l'homme
et la femme, libérés de toutes leurs erreurs, de toutes leurs
difficultés, ne se rechercheront plus comme des contraires, mais
comme des frères et sœurs, comme des proches. Ils uniront leurs
humanités pour supporter ensemble, gravement, patiemment, le poids
difficile de la chair qui leur est donnée.
(Rainer
Maria Rilke, Lettres
à un jeune poète)
Pas
besoin d'écrire long pour écrire fort. Souvenons-nous d'Adolphe
(Constant),
de Boule
de suif (Maupassant),
de Vingt-quatre
heures de la vie d'une femme
(Zweig), de Des
souris et des hommes
(Steinbeck) ou de L'étranger
(Camus).
Je viens de lire La
Femme du métro (éditions
Quidam, 2010), cinquième roman traduit en français du Grec Mènis
Koumandarèas, datant de 1975, et le premier que je lis. J'ai comme
ça des intuitions, des hasards, des rendez-vous, quand je me promène
le long des rayons d'une bibliothèque ou d'une librairie.
On est à
nouveau dans une brève rencontre, car chacun sait que l'amour long,
sans histoires, ne donne pas lieu à roman, fût-il bref, comme
celui-ci : une soixantaine de pages ! À
la différence des films habituels sur le sujet (Brève
rencontre,
justement, ou Le
temps de l'aventure),
où il s'agit généralement d'hommes et de femmes mûrs, mariés ou
en couple, qui se rencontrent dans une gare, qui se cherchent, qui se
trouvent, et qui finissent par renoncer, on se rapproche plutôt ici
d'un autre film récent, dont je n'ai pas parlé, Vingt
ans d'écart,
avec le délicieux Pierre Niney dans le rôle du jeune homme.
Car
on a affaire ici à l'improbable rencontre (mais "il
n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous", disait
Éluard), dans un métro, entre un étudiant à
la jeunesse insolente et une femme mariée, respectable, et qui a le
double de son âge. Alors, amour impossible ? Koùla, l'héroïne,
est mariée (mal), a deux grandes filles de dix et treize ans, et
traîne une mélancolie, accentuée sans doute par la routine de sa
vie de famille et de son travail de comptable aux impôts, dont elle
pourrait pourtant se passer, son mari gagnant très bien sa vie. Oh,
un jour, elle avait bien pensé à divorcer, mais l'ami avocat,
qu'elle avait consulté, lui avait rétorqué : "Allez,
Koùla,
ne joue pas les oies blanches, personne n'aime son mari ou sa femme
suffisamment [mon commentaire : lucidité ou cynisme masculin], ce n'est qu'une affaire d'habitude, adapte-toi ;
c'est ça le bonheur, bécasse, tu ne comprends, tu ne l'as pas
encore appris ?"
Chaque
jour donc, pour aller au travail, elle s'installe dans le métro,
toujours à la même place, dans la même rame, et c'est comme ça
qu'un jour, elle se trouve en face du jeune Mìmis, un bel étudiant
charmeur. Elle n'imagine même pas que quelque chose puisse arriver.
Ils mettent plusieurs semaines à s'observer, puis à se parler :
"Presque
rien au début : « Bonjour », « Bonne
soirée », puis ils se lancèrent dans des petites phrases, du
genre « Ça se rafraîchit », Beaucoup de monde
aujourd'hui »."
Cependant, même si elle sait l'issue incertaine, Koùla
se laisse séduire, accepte d'être tutoyée, d'aller boire un verre,
puis de manger dans un boui-boui où il l'entraîne, et enfin dans sa
garçonnière en sous-sol. Elle dépasse les conventions de la
différence d'âge et de la peur de l'adultère (après tout, son
mari n'a-t-il pas des liaisons, et il ne la touche plus depuis des
années). Malgré sa brièveté, le texte est lent (on doit le lire
avec la même lenteur), comme si pour Koùla, le temps s'était
arrêté. La
Femme du métro dresse un magnifique portrait de femme. Tout est vu de
son point de vue, elle sait qu'il n'y a pas d'avenir dans cette
liaison, mais ça ne fait rien, elle accepte et assume la fragilité
d'une aventure qui sera brève. Et c'est elle qui décide d'arrêter :
"Elle
avait toujours été ferme comme un roc dans ses décisions."
L'écriture
(traduction excellente de Michel Volkovitch) est fluide et rend bien
les fluctuations des sentiments de Koùla
qui s'émancipe, tout en n'étant pas le jouet de cette passion, ni
des circonstances qui l'y ont menée. Au fond, elle devient une femme
libre : "On ne naît pas libre, on le devient" (Alexandre Jollien).
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