mardi 28 mai 2013

28 mai 2013 : naissance de la liberté


l'homme et la femme, libérés de toutes leurs erreurs, de toutes leurs difficultés, ne se rechercheront plus comme des contraires, mais comme des frères et sœurs, comme des proches. Ils uniront leurs humanités pour supporter ensemble, gravement, patiemment, le poids difficile de la chair qui leur est donnée.
(Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète)

Pas besoin d'écrire long pour écrire fort. Souvenons-nous d'Adolphe (Constant), de Boule de suif (Maupassant), de Vingt-quatre heures de la vie d'une femme (Zweig), de Des souris et des hommes (Steinbeck) ou de L'étranger (Camus). Je viens de lire La Femme du métro (éditions Quidam, 2010), cinquième roman traduit en français du Grec Mènis Koumandarèas, datant de 1975, et le premier que je lis. J'ai comme ça des intuitions, des hasards, des rendez-vous, quand je me promène le long des rayons d'une bibliothèque ou d'une librairie. 

 
On est à nouveau dans une brève rencontre, car chacun sait que l'amour long, sans histoires, ne donne pas lieu à roman, fût-il bref, comme celui-ci : une soixantaine de pages ! À la différence des films habituels sur le sujet (Brève rencontre, justement, ou Le temps de l'aventure), où il s'agit généralement d'hommes et de femmes mûrs, mariés ou en couple, qui se rencontrent dans une gare, qui se cherchent, qui se trouvent, et qui finissent par renoncer, on se rapproche plutôt ici d'un autre film récent, dont je n'ai pas parlé, Vingt ans d'écart, avec le délicieux Pierre Niney dans le rôle du jeune homme.
Car on a affaire ici à l'improbable rencontre (mais "il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous", disait Éluard), dans un métro, entre un étudiant à la jeunesse insolente et une femme mariée, respectable, et qui a le double de son âge. Alors, amour impossible ? Koùla, l'héroïne, est mariée (mal), a deux grandes filles de dix et treize ans, et traîne une mélancolie, accentuée sans doute par la routine de sa vie de famille et de son travail de comptable aux impôts, dont elle pourrait pourtant se passer, son mari gagnant très bien sa vie. Oh, un jour, elle avait bien pensé à divorcer, mais l'ami avocat, qu'elle avait consulté, lui avait rétorqué : "Allez, Koùla, ne joue pas les oies blanches, personne n'aime son mari ou sa femme suffisamment [mon commentaire : lucidité ou cynisme masculin], ce n'est qu'une affaire d'habitude, adapte-toi ; c'est ça le bonheur, bécasse, tu ne comprends, tu ne l'as pas encore appris ?"
Chaque jour donc, pour aller au travail, elle s'installe dans le métro, toujours à la même place, dans la même rame, et c'est comme ça qu'un jour, elle se trouve en face du jeune Mìmis, un bel étudiant charmeur. Elle n'imagine même pas que quelque chose puisse arriver. Ils mettent plusieurs semaines à s'observer, puis à se parler : "Presque rien au début : « Bonjour », « Bonne soirée », puis ils se lancèrent dans des petites phrases, du genre « Ça se rafraîchit », Beaucoup de monde aujourd'hui »." Cependant, même si elle sait l'issue incertaine, Koùla se laisse séduire, accepte d'être tutoyée, d'aller boire un verre, puis de manger dans un boui-boui où il l'entraîne, et enfin dans sa garçonnière en sous-sol. Elle dépasse les conventions de la différence d'âge et de la peur de l'adultère (après tout, son mari n'a-t-il pas des liaisons, et il ne la touche plus depuis des années). Malgré sa brièveté, le texte est lent (on doit le lire avec la même lenteur), comme si pour Koùla, le temps s'était arrêté. La Femme du métro dresse un magnifique portrait de femme. Tout est vu de son point de vue, elle sait qu'il n'y a pas d'avenir dans cette liaison, mais ça ne fait rien, elle accepte et assume la fragilité d'une aventure qui sera brève. Et c'est elle qui décide d'arrêter : "Elle avait toujours été ferme comme un roc dans ses décisions."
L'écriture (traduction excellente de Michel Volkovitch) est fluide et rend bien les fluctuations des sentiments de Koùla qui s'émancipe, tout en n'étant pas le jouet de cette passion, ni des circonstances qui l'y ont menée. Au fond, elle devient une femme libre : "On ne naît pas libre, on le devient" (Alexandre Jollien).

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