Il
est temps que vous appreniez à écouter au lieu de toujours usurper
la parole.
(Jean-Marie
Adiaffi, La carte d’identité,
Hatier, 1980)
Voici
une quinzaine de passée, riche en événements et rencontres :
outre les séances de cinéma dont je vous ai donné un aperçu, les
visites à mon frère, la continuation du cycle Marguerite Duras avec
Moderato
cantabile
lu par André Loncin (14 avril) et La
Musica deuxième
(15 avril), joué par Elsa Lardy et Frédéric d'Elia, l'hommage à
Georges Bonnet, la belle séance d'atelier d'écriture à la Maison
des femmes de Bordeaux (13 avril) sur le thème de la Commune de
Paris (j'étais le seul homme), et mes lectures consacrées entre
autres à la critique du pouvoir (Les
chasses à l'homme de
Grégoire Chamayou, La fabrique éd., 2010, et Les
frères de Soledad
de George Jackson, Gallimard, 1971, dont je rendrai compte dans de prochaines
pages, et je vous garantis que ça ne va pas me faire devenir tendre
envers nos gouvernants actuels !), ma petite balade à Nuit
debout
de Bordeaux en sortant de la Commune de Paris...
Bref,
je suis remonté comme jamais. Effaré par les
déclarations immodérées (je suis gentil) de nos responsables politiques et des
charognards de la presse et des médias audio-visuels. Qu’ils ne
soient pas capables de se rendre compte qu'en insultant toute une part
de la population issue de l’esclavage et de la colonisation, ils
renforcent sa stigmatisation. Pour plaisanter avec leurs discours, on peut dire qu'il se livrent à une
"déchéance
de rationalité", comme je l'ai lu quelque part.
Cette élite privilégiée, complètement en dehors de la réalité,
est prête à jeter de l'huile sur le feu pour alimenter les pulsions
malsaines qui n'ont que trop tendance à surgir : haro sur les
musulmans, les noirs, les migrants... et les pauvres, sans compte les
jeunes, à qui la police fait la chasse, comme aux plus beaux jours
de mai 68. Et ceci au moment où on réédite Mein
Kampf.
N'oublions pas que la violence des mots engendre la violence des gestes. Aragon ne pourrait plus aujourd'hui publier ses fameux vers : "Descendez les flics / Camarades / Descendez les flics" (poème Front rouge in Persécuté persécuteur, Éd. Surréalistes, 1931). Mais le mépris de l'État, la violence des forces de l'ordre (qui, probablement – on a bien connu ça en mai 68 et c'était déjà le cas à l'époque de Louise Michel – noyaute les groupes en jouant le rôle de provocateurs), cette incapacité de promouvoir la fraternité et l'égalité (bien au contraire, c'est plutôt que le meilleur – c'est-à-dire le plus retors, le plus salaud, gagne !), cette manière de ne concevoir la liberté que pour les classes dominantes (est-ce que nous pouvons, nous, dissimuler notre épargne aux Bahamas ou à Panama ?), les autres n'ayant qu'à la fermer, à s'exclure de l'éducation et du travail (par exemple, une jeune fille ou une femme qui aurait le malheur de vouloir se voiler), à accepter des salaires de misère ou, pire, à devenir serviteur de leur ordre : flics, matons ou soldatesque.
affiche de la campagne de l'ACAT contre les violences policières
Un
récent reportage télévisé nous montrait les Bulgares organisant
en toute illégalité des chasses à l'homme pour refouler les
migrants venant de Turquie. Quand on voit les camps (?) de Calais, on
n'a rien à répondre, puisqu'on ne fait pas mieux, qu'on ne sait plus
accueillir et même, qu'on n'a plus le droit d'accueillir : "On
retrouve un autre trait caractéristique de l'état de proscrit :
l'interdiction de porter assistance. C'est le délit
de solidarité"
(dans Les
chasses à
l'homme).
C'est terrifiant, on est revenu aux années 30, où on faisait la
chasse aux étrangers. Il est vrai que ça s'est amélioré :
maintenant, on fait aussi la chasse aux jeunes, aux pauvres (voir ces
habitants du XVIe qui refusent l'implantation d'un centre d'accueil
pour SDF). Franchement, je ne pensais pas voir ça de mon vivant. Il
est temps que je m'en aille !
Allez,
quelques citations dans des textes lus récemment pour se donner du
courage ou pour se consoler :
"c’est
un bien beau peuple, la seule chose qui l’intéresse c’est le
fric que tu as, personne ne s’intéresse à autre chose, la dignité
se mesure à la quantité de fric que tu possèdes, il n’y a pas
d’autre valeur…" (Horacio Castellanos Moya, Le
dégoût,
trad. Robert Amutio, Les Allusifs, 2003)
"De
toutes les religions qui ont affligé l‘homme (et ce sont les
fléaux les plus terribles), le nationalisme me semble la plus
monstrueuse et la plus féroce." (propos
de Roger Fry, dans Virginia
Woolf, La vie de Roger Fry,
trad. Jean Pavans, Rivages, 2002)
"Didelin,
lors de son procès, 10 janvier 1883 : « Eh bien oui,
messieurs, j’ai préconisé la grève des conscrits ; pourquoi ?
C’est bien simple, les prolétaires n’ont rien à défendre, ils
n’ont aucun intérêt à aller se faire casser les os à la
frontière ou ailleurs. Pourquoi donc se battraient-ils ? Pourquoi
exposeraient-ils leur vie ? C’est aux riches, c’est à ceux qui
ont du bien au soleil d’empêcher l’ennemi de le leur prendre.
C’est vraiment assez qu’ils exploitent les travailleurs sans que
les travailleurs aillent risquer de se faire tuer pour garantir à
leurs exploiteurs la libre jouissance du fruit de leur exploitation."
(Louise Michel, À travers la mort : Mémoires
inédits, 1886-1890, La
découverte, 2015)
"Depuis
les Grecs, l'Occident n'a jamais pu concevoir qu'une force ne
s'exerce pas jusqu'aux limites de son pouvoir. L'Amérique est le
lieu privilégié de ce pouvoir, la scène plus vaste qui pousse à
l'extrême l'industrie, la guerre et la folie blanches."
(Henry Bauchau,
L'écriture à l'écoute,
Actes sud, 2000)
"L’opinion
publique est bien préparée à ce que toute violence, même minime
pour se défendre, soit sévèrement réprimée... La seule pas
réprimée, la violence patronale qui met des millions de
travailleurs sur le carreau après licenciements économiques..."
(Silien Larios, Féerie pour une autre grève,
manuscrit)
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