Au
XXe siècle, le capitalisme s'est développé en générant une
économie de la guerre permanente où règnent en maîtres de vastes
complexes militaro-industriels qui tirent profit du carnage.
(Mathieu
Rigouste, Les
marchands de peur : la bande à Bauer et l'idéologie
sécuritaire,
Libertalia, 2013)
Il
n'y a sans doute pas de lieu plus propice pour observer l'économie
militaro-industrielle, qui semble l'étape ultime du capitalisme
impérialiste, que l'état d'Israël. Sans doute, les USA, la
France, le Royaume-Uni, la Russie et la Chine sont largement
tributaires, pour leur développement, de cette économie. Mais
Israël, de par sa petite dimension, en est comme un concentré.
Trois films documentaires viennent d'être projetés à l'Utopia, devant des salles
combles, qui le démontrent allègrement.
L'un
d'entre eux, The
Lab,
du documentariste israélien Yotam Feldman, est même consacré à ce
sujet. Il montre bien à quel point le poids de l’armée
a transformé l'économie du pays. Les armements sophistiqués
employés par l’armée contre Gaza et en Cisjordanie s’exportent
dans le monde entier. Le réalisateur explore de quelle manière les
industries d’armement – de loin premières exportatrices du pays,
interfèrent dans la politique. Armes de pointe, technologie militaire de haut niveau,
drones, sont testés sur le terrain dans des guerres et au combat
face aux Palestiniens ou aux pays voisins, avant de s'exporter avec
le savoir-faire qui l'accompagne, dans le monde entier. Au fond,
l’occupation militaire est d'une telle rentabilité pour l’économie
qu'on ne peut plus guère s'en passer… "il y a quelque-chose
d’immoral à produire de l’argent avec du sang, ou à profiter
d’une occupation militaire qui perdure. […] Les
États dont les citoyens dénoncent majoritairement les actions
israéliennes à Gaza permettent en fait ces actions en achetant les
armes qui y sont testées", nous dit le réalisateur. Eh oui, nous
sommes complices, nous aussi, en quelque sorte. Un film terrifiant !
Et
rien ne montre plus l'horreur de l'occupation militaire que les deux
autres films : Route
60,
du Palestinien d'Israël Alaa Ashkar et Ceci
est notre terre : Hébron,
de l'Italienne Giulia Amati et de l'Israélien Stephan Natanson. Le
premier est un périple dans la vie quotidienne des Palestiniens, en
Cisjordanie… que le réalisateur découvre à 34 ans, ce qui
l'amène à se poser des questions sur son identité. Éduqué
en Israël , soumis aux pressions de la société israélienne, il
avait une vision partiale des territoires occupés, et même se
défiait des Palestiniens de Cisjordanie. En parcourant la route 60
qui traverse du nord au sud la Cisjordanie, il interroge les
Palestiniens qu'il rencontre, leur demande ce qu'est pour eux l'occupation, quels
sont leurs rêves, leurs ambitions… et réalise que l'occupation
n'est pas seulement physique mais qu'elle est aussi mentale, qu'elle a envahi les têtes et les cœurs. Les Palestiniens sont bloqués par
les check-point qui rendent difficiles l'accès aux champs ou les
visites à la famille, mais les touristes qui vont en « terre
sainte » ont, eux, des couloirs libres… Ils sont
cernés par les miradors et les murs : voir ce Mur de la honte
sur grand écran est impressionnant ! L'armée est là,
omniprésente pour protéger des colons de plus en plus nombreux.
L'eau est gérée par Israël et la priorité est pour les colons
tandis que les champs palestiniens n'ont presque rien… Impossible pour les Palestiniens d'aller
dans la Jordanie toute proche : le sentiment le plus partagé
est celui de vivre dans une vaste prison à ciel ouvert.
