On
ne naît pas étranger, on le devient.
(Guillaume
Le Blanc, Dedans, dehors : la condition d'étranger,
Seuil, 2010)
Me
voici rentré précipitamment à Bordeaux – une fuite d'eau m'ayant
été signalée par téléphone, la manette de fermeture de l'arrivée
d'eau chaude s'est cassée, et il y avait un goutte à goutte,
environ un litre d'eau toutes les deux heures – j'attends une
réparation éventuelle pour demain, car bien sûr, le week-end, il ne faut
compter sur personne ; et d'ailleurs, il faut obligatoirement faire appel à la société qui s'occupe de l'ensemble des canalisations de la résidence. La fuite s'est étrangement arrêtée hier soir
vers 22 h, j'ai donc pu dormir tranquille, quoique d'un seul œil !
Dans mon périple Dordogne – Vienne – Vendée –
Charente-maritime, j'ai eu tous les temps : soleil, brouillard
intense (dans la traversée du Marais poitevin), grisaille, pluie et
vent... Il a même fallu à Poitiers dégivrer le pare-brise, il
avait gelé !
La
rencontre avec les prisonniers – le matin à la Maison d'arrêt (=
prévenus en attente de jugement, condamnés à des peines de moins
d'un an, ou condamnés en attente d'affectation en centre de
détention ou maison centrale), l'après-midi au centre de détention
(= peines plus longues, mais pas les condamnés aux très longues
peines qui, eux, vont en maison centrale) – a été, comme souvent avec les
femmes écrivains, un grand moment rempli d'humanité. Je l'avais constaté avec par
exemple Vénus Khoury-Ghata ou Anna Gavalda ; ça s'est confirmé
avec Marie-Hélène Lafon. Sans doute l'auteur n'a rencontré que des
détenus masculins, ce qui explique le bienfait, pour eux, de la
rencontre : ils voient si peu de femmes ! Mais surtout,
elle a parfaitement su se situer, en tant qu'écrivain originaire de
la campagne auvergnate, elle a expliqué ses processus d'écriture,
son « chantier » comme elle l'intitule, et le fait
qu'elle part toujours d'un ancrage dans le réel, le vécu ou les observations, les faits
divers même, mais pour les transformer, les transmuer en quelque
chose d'artistique.
Elle
ne s'est pas un seul instant sentie étrangère dans cet
environnement, et a lu avec beaucoup d'aisance et d'une voix prenante
des extraits de plusieurs de ses romans. Certains en avaient lu et
ont posé des questions pertinentes, d'autres non, mais sont repartis
avec l'intention de s'y mettre. Le problème de la foi est arrivé
sur le tapis. On sait que nombre de détenus se raccrochent à la foi
(souvent à l'islam) en prison, voire se convertissent, et ont du
mal à imaginer qu'on puisse ne pas croire en Dieu. Comme elle
expliquait avoir perdu la foi à seize ans, elle qui avait été
éduquée en institution religieuse, certains se sont récriés
qu'elle la retrouverait un jour !
Les
autres rencontres de mon périple ont été aussi passionnantes :
j'ai revu en Dordogne mon frère qui va mieux et devrait bientôt quitter la maison de convalescence ; à Poitiers, je
suis tombé à la Bibliothèque universitaire sur l'inauguration
d'une exposition sur l'utopie, vaste programme et thématique de
l'année universitaire ; en Vendée, j'ai revu jeudi soir la cousine de ma
mère qui, à 94 ans, est encore un phénomène, et m'a raconté
quelques épisodes de son jeune temps que je ne connaissais pas
encore, et vendredi nous sommes allés déjeuner chez sa fille et son
gendre, un Breton haut en couleurs, originaire de la région de Douarnenez ; enfin, en
Charente-Maritime, j'ai été comme toujours accueilli avec ferveur
chez mes amis qui avaient même prévu de m'emmener hier au
soir à un festival de films japonais, que j'ai, hélas, raté.
J'aurais dû voir La
femme de Gegege,
de Suzuki
Takuji, l'histoire d'un auteur de mangas, très dépaysante,
paraît-il, et grand succès au Japon, mais inédit en France !
Tant pis pour moi !
Et
je suis en train de lire l'admirable livre de Guillaume Le Blanc
(professeur de philosophie à l'Université de Bordeaux), Dedans,
dehors : la condition d'étranger,
paru au Seuil en 2010, qui explore la difficulté, pour l'émigré,
de se penser soi-même comme un autre, ce que les autres voient
irrémédiablement en lui. "L'étranger
n'est-ce pas, en effet, celle ou celui qui se trouve acculé à ne
pas pouvoir être, au sens plein du terme, une vie, précisément
parce que sa vie n'est pas reconnue comme une vraie vie, pleinement
vivable et susceptible de se développer dans un cadre national
neutre ?"
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