Dans
certaines circonstances, une personne considérée comme bonne est
capable de commettre une terrible atrocité, de même qu'une autre
considérée comme mauvaise est capable d'un acte d'une extrême
bonté. Je ne crois pas qu'on soit absolument bon ni absolument
méchant. Nous sommes tous en même temps des saints et des
criminels. Dr Jekyll et Mr Hyde ne sont pas des créatures
exclusivement littéraires ; nous sommes tous des Dr Jekyll et
Mr Hyde.
(Luiz
Alfredo Garcia-Roza, L'étrange
cas du Dr Nesse,
trad. Sébastien Roy, Actes sud, 2010)
Après
un court passage en Dordogne (visite à mon frère convalescent),
puis à Poitiers (où j'ai vu beaucoup de monde), j'ai donc passé
une semaine à Paris. On peut dire une folle semaine. D'abord je suis
parti mal fichu (gros rhume, grippe atténuée par le vaccin ?). À
peine arrivé, j'apprends par un coup de téléphone que mon voyage
en cargo est annulé – ou, du moins, reporté. Voilà qui ne va pas
me réconcilier avec le téléphone, cette machine à apporter presque uniquement de
mauvaises nouvelles...
Et,
à propos de mauvaises nouvelles, pendant les premiers jours de mon
séjour parisien, il ne bruissait que de l'affaire Dieudonné. Radio,
télévision, journaux, il n'était question que de ça. Je ne suis
pas un fan de cet humoriste (d'aucun d'ailleurs, je supporte mal
l'humour contemporain, à base le plus souvent de persiflage, de
dérision, et d'insolence proche de l'injure), que je n'ai jamais vu.
Mais je croyais, ayant vécu la censure des années 60 et la flopée
d'interdictions de toutes sortes qui sévissaient dans les milieux de
la culture (livres sur la guerre d'Algérie en particulier, mais pas
que) et du spectacle (le film de Rivette d'après Diderot, interdiction qui m'a
fait lire le roman La
religieuse,
que je n'aurais peut-être jamais lu sans cela), que tout
ça était fini.
Il faut croire que non. Un ministre soi-disant
« populaire » – surtout à droite ! (ça montre bien la
droitisation de la politique qui a contaminé la gauche de
gouvernement : le discours de Valls a intégré les thèmes
sécuritaires, et instrumentalise les peurs, faisant ainsi le lit de
l'extrême droite), et ayant besoin de se refaire une virginité
après ses odieuses saillies essentialistes sur les roms, a cru bon
d'interdire les spectacles de ce saltimbanque. Poussé, si j'en juge
les émissions-débats auxquelles j'ai assisté chez mes cousins, par
des associations qui ont fait leur fonds de commerce de la
lutte contre le racisme et l'antisémitisme : notons que ce
« et » n'est pas un petit détail, mais signifie
clairement que, selon elles, l'antisémitisme serait autre chose qu'un simple
racisme. Ce qui permet d'évacuer au passage toutes les autres formes
de discrimination, de racisme et de xénophobie : car enfin, il
ne faut pas être grand clerc pour observer que les racismes
anti-arabes (islamophobie) ou anti-noirs (où étaient ces mêmes
associations quand Mme Taubira était odieusement injuriée en
octobre dernier ? on ne les a pas entendues), sans oublier
l'homophobie, le sexisme (ah ! les vannes des prétendus humoristes
sur ces deux sujets !), sont largement plus partagés que
l'antisémitisme, très minoritaire, mais qui va sortir renforcé de
l'affaire. Car on voit bien qu'il y a deux poids, deux mesures.
Par
ailleurs, on entretient la confusion entre antisémitisme et
antisionisme (qui n'est qu'un aspect de l'anticolonialisme) :
résultat, ces mêmes officines ont largement instrumentalisé le
génocide des Juifs par Hitler et nous font un chantage à
l'antisémitisme dès qu'on critique un tant soit peu la politique
israélienne, comme si celle-ci était angélique. Il faut quand même
rappeler qu'Israël (le pays le plus armé au monde) s'est construit
comme un colonialisme aussi radical que celui des USA ou de
l'Australie, fondé sur l'épuration de la population indigène,
spoliée définitivement et enfermée derrière des barbelés (Gaza)
ou un nouveau Mur de la honte (Cisjordanie). Tout en laissant espérer
le leurre de la création d'un état palestinien, dont tout le monde
sait qu'il n'arrivera jamais (le dernier article du Monde
sur la vallée du Jourdain le fait entendre clairement).
Il serait temps qu'un nouveau Fanon (ou un nouveau Mandela) développe
idéologiquement la critique du sionisme, en se démarquant
totalement de l'antisémitisme, en rappelant que la colonisation a
toujours été au cours des derniers siècles la source de l' économie de
guerre (et de ses crimes), en même temps que le fondement de la
richesse de l'Occident, due en grande partie au pillage du
tiers-monde, en hommes et en matières premières. Ne soyons pas
hypocrites : la justice et la paix ne peuvent exister tant que
des hommes en oppriment d'autres, tant que des peuples en oppriment
d'autres.
En
attendant, interdire le spectacle de Dieudonné, ça veut dire quoi ?
Ça signifie que, quand la droite extrême sera parvenue au pouvoir –
et on fait tout actuellement pour qu'elle y arrive, comment
pourra-t-on se battre contre les interdictions nouvelles qui
pleuvront, notamment dans le domaine culturel ? Et rappelons
qu'interdire, c'est aussi donner du poids : rappelons-nous de la
prohibition de l'alcool aux USA, ou de l'affaire de La
religieuse,
que j'ai précédemment citée. Surtout à l'heure d'internet,
qu'est-ce que ça peut bien encore vouloir dire ?
L'autre
thème de la semaine fut la liaison présumée du président. Le n°
de Closer,
apporté par un cousin à la réunion de famille de samedi dernier,
nous a sidérés : comment de telles bêtises peuvent-elles
exister ? Car il faut toujours que les infos apportent du
nouveau, même s'il s'agit de broutilles sans importance. On est
presque dans le vaudeville à la Feydeau. Décidément, nos
gouvernants sont d'une niaiserie qui dépasse les bornes. Et ça vous
donne encore envie de voter ?
Heureusement,
j'ai passé aussi du bon temps à Paris avec mes cousins et mes
ami(e)s, en lisant le dernier prix Goncourt (mon dernier lu, L'amant,
datait de 1984), Au
revoir là-haut,
bel hommage au roman-feuilleton du XIXe et du début du XXe, en
allant voir l'expo Bilal aux Arts et métiers, en voyant au cinéma
L'ange
des maudits
(un beau western crépusculaire de Fritz Lang), en découvrant en
chair et en os l'auteur de L'usine
des cadavres,
et en faisant un peu de vélo dans un Paris presque désert, malgré l'ouverture des soldes.
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