Le peu de jours qui lui restait à vivre devait servir à l’essentiel.
(Andreï Makine, L’ami arménien, Grasset, 2021)
L’essentiel, on en parle souvent en ce moment. Et bien souvent à tort ! Car enfin, mettre la culture (et notamment tous les spectacles et leurs métiers) dans l’inessentiel, c’est faire preuve d’un bel aveuglement. C’est faire le lit de toute la technologie moderne, qui nous rend esclaves de machines, nous décérèbre, nous consumérise, et en fin de compte nous fait perdre de vue la solidarité, la fraternité, nous fragilise, alors que plus que jamais, nous avons besoin de toutes nos forces pour lutter contre toutes les inégalités, toutes les injustices, toutes les oppressions, tous les diktats de la finance, ce Veau d’or qui mène le monde.
Comme Nathalie Baye, Line Renaud et bien d’autres, je fais partie de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) : nous y avions adhéré, Claire et moi, dès 2002 je pense. Au moment où enfin va s’ouvrir à l’Assemblée Nationale un débat sur une proposition de loi sur la fin de vie, j’envoie à ma députée une lettre (ma deuxième en fait) pour lui demander d’être présente, et si possible, de voter pour le droit au suicide assisté. Je ne l’impose à personne, mais j’aimerais y avoir droit. De la même manière que les femmes devaient aller à l’étranger pour avorter sans danger avant la loi Weil, en l’absence de ce droit en France, je serais contraint d’aller en Suisse quand j’estimerais le moment venu.
Voici ma lettre :
Bordeaux, le 19 mars 2021
Madame Dominique David
Députée de Bordeaux
Madame la Députée,
Je souhaite vous faire part de mon expérience, pas si ancienne, concernant la fin de vie d’une personne qui me fut très chère. Ma femme, Claire, est morte le 24 juin 2009, après cinq années de douleur dues à une tumeur au cerveau. Je précise que la tumeur n’était pas cancéreuse, mais très mal placée. Elle a subi divers traitements : opération de trépanation (inutile), rayons (dégâts supplémentaires), etc., qui n’ont fait qu’aggraver son état. Pourtant, elle avait demandé : pas d’acharnement thérapeutique
Quand elle devint grabataire, elle a demandé à ne pas mourir à l’hôpital, et le service concerné a organisé, pour ses trois derniers mois, l’hospitalisation à domicile. Au moins, les infirmières et infirmiers qui venaient matin et soir nous tenaient au courant de sa situation et nous ont expliqué ce qui allait arriver : perte de la déglutition, de la parole, etc. Tout en nous recommandant de continuer à lui parler, à la toucher, même quand elle serait dans le coma.
Bien sûr, elle aurait voulu mettre fin à sa vie, et m’a demandé de l’aider à en finir, à peu près un an avant sa mort. C’était son choix, dès le départ. Ça n’a pas été possible, car c’était hors-la-loi. Il aurait fallu partir en Suisse. Elle a eu quand même une mort sereine, entourée de nos enfants et de moi-même. Nous lui avons parlé jusqu’au bout. Mais son décès aurait été plus beau si elle avait pu garder sa dignité en choisissant le moment de sa mort, en pleine conscience, comme elle le désirait. Elle m’a cependant appris à ne pas avoir peur de la mort et j’aimerais, quant à moi, pouvoir envisager ma fin de vie dignement, quitte à aller en Suisse. Mais je préférerais, bien sûr, que la loi française me permette de faire mon choix de fin de vie ici.
Et je vous prie donc de bien vouloir voter la proposition de loi de votre collègue, Olivier Falorni, député de Charente-Maritime, donnant le droit à une fin de vie libre et choisie.
Je vous prie d’agréer, madame la Députée, l’expression de mes sentiments les meilleurs.
Jean-Pierre Brèthes
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