Agamemnon : La bêtise a des pieds légers, elle ne touche pas la terre mais marche dans la tête des hommes pour leur ruine : et elle les saisit, l’un après l’autre, quand elle veut.
(Alessandro Barrico, Homère, Iliade, trad. Françoise Brun, Albin Michel, 2006
Eh oui, on en revient toujours à ce cher La Fontaine, quand on voit tant de gens ne savoir pas se contenter de ce qu'ils ont sous la main, et veulent toujours plus et mieux : tel n'a pas la nourriture qu'il souhaite (comme dans Le héron, autre fable avec la même moralité et qui précède la fable ci-dessous dans le livre du grand homme), tel aujourd'hui n'a pas la dernière voiture à la mode, ou la maison dont il rêve, ou une femme à sa prétendue hauteur, ou le boulot qu'il espérait... J'ai lu la fable suivante à mon groupe de lectrices et de lecteurs, tous nonagénaires qui attendent mes lectures avec impatience. Tous, toutes ont bien compris la morale.
La Fille
Certaine
fille un peu trop fière
Prétendait trouver un mari
Jeune,
bien fait et beau, d'agréable manière.
Point froid et point
jaloux ; notez ces deux points-ci.
Cette fille voulait
aussi
Qu'il eût du bien, de la naissance,
De l'esprit,
enfin tout. Mais qui peut tout avoir ?
Le destin se montra
soigneux de la pourvoir :
Il vint des partis d'importance.
La
belle les trouva trop chétifs de moitié.
Quoi moi ? quoi ces
gens-là ? l'on radote, je pense.
A moi les proposer ! hélas
ils font pitié.
Voyez un peu la belle espèce !
L'un
n'avait en l'esprit nulle délicatesse ;
L'autre avait le nez
fait de cette façon-là ;
C'était ceci, c'était cela,
C'était
tout ; car les précieuses
Font dessus tous les
dédaigneuses.
Après les bons partis, les médiocres
gens
Vinrent se mettre sur les rangs.
Elle de se moquer. Ah
vraiment je suis bonne
De leur ouvrir la porte : Ils pensent que
je suis
Fort en peine de ma personne.
Grâce à Dieu, je
passe les nuits
Sans chagrin, quoique en solitude.
La belle
se sut gré de tous ces sentiments.
L'âge la fit déchoir :
adieu tous les amants.
Un an se passe et deux avec
inquiétude.
Le chagrin vient ensuite : elle sent chaque
jour
Déloger quelques Ris, quelques jeux, puis l'amour ;
Puis
ses traits choquer et déplaire ;
Puis cent sortes de fards. Ses
soins ne purent faire
Qu'elle échappât au temps cet insigne
larron :
Les ruines d'une maison
Se peuvent réparer ; que
n'est cet avantage
Pour les ruines du visage !
Sa
préciosité changea lors de langage.
Son miroir lui disait :
Prenez vite un mari.
Je ne sais quel désir le lui disait aussi
;
Le désir peut loger chez une précieuse.
Celle-ci fit un
choix qu'on n'aurait jamais cru,
Se trouvant à la fin tout aise
et tout heureuse
De rencontrer un malotru.


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