Le
temps a laissé son manteau
De
vent, de froidure et de pluie,
Et
s'est vêtu de broderie,
De
soleil luisant, clair et beau.
(Charles
d'Orléans)
Ben,
décidément, on ne peut pas précisément dire que "le
temps a laissé son manteau de vent, de froidure et de pluie",
et pour moi qui circule le plus souvent à vélo, parfois à pied
(s'il pleut, justement), je ne sais pas vraiment comment m'habiller,
alors que nous arrivons à la mi-mai. Si je me découvre un tant soit
peut, j'ai froid, si je me couvre (actuellement, je sors avec quatre
épaisseurs, les deux plus couvrantes étant une veste polaire et
par-dessus, ma veste de laine achetée en Suède en 2004), j'ai un
peu chaud. En fin de compte, je préfère avoir chaud, et m'étonne
de voir des jeunes quasiment en tee-shirt dehors, où avec dans les
10° le matin et 16-17° l'après-midi, je me sens presque encore en
mars. Quand il ne tombe pas des gouttes inattendues... Le magnifique
rondeau de Charles d'Orléans, poète médiéval, attendra encore son
application cette année.
J'en
profite donc pour rester chez moi, faire un peu de ménage, continuer
à lire et à écrire (une première mouture de mon texte sur
« Louise Michel » est achevée), à regarder des opéras
(je viens d'acheter et de visionner le dvd du très beau « Mireille »
de Gounod, qui regorge de parties superbes, opéra que j'avais vu au
Capitole de Toulouse en 1977 et dont je gardais un souvenir
éblouissant), à me balader et aussi à sortir voir des films.
C'est
ainsi que je viens de découvrir un de ces joyaux du cinéma italien
de l'âge d'or. En cette année 1960 sont sortis L'Avventura
(Antonioni),
La
Dolce Vita
(Fellini) et Rocco
et ses frères
(Visconti), trois films célèbres des grand maîtres, mais dont seul
le troisième me passionne toujours par son côté dostoïevskien :
Rocco, c'est l'idiot du romancier russe dans le monde moderne, alors
que les deux premiers, très beaux, j'en conviens, m'ennuient un peu,
je ne les sens pas. Mais il y avait aussi toute une cohorte de
cinéastes de moindre envergure, mais non sans talent : cette
même année, De Sica donnait
La Ciociara (avec
Sophia Loren, mon actrice préférée de l'époque), Rossellini Les
évadés de la nuit,
Lattuada
Les adolescentes,
Mario Bava son film de terreur culte Le
masque du démon (avec
Barbara Steele et son étrange regard de Méduse), Comencini La
grande pagaille,
Emmer La
fille
dans la vitrine,
Damiani Jeux
précoces,
Bolognini Le
bel Antonio
(avec Marcello Mastroainni dans le rôle d'un impuissant), Lizzani Le
bossu de Rome,
Leone Le
colosse de Rhodes
(avant de se lancer dans le western, il faisait du péplum),
Cottafavi, le maître du péplum, Messaline,
Les
légions de Cléopatre et
Les
travaux d'Hercule,
et bien d'autres... Tous films que j'ai vus à l'époque ou dans les
années qui suivirent et qui témoignaient d'une vitalité du cinéma
italien que la télévision pré-berlusconienne tuera peu à peu dans
les années 70 et surtout 80.
Quand
il y a une reprise des italiens de ce temps-là, je ne la rate pas.
C'est ainsi que je viens de voir Larmes
de joie
de Mario Monicelli, totalement inconnu, car jamais sorti en France.
C'est la fameuse comédie italienne dans toute sa splendeur :
une petite figurante de péplum, Tourterelle (Anna Magnani), et un
acteur raté qui survit de petites escroqueries à l'assurance,
Umberto, (Totò, le Buster Keaton italien), se retrouvent dans la
nuit romaine de la Saint-Sylvestre, où ils sont associés pour leur
malheur à un pickpocket, Lello (Ben Gazzara, oui, celui qui
deviendra l'acteur fétiche de Cassavetes). Les péripéties, d'après
une nouvelle de Moravia, font osciller le film entre de purs moments
de comédie (les fêtards qui cherchent désespérément une
quatorzième personne pour leur table, afin de n'être pas treize à
table) et une chronique à la Chaplin de la misère humaine et
sociale. Car tout va rater
magnifiquement, si on peut dire, Tourterelle n'ayant pas été mise
au courant des magouilles miteuses où Lello et Umberto l'entraînent
malgré elle, et c'est elle qui fera tout échouer. L'art de la
comédie italienne (comme chez Molière) est que les auteurs aiment
leurs personnages, en particulier Monicelli, un habitué des héros
pitoyables (revoir Le
pigeon,
ou La
Grande Guerre,
plus
tard les deux Brancaleone
ou
Mes
chers amis).
L'illusion nocturne ponctuée de rêves improbables va se dissiper au
petit jour, comme dans Les
lumières de la ville
de Chaplin.
Ne
le ratez pas quand il passera à la télé, la copie est superbement
restaurée dans un noir et blanc magique. Contrairement à ce que dit
Blanche de Richemont, dans son Éloge
du désert,
"l'habitude
désapprend à admirer",
je crois au contraire que la fréquentation des bons films (comme des
bons livres) entraîne à admirer ceux qu'on n'a pas encore vus (ou
lus) et qui sont bons ou excellents. On acquiert du flair pour juger,
tout en sachant que tous les goûts sont dans la nature !
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