jeudi 28 avril 2016

28 avril 2016 : femmes, femmes, femmes... (la maman et la putain)


« Que crois-tu que tu es ? Encore quelqu'un ? »
(Mohammed Dib, L'heureux Fuseux, in La nuit sauvage, Albin Michel, 1995)

Trois films qui portent un regard sur les femmes d'hier et d'aujourd'hui, et qui m'ont beaucoup plu.

D’une pierre deux coups, résumé : Zayane, femme immigrée Algérienne de 70 ans, mène une vie toute simple dans sa cité HLM, jusqu’au jour où elle reçoit une lettre de son ancienne patronne d’Algérie, qui lui annonce que son mari décédé lui a légué une boîte de souvenirs. Ce qui oblige Zayane, analphabète, mère de onze enfants, qui n'a jamais dépassé les limites de sa banlieue, à décider de prendre le train pour tenter de parvenir à rejoindre son ancienne patronne, et bien sûr sans prévenir aucun de ses fils ou filles de sa virée. En fin de compte, devant les obstacles dus à son inexpérience (elle se trompe de train), elle fait appel par téléphone portable à sa copine Amel qui l'y emmène en voiture. Occasion pour les deux amies de se raconter leurs petites histoires… Pendant ce temps, cette absence extraordinaire provoque la panique dans sa famille. Les onze enfants vont se retrouver réunis dans l’appartement de leur mère.

La réalisatrice, dont la mère était également analphabète et mère de famille nombreuse, dresse un portrait de ces femmes qui sont la matrice de ces familles. La plupart, de la génération de Zayane, vivent un quotidien étriqué, dont elles ne maîtrisent pas tous les codes : se déplacer par exemple. Néanmoins, elles refusent d’être considérées comme des victimes. Par ailleurs, elles sont avant tout des mères, pleines de dévouement, de dignité, avec leurs joies, leurs peines et leurs secrets. Personne ne songe que Zayane puisse avoir eu une vie intime en dehors de son mariage vraisemblablement imposé. C'est une mère courage. Hors de la cité, elle est perdue. Et pourtant, elle que personne n'écoute jamais, va se retrouver, va révéler sa force tout autant que sa fragilité. 
Ce voyage initiatique va la ramener plus de cinquante ans en arrière, quand elle était au service d'un couple de colons ; elle fut alors amoureuse de l'apprenti de son patron qui lui a appris la photographie et l'usage du super huit. Bien sûr, la vie les a séparés, mais ils ont correspondu, elle en lui envoyant des petits films qu'elle tournait sur ses enfants (ils sont dans la boîte que sa patronne lui rend), lui en lui envoyant des lettres parlées sur cassette. Pendant son absence, ses filles fouillent la maison à la recherche d'un indice expliquant sa disparition (deux d'entre elles vont même à la police) et trouvent ces fameuses audio-cassettes. Elles découvrent donc le secret de leur mère et le dévoilent lors du grand repas qui réunit toute la famille. Un choc pour certains d'entre eux, les hommes surtout, qui imaginent mal que leur mère (forcément une sainte) ait pu vivre une histoire d'amour clandestinement. Réactions et tensions vont aller bon train, d'autant que si certains se sont bien adaptés aux mœurs françaises, d'autres sont restés plus réservés et traditionalistes. Formidable réflexion sur les difficultés de l’intégration, et un portrait de femmes éblouissant. 

Leena Yadav, avec La saison des femmes, nous parle de la vie des femmes indiennes dans les campagnes de ce XXI°siècle. Ça se passe dans un village, perdu au milieu de nulle part, où elles essaient de survivre. Un conseil de village, exclusivement masculin, gère le village entier. Mais une poignée de femmes se décident à défendre leurs droits : elles veulent une télévision ! Toutes ces femmes, dès leur plus jeune âge (elles sont souvent mariées à quatorze ans), sont plus ou moins maltraitées par leurs maris, ou par les autres hommes (qui eux passent leur temps à s'ivrogner ou à courir aux spectacles de danse) : elles sont d'ailleurs vendues contre une dot importante, à leur futur mari. 
Un film dur, violent, émouvant et heureusement nourri d'humour et de solidarité, sur le fait d’être une femme en Inde aujourd'hui. Il semble qu'il n'y ait pas de juste milieu entre la maman et la putain ! Les quatre héroïnes (la mère courage et sa belle-fille, son amie prétendûment stérile, leur amie danseuse) font face avec courage à leurs "hommes", aux usuriers, reçoivent des coups, mais finalement elles vont échapper toutes à un destin sinistre… La saison des femmes dénonce une réalité qui nous paraît aujourd’hui insupportable (et qui doit l'être effectivement) ; à la sortie, mes voisines me disaient "c'est quand même un drôle de pays" (assurément, la façon de vivre est fort différente de la nôtre, qui doit également leur paraître drôle). Mais sous la forme d'un film très maîtrisé, qui n'oublie pas les leçons de Bollywood (chants et danses, beaux costumes). Les hommes n'en sortent pas grandis, surtout les jeunes hommes, englués dans l'alcool, la violence et les frustrations. En tout cas, magnifiques portraits de ces quatre femmes.
 

Le film de Kurosawa, Je ne regrette rien de ma jeunesse, forme une sorte de fresque du Japon entre 1931 et 1946. De jeunes étudiants veulent refaire le monde. Mais la liberté est menacée par le fascisme militaire qui s'installe. Et tous ne vont pas survivre pareillement. Tandis que le vieux professeur d'université démissionne pour ne pas cautionner l'absence de liberté, un des étudiants, Itokawa, sert le régime en devenant procureur, un autre, Noge, est emprisonné pendant cinq ans. L'héroïne, Yukie, fille du professeur, hésite un moment entre les deux, mais finit par se lier à Noge, jeune homme passionné, idéaliste et convaincu, qui œuvre pour la paix. Convaincu d'espionnage pendant la guerre, il est exécuté. Yukie, mue par son amour pour Noge, décide de mener sa propre lutte, contre le conformisme ; elle accepte l'injonction de son père : "Au revers de la liberté, il y a des sacrifices à faire et des responsabilités à prendre", et décide de rejoindre ses beaux-parents, paysans maltraités par les autres villageois, en tant que parents de l'espion et se fait paysanne : elle surmonte sa souffrance devant le désespoir de la famille de Noge en face des rizières que les autres ont saccagées, elle fait sienne cette terre, elle devient celle par qui la vie renaît et redonne de l'espoir à son beau-père. Le film oppose l'ombre (le militarisme, la guerre et la tradition) et le rayonnement (la liberté, la paix, la solidarité, incarnées par Noge et Yukie) dans un noir et blanc somptueux. Magnifique portrait de femme, là encore.

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