dimanche 18 août 2013

18 août 2013 : du progrès


Quand on sait lire, on est armé. Quand on aime lire, on est sauvé.
(Monique Enckell, Quand je serai grand, je serai étrangère)

Grande première aujourd'hui : j'ai vu le nouveau pont de Bordeaux se lever, pour livrer passage au paquebot Silver cloud (à peine 210 passagers potentiels, ça doit être dans mes cordes, pour ce genre de voyage) qui repartait après une nuit resté à quai. J'en ai profité pour faire quelques photos, pour une fois que j'avais pensé à prendre l'appareil photo.



  le pont en train de se lever

Fini le livre de Raffaele Simone, Pris dans la toile, sur les mutations de ce qu'il appelle la médiasphère dont nous sommes bon gré mal gré devenus acteurs, avec les nouveaux usages du téléphone, qui fait notamment effet d'appareil photo, de webcam, de GPS, d'internet, le tout étant mobile. Tout cela va transformer nos modes de penser, nos capacités de critiquer, et même nos opinions. La connaissance change. Nous passons de l'intelligence séquentielle, liée à l'alphabet et à une certaine lenteur, à l'’intelligence simultanée liée principalement à l’œil et à l'oreille. Les médias audiovisuels activent des facultés liées à une facilité immédiate : "La « fatigue d'être lecteur » ne peut rivaliser avec la « facilité d'être spectateur »". Par opposition au livre, le texte numérique est instable par définition, immatériel, souvent anonyme. On en arrive à une dissolution de l’auteur – on ne sait plus si le texte est achevé ni original – ce qui finit par faire disparaître aussi la responsabilité et le droit d’auteur. La liseuse, dernier (jusqu'à quand, ça change sans arrêt !) avatar du livre dématérialise le texte, qui n'a plus ni poids, ni odeur : impossible de le feuilleter, par exemple. Simone analyse les sociétés traditionnelles où le savoir, transmis par la tradition, est préféré à l'innovation et laisse peu de place à la critique, sociétés fondée sur l'autorité de ce qui est éternel et qu'on doit respecter, où le savoir est organisé en système hiérarchisé. Les apprentissages s'y faisaient par la transmission. Dans la société de la médiasphère, le savoir est démultiplié par une abondance de sources et de données, éparpillées et non hiérarchisées parmi lesquelles on doit naviguer. L'école traditionnelle est dépassée, car elle est trop lente, concurrencée par ces multiples sources : "Les choses que l'on apprend « dehors » sont plus divertissantes, plus simples et plus vivantes que celles que l'on apprend « entre les murs ». L'acquisition du savoir doit se débarrasser de la part de « peine, de « pénitence » et d'ennui qui l'a caractérisée pendant des siècles"


 
Le « Prologue dans le train » permet à l'auteur de mesurer les effets de cette médiasphère : chacun échappe comme il peut au silence (écouteurs, lecteurs vidéo), à la solitude (téléphone mobile), converse à distance oubliant qu'il est dans un espace public, empêchant la concentration de soi et d’autrui dans des comportements répétitifs de zapping compulsif. L'auteur pense que ça altère notre rapport au monde. Il conclut en s'interrogeant sur le concept de « démocratie numérique » qui donne l’illusion d’une démocratie directe (cf les révolutions arabes ou le phénomène des "indignés"). Comme est patent l'illusion du progrès : "le progrès, « c'est notre droit », il n'est pas possible de nous en priver. Un scientisme naïf nous pousse donc à penser qu'il doit exister un remède pour n'importe quelle maladie, que chaque catastrophe naturelle doit être contrôlée (ou même réparée aux frais de l'État), que la pollution de la planète sera éliminée d'une certaine manière et à un certain moment, que la santé peut être protégée contre n'importe quel risque, que la qualité de la vie ne peut que s'améliorer... Dans ce cadre, la nature est une amie (et elle sert pour les vacances), l'avenir est garanti, et le monde n'est qu'un gigantesque catalogue de destinations de vacances". Un livre qui fait réfléchir sur notre monde et sur le web, « toile d'araignée » dans laquelle nous sommes bel et bien pris.

le pont levé



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