« Moi,
dit Ximon, il y a des journées où j'ai peur tout le temps, de
n'importe quoi, et ces journées finissent par passer comme d'autres
où au contraire je ne redoute rien, où je suis le plus fort. »
(Mathieu
Lindon, Champion du monde,
POL, 1994)
Comme
je lis beaucoup, je consulte aussi des catalogues de bibliothèques,
puisqu'ils sont désormais sur internet. En consultant celui de la
Bibliothèque départementale des Deux-Sèvres, j'ai ainsi pu
constater que pour mon Journal d'un lecteur, on a inscrit
parmi les sujets "Bibliothérapie".
J'en suis fort heureux, même si ce n'était pas directement mon
objectif. Mais pourquoi pas ? J'ai toujours pensé que lire de
la littérature (romans, contes et nouvelles, théâtre, poésie,
etc.) faisait partie des nombreuses thérapies. Au même titre que
l'exercice physique. Et le héros de Mathieu Lindon, Ximon, est à la
fois joueur de tennis et grand lecteur, notamment de Marcel Proust.
Il faut le voir, lors du Tournoi de Wimbledon, profiter de la pause
d'une minute trente entre deux points pour sortir de son sac Le
temps retrouvé et y piocher la phrase qui va lui donner la force
ou la hargne de dépasser sa fatigue et de vaincre.
Je
me souviens de mes longs séjours à l'hôpital (fin 1968 – début
1969, neuf semaines en tout) pour mon ulcère à l'estomac et des
merveilleux moments que j'ai passés avec Jean Giono (Le hussard
sur le toit), Yambo Ouologuem (Le devoir de violence) et Marguerite Yourcenar (L’œuvre au noir) ;
ces trois livres (et d'autres que j'ai dû lire aussi à ce moment-là,
mais qui ne m'ont pas fait une aussi forte impression) ont fortement
aidé à ma guérison. Car lire ne sert pas seulement à passer le
temps, mais aussi à s'oublier soi-même, son corps délabré, les
tuyaux qui nous sortent de partout, la douleur, la faim même
(puisque je n'avais plus le droit de manger) ; et peut-être par
dessus tout à se fortifier l'âme, à forger son destin. J'ai pu encore le constater lors
de la séance à la prison, où j'ai vu des détenus réclamer des livres à la
bibliothécaire, et j'ai senti à quel point ça leur
faisait du bien, et qui sait, que ça les rendrait plus conscients et plus
aptes à se réintégrer dans la société des hommes libres. Je n'en
suis malheureusement pas aussi certain, car la prison, au contraire
de l'hôpital, ne cherche pas à guérir, et je me souviens du cri de Guy
Gilbert : « des jeunes y entrent, des fauves en sortent ».
Mais
enfin, ceux qui lisent trouveront dans la littérature des armes d'un
autre genre que les kalachnikovs ou la cocaïne pour se fortifier, ne
serait-ce que l'amélioration de leur compréhension de la langue
française. J'ai été frappé encore une fois de voir que certains
n'ont pas eu peur et ont osé demandé à Marie-Hélène Lafon la
signification de tel ou tel mot, parfois fort simple à mes
yeux ; elle avait pourtant bien fait attention à ne pas employer
des grands mots, intellectuels ou rares, démodés ou carrément obsolètes. Elle a
parlé simplement, explicité certaines tournures régionales comme
« faire maison », qui veut dire dans la montagne
cantaloue fonder une famille. S'approprier les mots, le vocabulaire,
le langage, voilà aussi une forme de thérapie. Et dans ce sens, la
prison avec ses bibliothèques, ses contacts extérieurs
(instituteurs, psychologues, visiteurs de prison, etc.), doit pouvoir
aider à élargir sa vision du monde, à trouver à la sortie une
autre place que la délinquance à répétition. Je sais bien que
"l'une
des illusions les plus courantes chez les adultes est la croyance en
une seconde chance"
(John Berger, Un
métier idéal : histoire d'un médecin de campagne,
L'Olivier, 2009).
"Meurs
chaque jour. Nais chaque jour. Nie tout ce que tu possèdes chaque
jour. L'essentiel, ce n'est pas d'être libre, mais de lutter pour la
liberté",
nous dit le Grec Nikos Kazantzaki (oui, l'auteur de Alexis Zorba, joué au cinéma par Anthony Quinn),
dans son très bel essai de spiritualité Ascèse :
Salvatores Dei (Le temps
qu'il fait, 1988). Ce que l'on peut souhaiter aux détenus, c'est que
chacun accepte de mourir à ce qu'il était, pour naître à un autre
futur. Est-ce être trop idéaliste d'y croire, de l'espérer et
d’œuvrer à ce que ça advienne ?
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