vendredi 5 décembre 2025

5 décembre 2025 : Le poème du mois : La Fontaine

 

Agamemnon : La bêtise a des pieds légers, elle ne touche pas la terre mais marche dans la tête des hommes pour leur ruine : et elle les saisit, l’un après l’autre, quand elle veut. 

(Alessandro Barrico, Homère, Iliade, trad. Françoise Brun, Albin Michel, 2006

 

                    Eh oui, on en revient toujours à ce cher La Fontaine, quand on voit tant de gens ne savoir pas se contenter de ce qu'ils ont sous la main, et veulent toujours plus et mieux : tel n'a pas la nourriture qu'il souhaite (comme dans Le héron, autre fable avec la même moralité et qui précède la fable ci-dessous dans le livre du grand homme), tel aujourd'hui n'a pas la dernière voiture à la mode, ou la maison dont il rêve, ou une femme à sa prétendue hauteur, ou le boulot qu'il espérait... J'ai lu la fable suivante à mon groupe de lectrices et de lecteurs, tous nonagénaires qui attendent mes lectures avec impatience. Tous, toutes ont bien compris la morale. 

 

La Fille

Certaine fille un peu trop fière
Prétendait trouver un mari
Jeune, bien fait et beau, d'agréable manière.
Point froid et point jaloux ; notez ces deux points-ci.
Cette fille voulait aussi
Qu'il eût du bien, de la naissance,
De l'esprit, enfin tout. Mais qui peut tout avoir ?
Le destin se montra soigneux de la pourvoir :
Il vint des partis d'importance.
La belle les trouva trop chétifs de moitié.
Quoi moi ? quoi ces gens-là ? l'on radote, je pense.
A moi les proposer ! hélas ils font pitié.
Voyez un peu la belle espèce !
L'un n'avait en l'esprit nulle délicatesse ;
L'autre avait le nez fait de cette façon-là ;
C'était ceci, c'était cela,
C'était tout ; car les précieuses
Font dessus tous les dédaigneuses.
Après les bons partis, les médiocres gens
Vinrent se mettre sur les rangs.
Elle de se moquer. Ah vraiment je suis bonne
De leur ouvrir la porte : Ils pensent que je suis
Fort en peine de ma personne.
Grâce à Dieu, je passe les nuits
Sans chagrin, quoique en solitude.
La belle se sut gré de tous ces sentiments.
L'âge la fit déchoir : adieu tous les amants.
Un an se passe et deux avec inquiétude.
Le chagrin vient ensuite : elle sent chaque jour
Déloger quelques Ris, quelques jeux, puis l'amour ;
Puis ses traits choquer et déplaire ;
Puis cent sortes de fards. Ses soins ne purent faire
Qu'elle échappât au temps cet insigne larron :
Les ruines d'une maison
Se peuvent réparer ; que n'est cet avantage
Pour les ruines du visage !
Sa préciosité changea lors de langage.
Son miroir lui disait : Prenez vite un mari.
Je ne sais quel désir le lui disait aussi ;
Le désir peut loger chez une précieuse.
Celle-ci fit un choix qu'on n'aurait jamais cru,
Se trouvant à la fin tout aise et tout heureuse
De rencontrer un malotru.


 

 

Aucun commentaire: