Il
pleure dans mon cœur
Comme
il pleut sur la ville,
Quelle
est cette langueur
Qui
pénètre mon cœur ?
(Paul
Verlaine, Romances
sans paroles)
Encore
un jour de froidure et de pluie. J'ai heureusement mon grand
parapluie acheté chez un des derniers artisans fabricants de
parapluie, Grand rue à Poitiers, parapluie très couvrant, mais peu
commode en voyage, car il ne rentre pas dans les valises ! Et
encore, n'ai-je pas acheté le maousse parapluie de berger qu'il me
proposait : peut-être me l'offrirai-je cette année pour la
fête des pères – après tout, j'en suis un et peux donc bien
m'offrir à moi-même des cadeaux – car si ça continue, ça va
devenir indispensable ! Ces jours de pluie sont propices à la réflexion,
car effectivement, est-ce un signe du vieillissement mental, une
sorte de langueur "pénètre
mon cœur"
dans ces jours de grisaille ; alors, je médite. Ah, je regrette les pluies tropicales,
diluviennes, mais assez brèves, et aussitôt suivies d'un grand
soleil, qui nous ont assaillis sur le cargo !
Mais aussi, je vais davantage m'enfermer dans les salles obscures de cinéma.
C'est
ainsi que je viens de voir Inch'Allah,
un film québécois d'Anaïs Barbeau-Lavalette qui permet, avec le
recul d'une cinéaste étrangère, de mieux appréhender le
« conflit » israélo-palestinien qu'un film provenant de
l'un ou l'autre camp. Très beau film qui conte l'histoire d'une
doctoresse québécoise, Chloé, qui travaille dans une clinique d'un
camp de réfugiés palestiniens, sans doute pour une ONG humanitaire,
mais qui habite à Jérusalem, où elle est amie avec une jeune
Israélienne ; cette dernière fait son service militaire au check-point par où
Chloé doit passer quotidiennement. Dans son service médical, elle
s'est également liée d'amitié avec Rand, une Palestinienne qui
attend un bébé et dont le mari est détenu en Israël, et son frère
Faysal, résistant passionné (et donc selon Israël, "terroriste", ça
ne vous rappelle rien ? Nos résistants à nous aussi, les
miliciens et les nazis les appelaient terroristes !). Le jour où
Rand accouche, la voiture est bloquée par les militaires, qui font le blocus à cause
de tirs palestiniens contre les colonies, et le bébé meurt, devenant un nouveau
martyr de la cause palestinienne. Chloé ne sait plus que penser :
aussi bien le militaire qui l'a empêché brutalement de passer que Rand lui
disent : « Tu n'es rien ici, rentre chez toi ! »
Eh
bien, je maintiens ce que j'ai déjà écrit : au vu du film, ce conflit est un problème d'essence colonialiste. Nous
voyons très bien qu'Israël occupe des territoires, les colonise,
probablement en acquérant de manière vraisemblablement peu légitime
les terres et en expulsant les occupants préalables, et se maintient
par la force, en créant des ressentiments, pour ne pas dire la
haine des Palestiniens qui rejaillit sur les citoyens israéliens, devenus à leur tour haineux et
inconciliables. Et vraiment on ne voit aucune solution pointer à
l'horizon. Le général de Gaulle, le 29 novembre 1967, craignait que « les Juifs, jusqu'alors dispersés, mais qui étaient
restés ce qu'ils avaient été de tout temps, c'est-à-dire un
peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur, n'en viennent, une
fois rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer
en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants
qu'ils formaient depuis dix-neuf siècles ». Phrase qui lui
avait attiré en son temps la haine, précisément, de beaucoup
d'israélites français (dans les années 90, lors d'un dîner avec
D., une amie juive de Poitiers, quand au cours du repas j'ai dit par inadvertance l'admiration que
j'avais pour l'action du général, en dépit de mon tempérament de
gauche, elle m'avait rappelé sèchement cette phrase, qu'elle connaissait par cœur, trente ans après !) et
qui nous a longtemps déconsidéré dans nos relations politiques
avec Israël.
Contrairement
à ce que laisse croire une propagande soigneusement entretenue, être
antisioniste ne signifie pas du tout ou du moins pas forcément être antisémite, ça veut dire
être avant tout anticolonialiste, ce que j'ai toujours été depuis mon
adolescence. D'ailleurs, l'extrême droite française ne s'y trompe pas :
elle encourage vivement les juifs français à partir vers Israël,
leur patrie légitime selon eux, comme s'ils n'étaient toujours pas français,
deux siècles après une Révolution française qui ne semble
toujours pas digérée à droite. Et, sortant son refoulé à la
suite du mariage pour tous, on entend dire à tout venant ce genre de
propos : « ils n'ont pas encore fini de nous bassiner,
avec leur Shoah ! », phrases qu'on n'entendait pas ces
dernières années. Car, pour l'extrême droite, les Juifs, comme les
gays, ne sont valables que s'ils restent discrets et même, si
possible, invisibles. Donc ailleurs...
On
peut cependant critiquer un état et sa politique, sans critiquer
pour autant le peuple qui l'habite ; j'ai toujours distingué le
peuple espagnol des Franquistes, le peuple russe des Staliniens, le peuple américain des dirigeants qui défoliaient le Vietnam, etc.
Les deux peuples, palestinien et israélien, doivent pouvoir
cohabiter dans deux états distincts, puisque chacun privilégie la
religion comme fondement du pays ; c'est fort dommage pour la
démocratie, et surprenant qu'au XXIe siècle, la religion conserve
un tel pouvoir, mais on est en plein dans le « retour du
religieux » que prédisait Malraux, un peu partout dans le monde. Et hélas, il faut faire
avec.
Ce
retour du religieux, et du refoulé qui va avec, explique la force du
mouvement contestataire contre le mariage pour tous. Ces pauvres
catholiques regrettent vraiment le temps où la France était fille
aînée de l'Église
et le catholicisme religion d'état. Vive la république laïque !
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