Quand
on sait lire, on est armé. Quand on aime lire, on est sauvé.
(Monique
Enckell, Quand
je serai grand, je serai étrangère)
Grande
première aujourd'hui : j'ai vu le nouveau pont de Bordeaux se
lever, pour livrer passage au paquebot Silver cloud (à peine 210
passagers potentiels, ça doit être dans mes cordes, pour ce genre
de voyage) qui repartait après une nuit resté à quai. J'en ai
profité pour faire quelques photos, pour une fois que j'avais pensé
à prendre l'appareil photo.
le pont en train de se lever
Fini
le livre de Raffaele Simone, Pris
dans la toile,
sur les
mutations de ce qu'il appelle la médiasphère dont nous sommes bon
gré mal gré devenus acteurs, avec les nouveaux usages du téléphone,
qui fait notamment effet d'appareil photo, de webcam, de GPS,
d'internet, le tout étant mobile. Tout cela va transformer nos modes
de penser, nos capacités de critiquer, et même nos opinions. La
connaissance change. Nous passons de l'intelligence
séquentielle, liée à l'alphabet et à une certaine lenteur, à
l'’intelligence simultanée liée principalement à l’œil et à
l'oreille. Les médias audiovisuels activent des facultés liées à
une facilité immédiate : "La
« fatigue d'être lecteur » ne peut rivaliser avec la
« facilité d'être spectateur »".
Par opposition au livre, le texte numérique est instable par
définition, immatériel, souvent anonyme. On en arrive à une
dissolution de l’auteur – on ne sait plus si le texte est achevé
ni original – ce qui finit par faire disparaître aussi la responsabilité et le droit
d’auteur. La liseuse, dernier (jusqu'à quand, ça change sans
arrêt !) avatar du livre dématérialise le texte, qui n'a plus ni
poids, ni odeur : impossible de le feuilleter, par exemple. Simone
analyse les sociétés traditionnelles où le savoir, transmis par la
tradition, est préféré à l'innovation et laisse peu de place à
la critique, sociétés fondée sur l'autorité de ce qui est éternel
et qu'on doit respecter, où le savoir est organisé en système
hiérarchisé. Les apprentissages s'y faisaient par la transmission. Dans
la société de la médiasphère, le savoir est démultiplié par une
abondance de sources et de données, éparpillées et non
hiérarchisées parmi lesquelles on doit naviguer. L'école
traditionnelle est dépassée, car elle est trop lente, concurrencée
par ces multiples sources : "Les
choses que l'on apprend « dehors » sont plus
divertissantes, plus simples et plus vivantes que celles que l'on
apprend « entre les murs ». L'acquisition du savoir doit
se débarrasser de la part de « peine, de « pénitence »
et d'ennui qui l'a caractérisée pendant des siècles".
Le « Prologue
dans le train » permet à l'auteur de mesurer les effets de
cette médiasphère :
chacun échappe comme il peut au silence (écouteurs, lecteurs vidéo), à la solitude
(téléphone mobile), converse à distance oubliant qu'il est dans un
espace public, empêchant la concentration de soi et d’autrui dans
des comportements répétitifs de zapping compulsif.
L'auteur
pense que ça
altère
notre rapport au monde. Il conclut en s'interrogeant sur le concept
de « démocratie numérique » qui donne l’illusion
d’une démocratie directe (cf les révolutions arabes ou le phénomène des "indignés"). Comme est patent l'illusion du progrès :
"le
progrès, « c'est notre droit », il n'est pas possible de
nous en priver. Un scientisme naïf nous pousse donc à penser qu'il
doit exister un remède pour n'importe quelle maladie, que chaque
catastrophe naturelle doit être contrôlée (ou même réparée aux
frais de l'État),
que la pollution de la planète sera éliminée d'une certaine
manière et à un certain moment, que la santé peut être protégée
contre n'importe quel risque, que la qualité de la vie ne peut que
s'améliorer... Dans ce cadre, la nature est une amie (et elle sert
pour les vacances), l'avenir est garanti, et le monde n'est qu'un
gigantesque catalogue de destinations de vacances".
Un livre qui fait réfléchir sur notre monde et sur le web, « toile
d'araignée » dans laquelle nous sommes bel et bien pris.
le pont levé
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