j'ai
découvert qu'il était possible d'acheter un livre par plaisir, sur
un sujet qui n'était pas au programme !
(Daniel
Herrero, Partir :
éloge de la bougeotte)
La
vie nous réserve des aventures – nombreuses, elle n'est même
faite que de ça – et de belles aventures, pour peu qu'on consente
comme dans les contes populaires, à sortir de chez soi pour courir
le monde. Pas besoin d'aller très loin d'ailleurs, mais il suffit
d'avoir les yeux ouverts (c'est le titre du beau recueil d'entretiens
de Marguerite Yourcenar avec Matthieu Galey), les oreilles tendues,
le corps et le cœur en éveil permanent, pour saisir ces instants et
ces rencontres magiques qui sont le sel de la vie.
Pour
moi, la fratrie nombreuse, l'internat, les études supérieures, les
rencontres amicales et professionnelles, furent de belles
aventures... Mais la plus belle aventure de ma vie – en dehors de
mon mariage et des joies de ma vie de famille – fut la découverte des
pouvoirs de la lecture et de la littérature. Je ne remercierai
jamais assez, en premier lieu, ma mère et ma grand-mère qui, par leur exemple
de grandes lectrices, m'avaient déjà aiguillé dans cette voie. Mon
ami d'internat, Alain P., qui, enfant unique et extrêmement
solitaire (il ne sortait du lycée de Mont-de-Marsan qu'aux vacances
de Noël et de Pâques pour retrouver des correspondants en Gironde,
et aux vacances d'été pour rejoindre sa mère et son beau-père en
Côte d'Ivoire), était un passionné de lecture et me passa assez
rapidement le virus du livre, en puisant dans les armoires pleines de
livres des salles d'études, puis me fit m'inscrire à la
Bibliothèque municipale, dès que nous fûmes assez grands (à
partir de la seconde) pour sortir seuls, sans la surveillance des
pions, le jeudi après-midi. Car il fallait bien occuper les
nombreuses heures de liberté captive de l'internat : le nombre
d'heures d'études était largement supérieur aux nécessités
d'apprentissage des devoirs et leçons ! À remercier aussi, mon professeur de
français en seconde qui nous fit découvrir Rimbaud, Apollinaire et des auteurs
plus contemporains, comme Malraux, Mauriac ou Camus. Mes condisciples
de l'École
nationale supérieure des bibliothèques, Patrice C. et Monique R.,
qui m'ouvrirent des horizons inconnus de moi en me prêtant des
livres de leur bibliothèque personnelle. Et ensuite, les nombreuses
personnes qui ont élargi mes compétences en lecture :
libraires, bibliothécaires, critiques littéraires, écrivains,
membres de la famille et ami(e)s de toutes sortes et de tous âges –
mes amis actuels vont de 20 à 94 ans !
Aussi
n'ai-je pas été surpris qu'une librairie s'ouvre à Poitiers sous
le nom de La
belle aventure.
J'ai connu bien des librairies au cours de ma carrière, avec souvent
de belles appellations (La folle avoine, La boîte à livres, La
machine à lire, Ombres blanches, Le divan, Folies d'encre,
Chantelivre, À
tout lire, Le tumulte des mots...), mais La
belle aventure
me semble le nom le plus parfait, et qui résume tout : car
entrer dans une librairie est déjà en soi une aventure, et une
sacrée aventure, et une belle aventure ! Il faut oser ; c'est un peu intimidant.
Il y a tant de livres, que choisir, et comment ? Car on vient en
librairie – en tout cas, pour moi, c'est ainsi – sans trop savoir
ce que l'on va choisir. C'est le contraire des librairies en ligne où
l'on commande un titre qu'on connaît, au moins par ouï-dire. Mais
on ne sait vraiment comment il se présente, si la typographie va
nous plaire, par exemple. Dans une librairie, on se promène le long
des rayons, on ouvre, on soupèse, on flaire, on lit quelques lignes,
on découvre ce qu'on ne connaissait pas, ce qu'on va se proposer de
lire ou d'offrir en cadeau. Et, si la librairie est bonne, on
trouvera des titres inattendus (de nous), un personnel compétent et
avisé, capable de nous laisser déambuler tout seul aussi bien que
de nous faire des propositions.
La
belle aventure
de Poitiers est de ces librairies. On n'y trouve pas forcément le tout-venant ni
les best-sellers à la mode (et oubliés, illisibles six mois plus
tard), mais on s'y abreuve à une source infinie et étonnante, car
le monde des livres est d'une variété inouïe dans une bonne
librairie. Le local a été admirablement aménagé. Un beau canapé
de cuir rouge invite à se prélasser en compagnie de livres a
feuilleter. Aucun secteur n'est négligé, en dehors des livres
purement scolaires, scientifiques ou universitaires. La librairie
pour enfants et adolescents (qui existe depuis 1995) est magnifique,
et le secteur pour adultes (ouvert en 2010) montre la vitalité de
l'édition francophone de qualité. Les animations avec les auteurs,
le cercle de lectures, sont aussi des points forts.
Les
librairies de proximité se heurtent aujourd'hui à la double
concurrence de la vente en ligne (Amazon et Cie) et de l'apparition
des livres électroniques et des fameuses « liseuses ».
C'est-à-dire de l'absence d'aventure, puisque l'aventure commence
quand on sort de chez soi. En particulier pour entrer dans une
librairie... Vivent les librairies !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire