Ouvriers,
Paysans, nous sommes
Le
grand parti des travailleurs ;
(Eugène
Pottier, L'internationale)
Il
n'y a pas tant de films que ça sur le monde ouvrier et encore moins
sur le monde paysan. J'avoue que ça me désole un peu, parce que les
affres des bourgeois (grands ou petits), ça commence à bien faire.
Je viens donc ce samedi 2 avril de passer une journée cinéma
"documentaire" à l'Utopia.
En
premier lieu, j'ai vu Volta à
terra, premier film de João Pedro
Plácido, d’une grande beauté visuelle (cf mon ami berger de
l'Ardèche : "Ce n'est pas parce que nous vivons dans la
boue et au milieu des éléments qu'on n'a pas droit, nous paysans, y
compris nos animaux, à de la beauté"), œuvre qui m'a rappelé
les deux célèbres films de Rouquier, Farrebique
et Biquefarre.
Le film dresse le portrait de Daniel, un jeune paysan qui doit
reprendre la ferme familiale. Il essaie de devenir un homme. Le film
se déroule au rythme des saisons, et fait la part belle à la
nature, aux animaux : ah ! ces vaches indociles qui ont
toutes un prénom ! On est ici dans la quête d'un incertain
bonheur, qui se reflète dans la lumière intérieure dégagée par
les paysans, et aussi dans leur parole.
Dans
Uz, ce hameau des montagnes désertées du nord du Portugal, ne
subsistent que quelques dizaines de paysans, non encore émigrés.
Bien sûr, le jeune berger Daniel rêve de l’amour qui seul, lui
permettrait d'accepter la rudesse des travaux des champs. Même si
les paysages sont magnifiques (la moisson faite encore à la
faucille), il n'est pas question pour le cinéaste d'enjoliver la
campagne. C'est donc la vie de tous les jours dans toutes ses peines
: tonte des moutons, tuerie du cochon, vaches à amener au pâturage,
naissance des veaux, beaucoup de pluie aussi… Mais
on trouve aussi des moments joyeux : la fête du village et les
danses, un début de romance de Daniel avec une ancienne camarade
d'école ou la rencontre insolite de son très jeune neveu émigré
de quatre ans qui ne parle que français.
La colère aussi : "C'est celui qui travaille le plus qui
gagne le moins", proclame un paysan en pensant aux bureaucrates
des ministères ou de Bruxelles. Pour moi qui suis originaire du
milieu campagnard, j'ai trouvé ce film exceptionnel !
À
noter, sur le monde paysan, le très beau film, de fiction cette fois, du
Britannique Terence Davies, Sunset
song, qui résonne comme un écho romanesque à
ce documentaire.
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J'ai
enchaîné sur Comme
des Lions, qui
raconte deux ans d’engagement féroce d'une partie des salariés de
PSA Aulnay contre la fermeture de leur usine. Beaucoup sont immigrés
ou enfants d’immigrés (47 nationalités !), certains sont des
militants syndicaux. Ils mettent à jour les mensonges de la
direction (ça n'a pas cessé depuis : on récompense le grand
patron par un salaire et des primes démesurés parce qu'en
augmentant le nombre de licenciements, il a augmenté les profits des
actionnaires), les promesses sans garanties et qui ne seront pas
tenues, la faiblesse de l'engagement de l’État. On voir le
candidat Hollande en mars 2012 qui vient promettre aux ouvriers qu'on
ne les laissera pas tomber, ensuite le ministre Montebourg vient
plastronner à son tour. Bref, une partie des salariés se met en
grève, seulement un cinquième de l'effectif, mais ils savent qu'ils
se battent pour tous. Bien sûr, au bout de quatre mois, ils n’ont
pas à proprement parler "gagné". L'usine a fermé, malgré
les rodomontades de Montebourg. Mais les ouvriers ont gagné en moral, en
fierté, ils ont pris des risques, gagné en expérience de combat.
