faux, il y a eu de bons films, par exemple la dilogie Marius et Fanny de Daniel Auteuil, Landes de François-Xavier Vives, Michael Kohlhaas d'Arnaud Des Pallières, L'attentat de Ziad Doueiri, L'inconnu du lac d'Alain Guiraudie, le dessin animé Aya de Yopugon (tous films que j'ai vus), mais malheureusement, la majorité du public, notamment jeune, a le cerveau totalement colonisé par Hollywood qu'il n'est plus capable d'être intéressé par autre chose que par les blockbusters. Je me dis parfois qu'il est temps que je quitte ce monde américanisé jusqu'à la moelle.

J'étais chez le coiffeur ce matin. J'y arrive toujours en avance afin de lire la presse people – tout m'est utile – et j'ai été édifié par Paris-Match, par exemple, dont 60 % des pages sont consacrées au monde anglo-saxon, comme si c'était censé nous intéresser : en fait, ça nous intéresse uniquement parce qu'on en parle sans arrêt. Mais les frasques des stars d'Hollywood, les états d'âme des magnats de la bourse américaine, la naissance princière en Angleterre, franchement, en quoi ça nous concerne ? Je pose la question. Pareillement, en librairie, et même sur les pages culturelles des grands journaux, il vaut mieux être un auteur américain pour être en piles sur les tables ou chroniqué : il n'y en a que pour eux, que ce soit dans Libé, Le monde ou Télérama. La colonisation culturelle est bien en marche. Je vous demande un peu pourquoi : aux USA, pour ce que j'en ai vu en 1979, s'il y a trois auteurs français dans une librairie, c'est bien le bout du monde, et ça m'étonnerait que ça ait changé depuis, si même il y a encore des librairies ! Si l'on veut appliquer l'exception culturelle, comme moi, lisons les auteurs français d'abord, les auteurs européens ensuite, et le reste du monde aussi, mais il n'y a aucune raison de mettre les Américains en vedette. On en apprend autant (et même plus) sur l'humanité dans un roman marocain, chilien ou japonais que dans les romans américains, même si ces derniers ne sont pas à négliger, mais en restant à leur place. Quant à notre télévision, elle copie toutes les conneries américaines, rarement leurs réussites.

Les USA ont même réussi à nous fourguer leurs fast-foods, et la majorité de nos gamins ne jurent plus que par les McDo, KFC, Quick et autres officines qu'on n'ose pas appeler restaurants, et qui les entraînent vers une obésité galopante, à grands renforts de hamburgers et de coca cola. L'horreur est en vue ! Et nous sommes esclaves consentants d'un mode de vie absurde, nous adultes, en n'étant plus capables de nous opposer à la pub envahissante qui guide nos gamins et gamines vers ce Big brother médiatique, que même George Orwell n'avait pas prévu. On s'étonne qu'il y ait des résistances dans certains pays, surtout musulmans (Iran, Irak, etc.). Moi, ce qui m'étonne, c'est qu'on ne se batte pas plus vigoureusement contre cette mainmise culturelle (au sens large : cinéma, télévision, livres, bouffe, vêtements – pas moyen de trouver un tea-shirt avec du français écrit dessus !, etc.) qui est en train de nous transformer en colonisés dans nos têtes. "Ce qui fait la force de l'ordre établi [par les USA], c'est précisément qu'il n'est pas seulement établi à l'extérieur des individus, mais qu'il est établi en même temps dans leurs têtes, dans leurs tripes, inviscéré, incorporé, devenu chair et sang, conscience et surtout inconscient", nous dit Alain Accardo dans Engagements. Comment ne pas souscrire à cette assertion ?

C'était ma journée colérique d'anti-américanisme primaire !

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