On
coupe les ponts, et tout simplement on avance. On se voit appelé, et
il faut sortir de l'existence qu'on a menée jusqu'alors, il faut
« exister » au sens le plus strict du terme.
(Dietrich
Bonhoeffer, Le prix de
la grâce, Seuil,
1971)
"J’ai
toujours su qu’au plus profond du cœur de l’homme résidaient la
miséricorde et la générosité. Personne ne naît en haïssant une
autre personne à cause de la couleur de sa peau, ou de son passé,
ou de sa religion. Les gens doivent apprendre à haïr, et s’ils
peuvent apprendre à haïr, on peut leur enseigner aussi à aimer,
car l’amour naît plus naturellement dans le cœur de l’homme que
son contraire."
Telles sont les dernières paroles de
ce
film formidable, Mandela,
Un
long chemin vers la liberté,
vraisemblablement extraites du livre dont il est tiré,
l'autobiographie Un
long chemin vers la liberté.
Et signe de la qualité du film, ce livre que je n'ai pas lu (je me
méfie des mémoires des hommes politiques et de leur tendance à
enjoliver leur parcours), j'ai désormais envie de le lire.
Mandela
est sans doute à la fois un monstre sacré, une sorte de mythe et un
symbole du combat de la non-violence pour l'équité et la liberté,
celle portée par Gandhi ou Martin Luther King, un idéal humain en
somme, et possible, bien que Gandhi et King aient été assassinés
et Mandela longtemps emprisonné. Croire que par la force des
convictions, l’obstination de quelques militants pourrait changer
un monde inique, c'était loin d'être gagné, même si le jeune avocat
Mandela, de par sa connaissance du droit et ses qualités d'orateur, était à même de défendre
ses concitoyens noirs et de porter un projet. Je n'ai pas encore vu
le film sur Gandhi (que je possède en dvd), mais j'imagine qu'il est
aussi puissant que celui-ci, à hauteur de l'homme dont la vie est
racontée. Une réussite de biopic, par l'intelligence du scénario,
la vivacité de la mise en scène et aussi par ses qualités
pédagogiques (les collégiens et lycéens, à partir de douze ou
treize ans devraient voir ce film).
Le récit n'édulcore rien et
n’occulte pas les difficultés de la lutte promue par l'ANC,
non-violente au début, puis devant le durcissement des lois
répressives et les massacres commis par la police et par l'armée
dans les townships, devenant lutte armée. Mandela, jeune marié,
doit prendre le maquis, avant d'être arrêté avec sept de ses
compagnons, tous noirs, sauf Kathy, un Indien (coolie) : car l'apartheid ne concernait pas que les noirs mais aussi les autres coloured people. On les
enferme au pénitencier de haute sécurité de l'île de Robben
Island. Il y portera le matricule 466/64 (466ème prisonnier arrivé
en 1964). Les années de prison sont d'une cruauté extrême
(humiliations permanentes, les prisonniers doivent casser des
cailloux, entendre à longueur de journée des "grouille-toi,
négro",
rester la nuit nus sous la pluie, leur correspondance est non seulement
ouverte mais largement découpée et mutilée), mais les détenus
sont très unis et parviennent à mener des actions de revendications
(avoir un pantalon long au lieu d'un simple short, par exemple) ; seul un
gardien un peu plus humain est capable de comprendre l'imbécillité
criminelle de ce régime et adoucit un peu les angles.
Pendant son absence, Winnie Mandela, son épouse, harcelée par la
police et maintes fois emprisonnée, devient une égérie de la lutte
anti-apartheid, dont elle radicalise le discours, en prônant
l’action violente envers les blancs et leurs collaborateurs noirs
qualifiés de traîtres : le film ne cache rien de ça. La phase finale, marquée par l'isolement
grandissant de l'Afrique du sud sur le plan international, les
négociations difficiles avec le président De Klerk, la violence
quasi insurrectionnelle qui précède les premières élections
libres (un homme = une voix), montre le talent charismatique de
Mandela (fort bien rendu par l'acteur Idris Elba), dont le mental n'a
jamais craqué.
J'ai
été évidemment, au moment où je vais retourner en prison mercredi
prochain, très marqué par la violence inhérente au système
carcéral : gardiens obtus, gradés implacables, racisme à la
puissance ², toutes choses qui se retrouvent dans toutes les prisons
du monde, et particulièrement pour les prisonniers politiques. Ces
derniers sont nombreux, même dans nos soi-disant démocraties
expertes dans l'art savant de faire taire les récalcitrants. Je préfère
ne citer personne ni aucun pays (mais la France n'est pas à l'abri)
pour ne pas me faire des ennemis supplémentaires, après les
commentaires acerbes que j'ai reçus lors des blogs d'avril de
soutien au mariage pour tous, d'octobre de soutien à Mme Taubira et
de janvier pour n'avoir pas voulu crier "haro
sur le baudet"
au sujet d'un certain humoriste. Fort heureusement, j'ai reçu
quelques supports aussi. Ouf !
J'ai
compris la leçon, je ne parlerai plus que du ciel bleu, des petites
fleurs, des bluettes littéraires et des petits oiseaux...
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