Peu désireuse de voir le téléphone prendre le contrôle de son existence, elle a organisé des plages horaires où elle accepte de décrocher. […] Elle a toujours voulu diriger le cours des événements.
Halldóra Thoroddsen, Double vitrage, trad. Jean-Christophe Salaün, Bleu & Jaune, 2021)
un très beau roman islandais sur le veuvage et le crépuscule de la vie
J’avoue que je suis, avec le téléphone, comme l’héroïne de Double vitrage, je ne le décroche pas forcément pour tout un tas de raisons : par exemple, je suis en train de manger (trois fois par jour quand même) ou de regarder la télévision (c’est plus rare), ou bien je suis en ville et, soit j’ai oublié le téléphone à la maison (parfois volontairement), soit je ne l’entends pas sonner, pris dans le brouhaha des rues, ou bien si je suis chez moi il est dans une pièce éloignée où je l’ai malencontreusement posé et je ne l’entends pas, etc. Bref, je reconnais qu’il est difficile de me téléphoner et de me trouver prêt à répondre. Tant pis pour moi ! Souvent je recommande qu’on m’envoie un sms pour me demander quand on peut m’appeler, pour que je m’y prépare et que je précise bien quand je peux me libérer.
Il faut dire aussi que c’est un instrument auquel je ne me suis jamais habitué. Je n’avais pratiquement jamais téléphoné avant de travailler, mes parents n’avaient pas le téléphone, et moi-même, jusqu’en 1984, je me suis contenté d’avoir le téléphone au travail, pas chez moi. Mais même au travail, j’ai toujours considéré le téléphone comme un outil, certes utile dans certains cas et un outil qui n'apporte guère de plaisir.
Et il m’arrivait de douter de l’utilité d’un tel engin quand, dans les années 90, je recevais un coup de fil de ce collègue de Limoges, un condisciple de l’École des bibliothèques : quand il m’appelait, je ne savais toujours pas au bout d’une demi-heure l’objet de son appel et j’étais obligé de le presser. Je devais être pour lui comme un confesseur ou un psy, il me racontait par le menu sa vie quotidienne de vieux garçon vivant avec ses vieux parents (ils l'avaient eu sur le tard) dont il était le seul enfant, et à cinquante ans, il éprouvait le besoin de s’épancher dans mon giron. Il avait peu ou pas d’amis, et a été ravi que je sois nommé à Poitiers, car ça lui donnait aussi l’occasion de me rappeler quelques souvenirs de l’École, son passage à Paris avait dû être la grande aventure de sa vie !
Aujourd’hui, évidemment, l’ère du smartphone et de l’interconnexion généralisée me laisse de marbre. J’en reconnais certains bienfaits (surtout pour les personnes seules et isolées), mais j’en vois surtout les méfaits (en fait, ça renforce l’isolement), et je ne suis pas près de m’y mettre. Vivre avec cette béquille perpétuelle dans ma poche (ou pire, dans ma main), non merci !
Par contre, si je suis moins épistolier qu’autrefois, je continue à écrire de temps en temps des lettres ; bien sûr, avec ma main beaucoup moins adroite qu’avant mon avc, je les écris de plus en plus avec une machine, l’ordinateur. Mais comme j’ai lu dans le livre d’Emmanuelle Favier, Virginia (Albin Michel, 2019), "La lettre que l’on reçoit apporte l’autre tout chaud qui palpite à l’autre bout et qui est tout entier dans le papier, dans l’encre où a puisé sa plume". C’est quand même autre chose qu’un froid coup de téléphone, même ci celui-ci est agrémenté de la vision de notre ou nos correspondants ! On peut relire une lettre, c’est très rare qu’un coup de fil nous émeuve ou nous donne à penser.
À vrai dire, on a beau m'y inciter, j’ai envie de suivre mon instinct qui me dit en gros caractères : NON AU SMARTPHONE ! Je ne suis pas "comme le sont la plupart des gens [qui ont] peur de suivre [leurs] propres instincts quand ils {vont] à l’encontre de ceux des autres" (Mark Twain, N° 44, le mystérieux étranger, trad. Bernard Hœpffner, Tristam, 2011). D’ailleurs, pendant mes voyages en cargo, j’étais épanoui sans téléphone. Il me semble que le smartphone pour moi me ferait dire, comme André Gide : "On croit que l’on possède et l’on est possédé".
1 commentaire:
Entièrement d'accord avec vos propos. Née en 1968, j'ai vraiment du mal avec ses nouvelles technologies froides et sans âme, la dématérialisation où l' humain n'a plus sa place. J'ai le souvenir d'un retour de l'île d'Aix l'été précédent, dans le bac où une ribambelle d'ados était complétement aliénisés par leurs jeux destructeurs, les yeux fixés dans cet univers virtuel en occultant totalement la beauté du paysage. Originaire du Sud Vienne, j'ai deux fils et je les ai éduqué à être curieux, à admirer le spectacle que nous donne la mère nature.
Patricia
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