Il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger.
(Molière, L’Avare)
Une nouvelle fois, je suis confronté à mon problème avec la nourriture. Un grand repas de famille se profile pour Pâques. On m’y propose le restaurant. Quand j’ai appris le coût par personne, 50 € le repas seul sans les boissons, le café, j’ai décliné. Je préférais envoyer la somme à Madagascar, ce que j’ai fait dans la foulée. Car mon voyage de 2018 là-bas m’a remis les pendules à l’heure. De nombreux Malgaches m’ont dit qu’ils ne savaient pas le matin ce qu’ils allaient manger dans la journée.
Quand je vois l’argent qu’on dépense pour se restaurer (mariages, baptêmes, anniversaires, enterrements de vie de garçon ou de fille, fiestas diverses...) et que, parallèlement, je vois le nombre de SDF et de mendiants augmenter, et qu’on me propose d’aller manger au resto pour 50 € ou plus, je n’ai qu’une envie en tête : m’inscrire dans un endroit où je pourrai jeûner. Retraite dans un monastère, stage "jeûne" proposé par une association (si, si, ça existe, comme les semaines de stage contre toute addiction, drogues diverses, smartphone, alcool, tabac, etc) si possible en montagne et à l’écart de notre société d’hyper-consommation.
J’ai plus faim de nourriture spirituelle (lecture au sens très large, poésie, romans, contes et nouvelles, théâtre, grands textes du patrimoine universel, essais divers et variés ; arts, musique, mystique, etc) et éventuellement la partager avec d’autres. Je passe plus de temps à lire qu’à manger. J’ai faim aussi d’exercice physique, de voyages, de rencontres, d’amitié, de lien social avec les autres générations, des enfants aux vieillards. J’ai faim de connaître des gens comme les handicapés de tous genres, plus que les normatifs et que tous ceux qui veulent nous faire entrer dans des moules. J’ai faim de vivre, enfin !
Et passer sa vie à manger, avec tous les excès que ça suppose, tant en aliments solides (aller dans les cinémas commerciaux me tue quand je vois tout ce que beaucoup ingurgitent) que liquides (abus d’alcool, sans doute, mais abus aussi de boissons sucrées), ne me semble pas un idéal de vie si réjouissant que ça. Les anciens le savaient bien, qui prévoyaient des jours de jeûne, des jours "maigres", des jours sans… Mais aujourd’hui, ces jours sont devenus l’exclusivité des pays pauvres ou, chez nous, des sdf, des migrants, de tous ceux qui crèvent de faim (et parfois de soif), tandis que l’autre moitié du monde se gave et croule, ensevelie sous des montagnes de boustifaille.
Où est l’égalité là-dedans ? Là encore l’inégalité frappe. Bien sûr que les pauvres voudraient participer à nos agapes, à nos chers gueuletons, à nos gigantesques ripailles, à notre dispendieuse bonne chère. Mais il n’y a pas de partage ; peu de portes s’ouvrent devant un misérable comme celle de Mgr Myriel, l’évêque de Digne, au début des Misérables, le formidable bouquin de Victor Hugo, qui donne le couvert et l’hébergement à Jean Valjean qui sort du bagne, lui devant qui toutes les portes se sont fermées. J’entends encore le rire tonitruant de Flaubert devant cette scène qu’il jugeait hautement invraisemblable. Eh bien, riez tant que vous voulez, et "Bon appétit, Messieurs", comme dit Hernani, autre héros hugolien.
Car l’appétit excessif de bouffe se conjugue aussi en ambition effrénée, en gloutonnerie boulimique de pouvoir (ainsi dans les bombardements incessants de Gaza) et de concupiscence comme on peut le voir chez bien des hommes politiques ou de cinéma. Pouah, restons-en là ! Et sachons être dans le sobriété, dans la retenue, dans l’abstinence et, en fin de compte, dans la sagesse… Mais peut-être que les êtres humains en sont dépourvus ! Et pourtant, c'est cette sagesse, cette modération qui, liées au partage et à l'entraide, donne de la joie...
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