Et ce sont les grévistes (combatifs) qui vivent moins mal que les
non-grévistes (résignés) les suites parfois tragiques de la
fermeture de leur usine : chômage et reclassement difficile,
dépression.
Le
film nous montre ces deux années de vie exceptionnelle, où la
mobilisation a fait découvrir à certains l’intelligence du
collectif, et la démocratie réelle, loin de la démocratie
formelle, même si sans doute ça ne montre pas tout. Comme
des Lions est un document essentiel
au moment de la très large mobilisation contre la réforme du droit
du travail. On y apprend la nécessité de l'action, la manière de
gérer les discussions sur le comment lutter, comment trouver
l'énergie qui convient, comment monter un comité de grève.
La réalisatrice Françoise Davisse s’est immergée parmi les
ouvriers pour donner à voir et à entendre ce qu'est un combat
ouvrier. C'est un film qui galvanise, qui porte au débat, qui
questionne.
Au
moment où la direction de PSA a annoncé des profits exceptionnels
pour l’année 2015 : 3,8 milliards d'euros de "free cash
flow", et une augmentation substantielle (chaudement approuvée par le
MEDEF) des gratifications du patron, les suppressions d'emploi se
multiplient, notamment à l’usine de Poissy, là où justement plus
de 600 salariés ex-Aulnay avaient pu soi-disant se reclasser après
la fermeture de l’usine. Pendant deux ans, les grévistes d’Aulnay
ont tenu tête au patronat. Ils ont proposé autre chose que de se
laisser abattre sans réagir devant le couperet financier. On voit
dans le film l'envers du décor : les cadres de PSA prêts à tout
pour casser la grève (avant de se faire jeter à leur tour ?), le
rôle néfaste du syndicat patronal chargé de désunir les ouvriers,
le rôle tout aussi malsain de l’État et des médias à ses
bottes : décrédibilisation par les télés des grévistes
qualifiés de casseurs à grands coups de mensonges et d'images
soigneusement choisies.
Le
film explore aussi la lenteur du processus de négociation (en fait,
le patronat n'en voulait pas et a retardé au maximum), d'où l'obligation de renégocier en
permanence, la direction cherchant à ulcérer les grévistes et à
les pousser à la faute. Par ailleurs, dans une grève, tout est
affaire de communication. Et donc de langage, aussi bien dans les
discussions internes, que face au patronat, aux médias, aux hommes
politiques (maire d'Aulnay et député), aux fonctionnaires du
Ministère du Travail qui adorent rester dans le flou. Les médias,
eux, ne font que relayer les messages tout prêts de PSA. Le film
donc donne au contraire une approche de la parole ouvrière en
général inaudible, et il montre clairement la dignité des
soi-disant casseurs. C'est passionnant, même si probablement très
incomplet. Et peut-être un peu trop point de vue officiel de la CGT.
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Pour
compléter ce double tableau ouvrier et paysan, je ne résiste pas à
terminer sur cette citation d'Alain
Badiou (introduction d'Au temps de
l'anarchie, un théâtre de combat : 1880-1914,
Séguier, 2001, trois volumes dans lesquels je découvre le théâtre
de Louise Michel) qui nous rappelle la férocité de la grande
bourgeoisie envers les paysans et les ouvriers :
"Comme
on le sait depuis Thermidor au moins, la répression brute n’a
jamais suffi aux bourgeois vainqueurs, et singulièrement aux féroces
bourgeois français, qui ont à leur actif, en juin 48 et au moment
de la Commune, les principaux massacres d’ouvriers de l’histoire
; avec la guerre de 14, un holocauste particulièrement absurde de
jeunes paysans jetés sous le feu dans les fondrières ; ensuite les
guerres coloniales les plus atroces, les capitulations devant
l’envahisseur les plus honteuses, et, aujourd’hui, depuis au
moins la fin des années soixante-dix, les dispositions
intellectuelles les plus rétrogrades et les plus serviles au regard
de l’ordre établi - celui de la finance, de la richesse
ostentatoire, de la corruption et de l’humiliation de la pensée".
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