mardi 14 janvier 2014

14 janvier 2014 : une folle semaine



Dans certaines circonstances, une personne considérée comme bonne est capable de commettre une terrible atrocité, de même qu'une autre considérée comme mauvaise est capable d'un acte d'une extrême bonté. Je ne crois pas qu'on soit absolument bon ni absolument méchant. Nous sommes tous en même temps des saints et des criminels. Dr Jekyll et Mr Hyde ne sont pas des créatures exclusivement littéraires ; nous sommes tous des Dr Jekyll et Mr Hyde.
(Luiz Alfredo Garcia-Roza, L'étrange cas du Dr Nesse, trad. Sébastien Roy, Actes sud, 2010)


Après un court passage en Dordogne (visite à mon frère convalescent), puis à Poitiers (où j'ai vu beaucoup de monde), j'ai donc passé une semaine à Paris. On peut dire une folle semaine. D'abord je suis parti mal fichu (gros rhume, grippe atténuée par le vaccin ?). À peine arrivé, j'apprends par un coup de téléphone que mon voyage en cargo est annulé – ou, du moins, reporté. Voilà qui ne va pas me réconcilier avec le téléphone, cette machine à apporter presque uniquement de mauvaises nouvelles...
Et, à propos de mauvaises nouvelles, pendant les premiers jours de mon séjour parisien, il ne bruissait que de l'affaire Dieudonné. Radio, télévision, journaux, il n'était question que de ça. Je ne suis pas un fan de cet humoriste (d'aucun d'ailleurs, je supporte mal l'humour contemporain, à base le plus souvent de persiflage, de dérision, et d'insolence proche de l'injure), que je n'ai jamais vu. Mais je croyais, ayant vécu la censure des années 60 et la flopée d'interdictions de toutes sortes qui sévissaient dans les milieux de la culture (livres sur la guerre d'Algérie en particulier, mais pas que) et du spectacle (le film de Rivette d'après Diderot, interdiction qui m'a fait lire le roman La religieuse, que je n'aurais peut-être jamais lu sans cela), que tout ça était fini. 
Il faut croire que non. Un ministre soi-disant « populaire » – surtout à droite ! (ça montre bien la droitisation de la politique qui a contaminé la gauche de gouvernement : le discours de Valls a intégré les thèmes sécuritaires, et instrumentalise les peurs, faisant ainsi le lit de l'extrême droite), et ayant besoin de se refaire une virginité après ses odieuses saillies essentialistes sur les roms, a cru bon d'interdire les spectacles de ce saltimbanque. Poussé, si j'en juge les émissions-débats auxquelles j'ai assisté chez mes cousins, par des associations qui ont fait leur fonds de commerce de la lutte contre le racisme et l'antisémitisme : notons que ce « et » n'est pas un petit détail, mais signifie clairement que, selon elles, l'antisémitisme serait autre chose qu'un simple racisme. Ce qui permet d'évacuer au passage toutes les autres formes de discrimination, de racisme et de xénophobie : car enfin, il ne faut pas être grand clerc pour observer que les racismes anti-arabes (islamophobie) ou anti-noirs (où étaient ces mêmes associations quand Mme Taubira était odieusement injuriée en octobre dernier ? on ne les a pas entendues), sans oublier l'homophobie, le sexisme (ah ! les vannes des prétendus humoristes sur ces deux sujets !), sont largement plus partagés que l'antisémitisme, très minoritaire, mais qui va sortir renforcé de l'affaire. Car on voit bien qu'il y a deux poids, deux mesures.
Par ailleurs, on entretient la confusion entre antisémitisme et antisionisme (qui n'est qu'un aspect de l'anticolonialisme) : résultat, ces mêmes officines ont largement instrumentalisé le génocide des Juifs par Hitler et nous font un chantage à l'antisémitisme dès qu'on critique un tant soit peu la politique israélienne, comme si celle-ci était angélique. Il faut quand même rappeler qu'Israël (le pays le plus armé au monde) s'est construit comme un colonialisme aussi radical que celui des USA ou de l'Australie, fondé sur l'épuration de la population indigène, spoliée définitivement et enfermée derrière des barbelés (Gaza) ou un nouveau Mur de la honte (Cisjordanie). Tout en laissant espérer le leurre de la création d'un état palestinien, dont tout le monde sait qu'il n'arrivera jamais (le dernier article du Monde sur la vallée du Jourdain le fait entendre clairement). Il serait temps qu'un nouveau Fanon (ou un nouveau Mandela) développe idéologiquement la critique du sionisme, en se démarquant totalement de l'antisémitisme, en rappelant que la colonisation a toujours été au cours des derniers siècles la source de l' économie de guerre (et de ses crimes), en même temps que le fondement de la richesse de l'Occident, due en grande partie au pillage du tiers-monde, en hommes et en matières premières. Ne soyons pas hypocrites : la justice et la paix ne peuvent exister tant que des hommes en oppriment d'autres, tant que des peuples en oppriment d'autres.
En attendant, interdire le spectacle de Dieudonné, ça veut dire quoi ? Ça signifie que, quand la droite extrême sera parvenue au pouvoir – et on fait tout actuellement pour qu'elle y arrive, comment pourra-t-on se battre contre les interdictions nouvelles qui pleuvront, notamment dans le domaine culturel ? Et rappelons qu'interdire, c'est aussi donner du poids : rappelons-nous de la prohibition de l'alcool aux USA, ou de l'affaire de La religieuse, que j'ai précédemment citée. Surtout à l'heure d'internet, qu'est-ce que ça peut bien encore vouloir dire ?
L'autre thème de la semaine fut la liaison présumée du président. Le n° de Closer, apporté par un cousin à la réunion de famille de samedi dernier, nous a sidérés : comment de telles bêtises peuvent-elles exister ? Car il faut toujours que les infos apportent du nouveau, même s'il s'agit de broutilles sans importance. On est presque dans le vaudeville à la Feydeau. Décidément, nos gouvernants sont d'une niaiserie qui dépasse les bornes. Et ça vous donne encore envie de voter ?
Heureusement, j'ai passé aussi du bon temps à Paris avec mes cousins et mes ami(e)s, en lisant le dernier prix Goncourt (mon dernier lu, L'amant, datait de 1984), Au revoir là-haut, bel hommage au roman-feuilleton du XIXe et du début du XXe, en allant voir l'expo Bilal aux Arts et métiers, en voyant au cinéma L'ange des maudits (un beau western crépusculaire de Fritz Lang), en découvrant en chair et en os l'auteur de L'usine des cadavres, et en faisant un peu de vélo dans un Paris presque désert, malgré l'ouverture des soldes.

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