mardi 19 avril 2016

19 avril 2016 : Georges Bonnet : "Juste avant la nuit"

les habitants de ce pays sont fâchés avec l’art et les manifestations de l’esprit...
(Horacio Castellanos Moya, Le dégoût, trad. Robert Amutio, Les Allusifs, 2003)

Vous connaissez l'amitié que je porte à Georges Bonnet, dont je cite abondamment le nom dans mon blog, et à qui je rends visite à Poitiers une ou deux fois par mois : si non, relisez ma page de blog du 7 octobre 2010, lors de la parution de Un ciel à hauteur d'homme, ou du 18 mai 2012, pour Entre deux mots la nuit. Ce magnifique poète, né en 1919 dans une famille paysanne de Saintonge, pourrait être mon père et, d'une certaine manière, il l'est devenu : un père spirituel comme chacun peut en rêver. Comme le fut avant lui, Marius Noguès, l'écrivain-paysan du Gers, né également en 1919 (mort en 2012), et qui m'a tant marqué également.

Voici qu'il publie un nouveau titre, à 97 ans : Juste avant la nuit, aux éditions du Temps qu'il fait, avec en couverture un beau paysage vaporeux de Turner choisi par l'éditeur. En voici la présentation par l'éditeur :
"Avec «L’ombre de l’ombre / Peut-être la nuit / Ou bien la mort»… il y a de l’ombre dans ce recueil, mais juste assez pour permettre à la clarté de ne pas éblouir. Il y a également du silence, «Un silence / volontiers / tout près / de l’interdit», mais enveloppé de quiétude et de patience. De la solitude, mais peuplée de sensations heureuses. Son très grand âge et sa vue déclinante n’autorisent plus à Georges Bonnet que de très courts poèmes, extrêmement simples d’apparence. Il en donne ici plus d’une centaine qui ne font place ni à l’amertume ni aux regrets. Tout une vie derrière soi, et fort longue, constituée de «Bonheurs et malheurs / détachés / de leur stupeur» — d’où se sont absentées la peur comme la révolte contre la mort —, donne à ce testament poétique une sérénité habitée, une courtoisie discrète qui en font un admirable modèle de vie."

Que dire de plus ? En citer quelques extraits peut-être, pour donner un avant-goût :
L'émoi d'un mur / de pierres sèches / à l'approche / des lézards

À la nuit tombée / les dérives / de l'apparence

Il entre / dans son silence / à pas feutrés

Le silence / ce chef-d'œuvre / quand il se déploie

Il contemple sur le seuil / la poussière / ivre de ce qu'elle était

Un matin / quotidien / secret / et sans dorures / Mais proche / de la voix / qui mesure / le jour

Trop de paroles / dit-il / franchissons les mots

Il se cherche / longtemps / au profond / de son enfance / Son père / se précise / Sur le chemin / des morts

On le voit, une poésie du quotidien, concrète, une poésie du souvenir, de la campagne et de l'enfance, du paysage et de la mémoire, loin du bruit et de la fureur contemporains, en des vers brefs, ciselés, dont on ne peut rien retrancher, proches des petits poèmes japonais.
la maison de Georges, à Poitiers
à gauche, le fameux cèdre étêté en 2010 par la tempête Xynthia

Nous avons rendu hommage à Georges Bonnet samedi dernier à la Bibliothèque des Couronneries à Poitiers. La présentation était faite par Rabiha Sabhan Al-Baidhawe, qui a traduit et lu en arabe quelques textes de Georges, et par Pierre Vignaud, autre poète et écrivain poitevin. D'autres amis étaient là et ont lu des extraits de son œuvre. Une quarantaine de personnes étaient là : quel poète peut en dire autant ?
Rabiha Sabhan Al-Baidhawe, Georges Bonnet et Pierre Vignaud

Georges n'écrit plus, parce qu'il ne peut plus lire, à cause de sa dégénérescence maculaire aggravée depuis quelque temps. Et, comme beaucoup de poètes, il a besoin de lire pour écrire. D'ailleurs, même sans être écrivain, chacun de nous a besoin de lire pour se nourrir, pour trouver un équilibre dans notre monde violent et incertain. Au moment où d'aucuns brûlent les livres, saccagent les bibliothèques, ou en font une quantité négligeable, c'est important de rappeler l'importance de la lecture et de la poésie, au moment où la plupart de nos hommes politiques, de nos grands chefs économiques, tout autant que les guerriers et terroristes de tous poils, détestent les livres, la liberté qu'ils donnent à l'individu et le partage spirituel qu'ils nous proposent.


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