Je
vois tout le monde parler d'amasser pour ses vieux jours, comme si on
était sûr d'avoir de vieux jours et comme si on devait désirer
d'en avoir !
(George
Sand, Pierre qui roule)
Curieuse
journée : j'avais préparé un voyage-éclair à Arcachon, au
sujet d'un héritage qui doit m'échoir et pour lequel j'ai des
démarches à accomplir, en particulier j'ai besoin d'un certificat
établi par le centre des impôts de la personne dont j'hérite. Ce
centre des impôts est celui d'Arcachon. Par prudence, j'avais
consulté internet, envoyé un coup de téléphone pour savoir si ce
serait ouvert (réponse par un robot, car on sait bien que, depuis
que la technique s'est améliorée, il n'y a plus personne au bout du
fil, qu'on téléphone à EDF, aux impôts ou à des tas
d'organismes, un robot nous répond ! : « ouvert du lundi au
vendredi de 9 h à 12 h et de 13 h 30 à 16 h 30 »). Muni de ce
renseignement et n'ayant trouvé nulle part que ce serait fermé ce
vendredi, je prends le train ce matin, débarque là-bas pour
trouver... porte close !
Ben
oui, je suis scandalisé pour trois raisons :
- Je suis choqué de voir des tas de boutiques (hors alimentation style boulangerie, ce que j'accepte bien volontiers) ouvertes les jours fériés, et n'y mets pas les pieds par principe. Leurs employés ont bien droit au repos. Rien ne justifie l'ouverture d'un commerce, de vêtements, par exemple, un jour férié. J'espère au moins – sans en être certain, qu'ils sont surpayés ces jours-là. Tant pis si je me fais vilipender par les adeptes des ouvertures systématiques (le libéralisme) !
- À l'inverse, je suis tout aussi choqué de trouver fermés des établissements publics (payés avec nos impôts quand même !) un jour qui n'est pas férié. Fermeture que rien ne peut justifier. Et tant pis si je me fais vilipender par les adeptes des fermetures systématiques !
- Par ailleurs, je note que cette fermeture oblige tout le personnel – même ceux qui ne veulent pas prendre de congé ce jour-là, à s'absenter et à prendre donc un jour de congé obligatoire. Là aussi, je suis choqué. Les jours de congés doivent pouvoir être librement choisis, dans l'intérêt de chacun et des établissements. Il est donc assez facile d'organiser un roulement pour maintenir l'ouverture pendant des « ponts ».
Surtout
quand on sait que la majorité des gens ne connaissent même plus la
signification des jours fériés : non seulement les fêtes
religieuses ne sont pas comprises – en ces temps de laïcisation de
la société, rien de plus normal (encore que ce ne soit que des
fêtes chrétiennes, ce qui me choque aussi) – mais les autres
fêtes, en dehors du Nouvel an et, peut-être du 14 juillet, n'ont
plus grand sens non plus : commémorer des guerres (14-18 et
39-45, c'est-à-dire le suicide de l'Europe) relève de l'absurde, et
qui connaît encore, à part quelques militants, l'origine du 1er
mai ?
Heureusement,
j'ai pris le train, et là, je me suis retrouvé en compagnie de
trois étudiantes Erasmus (une Allemande, une Italienne et une
Japonaise), avec qui j'ai conversé à bâtons rompus. Quel plaisir
que cette confrontation avec la jeunesse dans des lieux agréables !
Décidément, je n'utiliserai que de moins en moins la voiture, où
l'on est seul, où l'on ne fait pas de rencontres.
Et,
au retour, j'ai continué le formidable roman de Maxence Van der
Meersch, Pêcheurs
d'hommes,
un de ces romans engagés comme on n'en fait plus aujourd'hui, les
auteurs préférant observer leur nombril (la fameuse autofiction, je
ne cite aucun nom) ou écrire pour ne rien dire (tant pis, je vais me
faire vilipender, je cite des noms : les Lévy ou les Musso qui
me tombent des mains au bout de trois pages) plutôt que la société
qui les entoure. Et pourtant, il y aurait à écrire des romans sur
le chômage (mais il faudrait avoir le talent de Zola), sur les
nouveaux misérables (mais il faudrait avoir le génie de Hugo), sur
le patronat et la bourse (Zola encore), sur les problèmes paysans (mais il faudrait la force de Steinbeck),
sur l'environnement, sur les transferts de population (où est le moderne Erich-Maria Remarque ?), sur les
guerres coloniales (j'appelle ainsi la guerre d'Afghanistan, celle
d'Irak, celle du Mali, où est le Malraux d'aujourd'hui ?)... Bref, ce ne sont pas les sujets qui
manquent, mais les talents... et peut-être les lecteurs ! Ou
les éditeurs courageux ; déjà Louise Michel remarquait dans
Le
livre d'Hermann,
à propos du héros qui est écrivain,
que
sa
"littérature
ne convenait pas à l'époque. – Vous
avez un bon style,
lui dit l'éditeur, mais
votre livre ne sera pas lu. Faites des romans de mœurs légères !"
Pêcheurs
d'hommes, qui se passe dans les années 30, dénonce l'inhumanité du monde du travail, l'exploitation, le
chômage. La description du patron de la boîte où travaille Pierre,
le héros, est terrible. Les conseils qu'il donne à son jeune
employé de tromper volontairement les clients, de faire payer cher
parce que "il faut bien compter votre peine, voyons !"
dans le prix qu'on fait payer au client, alors que les employés sont
fort mal payés (de leur peine, justement), que les malades ne sont
jamais remplacés, et ce paragraphe : "Je finissais le
soir à sept heures. Quand j'étais prêt à partir, M. Colls,
régulièrement, me trouvait un petit travail supplémentaire :
remplir le poêle, changer les ampoules, reclouer une pièce de lino,
de quoi me faire faire un quart d'heure de rabiot. Parce qu'il était
d'avis que la loi de huit heures est une loi de fainéantise."
On était juste après les lois de 1936. Et comment ne pas être
choqué par ces bourgeois qui calculent qu'avec le salaire d'un
ouvrier (200 francs à l'époque, quand ils les avaient !) on pouvait
s'en sortir, eux dont le revenu était au minimum dix fois plus
élevé.
On
l'aura compris, je m'en fous de savoir si c'est de la grande
littérature, ça me parle, ça ne cherche pas à me divertir bêtement, à me
faire oublier la réalité, et il y a en plus derrière un message
christique bienvenu, mais qui choquera ou fera sourire les sectaires
rationalistes. Car n'oublions pas que Jésus était charpentier et
fils de charpentier, avant de se lancer sur les routes pour devenir
pêcheur d'hommes.
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