Même
topo dans le second film où l'on découvre que les murs, les
grillages, les miradors, la soldatesque, servent à promouvoir une
colonisation rampante mais bien réelle. La ville d'Hébron est une
ville sacrée (sacrée, quésaco ? demande le rationaliste qui
sommeille en moi devant les propos des colons ultra-orthodoxes, fanatiques et
fascisants) pour les juifs comme pour les musulmans. Une colonie
israélienne s'est installée en plein centre de la ville
palestinienne : 600 colons y vivent sous la protection de 2000
soldats. Les rues de la vieille ville sont désertées, les maisons
occupées, les magasins fermés, les Palestiniens, harcelés, gênés
dans leurs déplacements, finissent de guerre lasse par partir. On
sent que toute la politique de la colonisation est là : obliger
les premiers occupants à partir en leur rendant la vie intenable.
Palestiniens, colons juifs, et les quelques étrangers qui viennent
essayer d'apporter leur aide aux Palestiniens (et se font traiter de
nazis par les colons, sûrs de leur bon droit, d'être chez eux sur
la terre que Dieu leur a donnée), sont interrogés à tour de rôle.
Les images terribles montrent le harcèlement, les insultes, les
coups, les caillassages (en particulier de la part d'enfants) que
subissent les autochtones, sous l’œil narquois des soldats. Les
colons tiennent un discours haineux qui m'a personnellement
épouvanté. Mais en même temps, on comprend mieux pourquoi la
chance de créer un état palestinien s'estompe un peu plus chaque
jour : une fois que la quantité de colons aura atteint un point
de non-retour (à mon avis, c'est déjà le cas), les Palestiniens à
qui on rend la vie impossible, dans ce qui est déjà pour eux une
immense prison à ciel ouvert, partiront d'eux-mêmes, et le Grand
Israël des fous de Dieu (à voir le film, y a pas que les islamistes
qu'on peut traiter ainsi) pourra exister. Inutile de dire que ces
trois films ne passeront probablement jamais à la télévision
française. Vous comprenez maintenant pourquoi je ne la regarde pas.
Que
peut-on faire, me disais-je ? Participer par exemple aux
campagnes BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) en occident :
après tout, le boycott contre l'Afrique du sud a fini par faire
tomber l'apartheid, et remarquons qu'Israël fait partie des états
qui ont soutenu jusqu'au bout la politique sud-africaine incriminée,
d'où peut-être son absence remarquée aux funérailles de Mandela.
Un des étrangers interrogé dans Ceci
est ma terre : Hébron,
est un Africain du sud. Il était estomaqué de voir ces murs de
séparation, ces rues et ces quartiers interdits aux Arabes :
"Même
chez nous, on n'avait pas vu ça !"
BDS est une campagne internationale. Pour plus de renseignements :
http://www.bdsfrance.org/. Il s'agit bien entendu de boycotter les produits israéliens provenant des territoires sous occupation. Et soyons sévère avec notre gouvernement à ce sujet.
Tout
cela me ramène à Dieudonné. Moi qui regarde rarement la télé (uniquement chez les autres), j'ai été tétanisé par la dérive
des médias français qui se sont livrés à une chasse aux sorcières
d'une violence inouïe, d'une entente parfaite dans l'inquisition (on
dirait un procès du Moyen âge, il ne manquait que le bûcher),
d'une pensée unique qui ressemblait à de la propagande manipulant
l'opinion. Des vidéos, toujours les mêmes, sorties de leur
contexte, sont passées en boucle, mais apparemment pas un seul
extrait du spectacle incriminé. À se demander si quelqu'un l'avait
vu. Et je ne parle pas des insinuations à caractère raciste comme
celles de ce président d'association qui lançait à longueur de discours des
« Dieudonné M'bala M'bala » (« Dieudonné »
tout seul faisait sans doute trop blanc) longs comme le bras. Une
vraie paranoïa dans les médias qui parlent tous d'une même voix, comme j'ai pu le voir aussi dans la presse écrite.
Je ne les ai pas entendu condamner aussi vivement les propos de Valls
sur les Roms ni les insultes proférées à Taubira qui, elles,
étaient bien du trouble à l'ordre public.
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