mardi 30 juillet 2013

30 juillet 2013 : The ladies man



Ils la disaient belle parce qu'ils l'aimaient.

(Barbara Garlaschelli, Deux sœurs, Rivages éd.)



Je reviens d'une virée estivale, au plein cœur de l'été, avec arrêts multiples :

à Arçais (Deux-Sèvres), chez les amis C. et V., où nous avons fêté les 15 ans de Valentin.

à Poitiers (Vienne), où j'ai logé chez I., toujours mal en point (il n'a presque plus de plaquettes) et vu Georges (94 ans) et Odile (88 ans), mes vieux et tendres amis poètes, et fait le point sur la situation de la librairie La belle aventure.

à Montmorillon, où ma vieille amie Léone (93 ans au compteur), m'a réjoui par son énergie, sa foi dans la vie et regonflé pour soutenir I.

à Châtellerault, chez P. et L., toujours ardents défenseurs de la veuve et de l'orphelin, ce qui fait bougrement plaisir, et où j'ai essuyé dans la nuit de vendredi à samedi, vers 3 h du matin, un orage d'une violence inouïe, au point de me réveiller, malgré mes bouchons auriculaires !

aux Sables d'Olonne, pour revoir la cousine de maman (93 ans également), pleine de vie malgré son récent veuvage, et où deux nouveaux orages ont sévi.

et de nouveau à Poitiers, où j'ai revu Georges et Odile, ainsi que mes amis G. (40 ans) et F. (31 ans) : le contraste entre les jeunes et les vieux m'a frappé une fois de plus. Et je suis tellement content d'avoir des amis(e) de tout âge. 
Pour en revenir aux vieilles dames, puisque c'est de cela que je veux parler aujourd'hui, si je rajoute Jeanne (84 ans), ma coreligionnaire de Poitiers, et Fortune (81 ans), ma compagne du voyage de Tanger en 2012, ça me fait une belle panoplie de vieilles dames amies, toutes des solitaires, par choix ou par veuvage, et qui apprécient la compagnie d'un jeune homme (un gamin, comme elles disent !) ; et je les trouve belles, n'en déplaise à ceux qui trouvent que la beauté réside seulement dans la jeunesse du corps. La jeunesse du cœur donne un autre type de beauté, moins éphémère ! Et, à défaut d'être « le tombeur de ces dames » (pour reprendre le titre français du film de Jerry Lewis The ladies man), j'en suis le chouchou, ravies qu'elles sont de voir un homme s'intéresser encore à elles, les écouter, leur parler, les serrer dans mes bras quand je les embrasse.

Le pompon, c'est tout de même Léone, que je qualifie volontiers de « professeur de vie » tant, par son ouverture d'esprit, son besoin d'aller vers les autres, elle me semble plus jeune que bien des jeunes gens. Non seulement elle sort beaucoup de chez elle, mais elle a su se lier d'amitié avec sa voisine (une « jeunette » de 65 ans), et elle est toujours prête à dire oui à toutes les sorties possibles et imaginables : elle va donc avec elle au cinéma (au moins une fois par semaine), aux conférences organisées à Poitiers par l'Université Inter-Âges (car me dit-elle, on apprend à tout âge, et surtout il ne faut pas rester figé sur des acquis quand on peut les prolonger, c'est ce qu'elle appelle la « rentabilisation » du savoir, ce dernier se devant d'être sans cesse réactualisé, partagé avec les autres, et combien je suis d'accord avec elle sur ce point !). 
Léone n'hésite d'ailleurs pas à faire un tour supplémentaire en ULM si l'occasion se présente (le baptême de l'air sur cet engin, à 90 ans, ne lui a pas suffi), à s'inscrire à un voyage organisé (l'an dernier, une croisière en Méditerranée, dont elle était la doyenne, chouchoutée par l'équipage et par l'orchestre qui jouait le soir à la fin du repas La vie en rose, spécialement pour elle) ; mais elle a continué à faire les visites aux escales toute seule, à son propre rythme, sans peur aucune, par exemple à Palerme : « Je demande au (ou à la) guide l'adresse et l'heure du point de ralliement, il (ou elle) me l'écrit sur un bout de papier, et quand je vois l'heure approcher, si je suis perdue, j'entre dans une boutique, je demande qu'ils me commandent un taxi, et hop, je montre au chauffeur mon bout de papier, et je suis à l'heure au rendez-vous », voyage pour lequel elle économise toute l'année 200 euros par mois sur sa maigre retraite de 1100 euros.

Mais, me dit-elle, « ça n'est pas si mal, bien des gens ont moins que ça pour vivre, et une fois que j'ai eu mes prélèvements bancaires obligés, s'il me reste quelque chose, j'aide qui je peux et en a besoin ; je dépense tout et ne garde rien ! Qu'est-ce donc que j'en ferais ? Et quand je donne à un(e) mendiant(e) dans la rue, je ne mets jamais l'argent dans la sébile, mais je lui donne dans la main, en le (la) regardant dans les yeux, et je lui dis un petit mot d'encouragement, pour qu'il (elle) ait un contact humain... » Elle me dit encore : « Pourquoi avoir peur ? Quand on a peur, on ne fait rien, on se ferme comme une huître, on reste prisonnier des "si" : et s'il t'arrive quelque chose ? Que peut-il donc bien m'arriver, à mon âge ? Â tout âge d'ailleurs... » Et elle sourit avec une malice délicieuse qui la fait toute belle, comme l'enfant qu'elle a su rester !

Sacrée Léone – malheureusement désormais presque privée de lecture (elle peut encore, quand c'est écrit très gros), elle dont la maison est tapissée de livres sur ses trois étages – il en faudrait des centaines comme toi, pour que le monde soit plus beau ! Je te souhaite une longue vie, remplie de toutes les joies du présent que tu sais apprécier, riche de rencontres et de petits bonheurs quotidiens. Quand je songe au Paradis, je me dis que, s'il existe, il doit être plein de personnes comme toi, chaleureuses, attentives aux autres et pratiquant le don avec le naturel et la candeur du jeune homme dont parle Michel Piquemal dans Le conteur philosophe : "Je n'ai jamais donné dans l'espoir qu'on me rende. Qu'ils acceptent mes cadeaux était leur plus beau don." 
Oui, tu nous donnes de précieuses leçons de vie !

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