Et
finalement, que nous importe une longue vie, si elle est pénible,
pauvre en amis et riche en souffrances, au point que nous ne pouvons
qu'accueillir la mort comme une délivrance ?
(Sigmund
Freud, Le malaise dans la culture, trad. Pierre Pellegrin,
Flammarion)
On
nous parle d'exception culturelle, qu'on veut à juste titre
préserver... Mais où est-elle ? Cet été, seules les salles
d'art et d'essai proposent une variété de films ; dans les
grands circuits, c'est 80 % de films américains (drôle d'exception,
j'appelle ça colonisation culturelle) et 20 % de films français. À
Bordeaux, seul l'Utopia donne une proportion normale de films :
sur 27 films proposés, 11 français, 6 américains, 2 japonais, 2
anglais, 2 italiens, 1 danois, 1 grec, 1 iranien, 1 tchadien, ce qui
me semble correspondre plus à la variété culturelle que
personnellement, je recherche. On nous dit : c'est la faiblesse
du cinéma français en ce moment qui fait que Hollywwod ratisse 85 %
des entrées cet été ! Or, c'est faux, il y a eu de bons
films, par exemple la dilogie Marius
et Fanny
de Daniel Auteuil, Landes
de François-Xavier Vives, Michael
Kohlhaas
d'Arnaud Des Pallières, L'attentat
de Ziad Doueiri, L'inconnu
du lac
d'Alain Guiraudie, le dessin animé Aya
de Yopugon (tous
films que j'ai vus),
mais malheureusement, la majorité du public, notamment jeune, a le
cerveau totalement colonisé par Hollywood qu'il n'est plus capable d'être intéressé par autre chose que par les blockbusters. Je me dis parfois qu'il
est temps que je quitte ce monde américanisé jusqu'à la moelle.
J'étais
chez le coiffeur ce matin. J'y arrive toujours en avance afin de lire
la presse people – tout m'est utile – et j'ai été édifié par
Paris-Match,
par exemple, dont 60 % des pages sont consacrées au monde
anglo-saxon, comme si c'était censé nous intéresser : en fait, ça
nous intéresse uniquement parce qu'on en parle sans arrêt. Mais les
frasques des stars d'Hollywood, les états d'âme des magnats de la
bourse américaine, la naissance princière en Angleterre,
franchement, en quoi ça nous concerne ? Je pose la question.
Pareillement, en librairie, et même sur les pages culturelles des
grands journaux, il vaut mieux être un auteur américain pour être
en piles sur les tables ou chroniqué : il n'y en a que pour
eux, que ce soit dans Libé,
Le
monde
ou Télérama.
La colonisation culturelle est bien en marche. Je vous demande un peu
pourquoi : aux USA, pour ce que j'en ai vu en 1979, s'il y a
trois auteurs français dans une librairie, c'est bien le bout du
monde, et ça m'étonnerait que ça ait changé depuis, si même il y
a encore des librairies ! Si l'on veut appliquer l'exception
culturelle, comme moi, lisons les auteurs français d'abord, les
auteurs européens ensuite, et le reste du monde aussi, mais il n'y a
aucune raison de mettre les Américains en vedette. On en apprend
autant (et même plus) sur l'humanité dans un roman marocain,
chilien ou japonais que dans les romans américains, même si ces
derniers ne sont pas à négliger, mais en restant à leur place.
Quant à notre télévision, elle copie toutes les conneries
américaines, rarement leurs réussites.
Les
USA ont même réussi à nous fourguer leurs fast-foods, et la
majorité de nos gamins ne jurent plus que par les McDo, KFC, Quick
et autres officines qu'on n'ose pas appeler restaurants, et qui les
entraînent vers une obésité galopante, à grands renforts de
hamburgers et de coca cola. L'horreur est en vue ! Et nous
sommes esclaves consentants d'un mode de vie absurde, nous adultes,
en n'étant plus capables de nous opposer à la pub envahissante qui
guide nos gamins et gamines vers ce Big brother médiatique, que même
George Orwell n'avait pas prévu. On s'étonne qu'il y ait des
résistances dans certains pays, surtout musulmans (Iran, Irak, etc.). Moi, ce qui
m'étonne, c'est qu'on ne se batte pas plus vigoureusement contre
cette mainmise culturelle (au sens large : cinéma, télévision,
livres, bouffe, vêtements – pas moyen de trouver un tea-shirt avec
du français écrit dessus !, etc.) qui est en train de nous
transformer en colonisés dans nos têtes. "Ce
qui fait la force de l'ordre établi [par les USA], c'est précisément qu'il n'est
pas seulement établi à l'extérieur des individus, mais qu'il est
établi en même temps dans leurs têtes, dans leurs tripes,
inviscéré, incorporé, devenu chair et sang, conscience et surtout
inconscient",
nous dit Alain Accardo dans Engagements.
Comment ne pas souscrire à cette assertion ?
C'était
ma journée colérique d'anti-américanisme primaire !
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