samedi 18 janvier 2014

18 janvier 2014 : du boycott



Au XXe siècle, le capitalisme s'est développé en générant une économie de la guerre permanente où règnent en maîtres de vastes complexes militaro-industriels qui tirent profit du carnage.
(Mathieu Rigouste, Les marchands de peur : la bande à Bauer et l'idéologie sécuritaire, Libertalia, 2013)


Il n'y a sans doute pas de lieu plus propice pour observer l'économie militaro-industrielle, qui semble l'étape ultime du capitalisme impérialiste, que l'état d'Israël. Sans doute, les USA, la France, le Royaume-Uni, la Russie et la Chine sont largement tributaires, pour leur développement, de cette économie. Mais Israël, de par sa petite dimension, en est comme un concentré. Trois films documentaires viennent d'être projetés à l'Utopia, devant des salles combles, qui le démontrent allègrement.
L'un d'entre eux, The Lab, du documentariste israélien Yotam Feldman, est même consacré à ce sujet. Il montre bien à quel point le poids de l’armée a transformé l'économie du pays. Les armements sophistiqués employés par l’armée contre Gaza et en Cisjordanie s’exportent dans le monde entier. Le réalisateur explore de quelle manière les industries d’armement – de loin premières exportatrices du pays, interfèrent dans la politique. Armes de pointe, technologie militaire de haut niveau, drones, sont testés sur le terrain dans des guerres et au combat face aux Palestiniens ou aux pays voisins, avant de s'exporter avec le savoir-faire qui l'accompagne, dans le monde entier. Au fond, l’occupation militaire est d'une telle rentabilité pour l’économie qu'on ne peut plus guère s'en passer… "il y a quelque-chose d’immoral à produire de l’argent avec du sang, ou à profiter d’une occupation militaire qui perdure. […] Les États dont les citoyens dénoncent majoritairement les actions israéliennes à Gaza permettent en fait ces actions en achetant les armes qui y sont testées", nous dit le réalisateur. Eh oui, nous sommes complices, nous aussi, en quelque sorte. Un film terrifiant !
Et rien ne montre plus l'horreur de l'occupation militaire que les deux autres films : Route 60, du Palestinien d'Israël Alaa Ashkar et Ceci est notre terre : Hébron, de l'Italienne Giulia Amati et de l'Israélien Stephan Natanson. Le premier est un périple dans la vie quotidienne des Palestiniens, en Cisjordanie… que le réalisateur découvre à 34 ans, ce qui l'amène à se poser des questions sur son identité. Éduqué en Israël , soumis aux pressions de la société israélienne, il avait une vision partiale des territoires occupés, et même se défiait des Palestiniens de Cisjordanie. En parcourant la route 60 qui traverse du nord au sud la Cisjordanie, il interroge les Palestiniens qu'il rencontre, leur demande ce qu'est pour eux l'occupation, quels sont leurs rêves, leurs ambitions… et réalise que l'occupation n'est pas seulement physique mais qu'elle est aussi mentale, qu'elle a envahi les têtes et les cœurs. Les Palestiniens sont bloqués par les check-point qui rendent difficiles l'accès aux champs ou les visites à la famille, mais les touristes qui vont en « terre sainte » ont, eux, des couloirs libres… Ils sont cernés par les miradors et les murs : voir ce Mur de la honte sur grand écran est impressionnant ! L'armée est là, omniprésente pour protéger des colons de plus en plus nombreux. L'eau est gérée par Israël et la priorité est pour les colons tandis que les champs palestiniens n'ont presque rien… Impossible pour les Palestiniens d'aller dans la Jordanie toute proche : le sentiment le plus partagé est celui de vivre dans une vaste prison à ciel ouvert.
Même topo dans le second film où l'on découvre que les murs, les grillages, les miradors, la soldatesque, servent à promouvoir une colonisation rampante mais bien réelle. La ville d'Hébron est une ville sacrée (sacrée, quésaco ? demande le rationaliste qui sommeille en moi devant les propos des colons ultra-orthodoxes, fanatiques et fascisants) pour les juifs comme pour les musulmans. Une colonie israélienne s'est installée en plein centre de la ville palestinienne : 600 colons y vivent sous la protection de 2000 soldats. Les rues de la vieille ville sont désertées, les maisons occupées, les magasins fermés, les Palestiniens, harcelés, gênés dans leurs déplacements, finissent de guerre lasse par partir. On sent que toute la politique de la colonisation est là : obliger les premiers occupants à partir en leur rendant la vie intenable. Palestiniens, colons juifs, et les quelques étrangers qui viennent essayer d'apporter leur aide aux Palestiniens (et se font traiter de nazis par les colons, sûrs de leur bon droit, d'être chez eux sur la terre que Dieu leur a donnée), sont interrogés à tour de rôle. Les images terribles montrent le harcèlement, les insultes, les coups, les caillassages (en particulier de la part d'enfants) que subissent les autochtones, sous l’œil narquois des soldats. Les colons tiennent un discours haineux qui m'a personnellement épouvanté. Mais en même temps, on comprend mieux pourquoi la chance de créer un état palestinien s'estompe un peu plus chaque jour : une fois que la quantité de colons aura atteint un point de non-retour (à mon avis, c'est déjà le cas), les Palestiniens à qui on rend la vie impossible, dans ce qui est déjà pour eux une immense prison à ciel ouvert, partiront d'eux-mêmes, et le Grand Israël des fous de Dieu (à voir le film, y a pas que les islamistes qu'on peut traiter ainsi) pourra exister. Inutile de dire que ces trois films ne passeront probablement jamais à la télévision française. Vous comprenez maintenant pourquoi je ne la regarde pas.
Que peut-on faire, me disais-je ? Participer par exemple aux campagnes BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) en occident : après tout, le boycott contre l'Afrique du sud a fini par faire tomber l'apartheid, et remarquons qu'Israël fait partie des états qui ont soutenu jusqu'au bout la politique sud-africaine incriminée, d'où peut-être son absence remarquée aux funérailles de Mandela. Un des étrangers interrogé dans Ceci est ma terre : Hébron, est un Africain du sud. Il était estomaqué de voir ces murs de séparation, ces rues et ces quartiers interdits aux Arabes : "Même chez nous, on n'avait pas vu ça !" BDS est une campagne internationale. Pour plus de renseignements : http://www.bdsfrance.org/. Il s'agit bien entendu de boycotter les produits israéliens provenant des territoires sous occupation. Et soyons sévère avec notre gouvernement à ce sujet.
Tout cela me ramène à Dieudonné. Moi qui regarde rarement la télé (uniquement chez les autres), j'ai été tétanisé par la dérive des médias français qui se sont livrés à une chasse aux sorcières d'une violence inouïe, d'une entente parfaite dans l'inquisition (on dirait un procès du Moyen âge, il ne manquait que le bûcher), d'une pensée unique qui ressemblait à de la propagande manipulant l'opinion. Des vidéos, toujours les mêmes, sorties de leur contexte, sont passées en boucle, mais apparemment pas un seul extrait du spectacle incriminé. À se demander si quelqu'un l'avait vu. Et je ne parle pas des insinuations à caractère raciste comme celles de ce président d'association qui lançait à longueur de discours des « Dieudonné M'bala M'bala » (« Dieudonné » tout seul faisait sans doute trop blanc) longs comme le bras. Une vraie paranoïa dans les médias qui parlent tous d'une même voix, comme j'ai pu le voir aussi dans la presse écrite. Je ne les ai pas entendu condamner aussi vivement les propos de Valls sur les Roms ni les insultes proférées à Taubira qui, elles, étaient bien du trouble à l'ordre public.

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