les
habitants de ce pays sont fâchés avec l’art et les manifestations
de l’esprit...
(Horacio
Castellanos Moya, Le
dégoût, trad.
Robert Amutio, Les Allusifs, 2003)
Vous
connaissez l'amitié que je porte à Georges Bonnet, dont je cite
abondamment le nom dans mon blog, et à qui je rends visite à
Poitiers une ou deux fois par mois : si non, relisez ma page de
blog du 7 octobre 2010, lors de la parution de Un ciel à hauteur
d'homme, ou du 18 mai 2012, pour Entre deux mots la nuit.
Ce magnifique poète, né en 1919 dans une famille paysanne de
Saintonge, pourrait être mon père et, d'une certaine manière, il
l'est devenu : un père spirituel comme chacun peut en rêver.
Comme le fut avant lui, Marius Noguès, l'écrivain-paysan du Gers,
né également en 1919 (mort en 2012), et qui m'a tant marqué également.
Voici
qu'il publie un nouveau titre, à 97 ans : Juste avant la
nuit, aux éditions du Temps qu'il fait, avec en couverture un
beau paysage vaporeux de Turner choisi par l'éditeur. En voici la
présentation par l'éditeur :
"Avec
«L’ombre de l’ombre / Peut-être la nuit / Ou bien la mort»…
il y a de l’ombre dans ce recueil, mais juste assez pour permettre
à la clarté de ne pas éblouir. Il y a également du silence, «Un
silence / volontiers / tout près / de l’interdit», mais enveloppé
de quiétude et de patience. De la solitude, mais peuplée de
sensations heureuses. Son très grand âge et sa vue déclinante
n’autorisent plus à Georges Bonnet que de très courts poèmes,
extrêmement simples d’apparence. Il en donne ici plus d’une
centaine qui ne font place ni à l’amertume ni aux regrets. Tout
une vie derrière soi, et fort longue, constituée de «Bonheurs et
malheurs / détachés / de leur stupeur» — d’où se sont
absentées la peur comme la révolte contre la mort —, donne à ce
testament poétique une sérénité habitée, une courtoisie discrète
qui en font un admirable modèle de vie."
Que
dire de plus ? En citer quelques extraits peut-être, pour
donner un avant-goût :
L'émoi
d'un mur / de pierres sèches / à l'approche / des lézards
À
la nuit tombée / les dérives / de l'apparence
Il
entre / dans son silence / à pas feutrés
Le
silence / ce chef-d'œuvre
/ quand il se déploie
Il
contemple sur le seuil / la poussière / ivre de ce qu'elle était
Un
matin / quotidien / secret / et sans dorures / Mais proche / de la
voix / qui mesure / le jour
Trop
de paroles / dit-il / franchissons les mots
Il
se cherche / longtemps / au profond / de son enfance / Son père / se
précise / Sur le chemin / des morts
On
le voit, une poésie du quotidien, concrète, une poésie du
souvenir, de la campagne et de l'enfance, du paysage et de la
mémoire, loin du bruit et de la fureur contemporains, en des vers brefs, ciselés, dont on ne peut rien
retrancher, proches des petits poèmes japonais.
la maison de Georges, à Poitiers
à gauche, le fameux cèdre étêté en 2010 par la tempête Xynthia
Nous
avons rendu hommage à Georges Bonnet samedi dernier à la
Bibliothèque des Couronneries à Poitiers. La présentation était
faite par Rabiha Sabhan Al-Baidhawe, qui a traduit et lu en arabe
quelques textes de Georges, et par Pierre Vignaud, autre poète et écrivain poitevin. D'autres amis étaient là et ont lu des
extraits de son œuvre.
Une quarantaine de personnes étaient là : quel poète peut en
dire autant ?
Rabiha Sabhan Al-Baidhawe, Georges Bonnet et Pierre Vignaud
Georges
n'écrit plus, parce qu'il ne peut plus lire, à cause de sa
dégénérescence maculaire aggravée depuis quelque temps. Et, comme
beaucoup de poètes, il a besoin de lire pour écrire. D'ailleurs,
même sans être écrivain, chacun de nous a besoin de lire pour se
nourrir, pour trouver un équilibre dans notre monde violent et
incertain. Au moment où d'aucuns brûlent les livres, saccagent les bibliothèques, ou en font une
quantité négligeable, c'est important de rappeler l'importance de la lecture et de la poésie, au moment où
la plupart de nos hommes politiques, de nos grands chefs économiques,
tout autant que les guerriers et terroristes de tous poils, détestent
les livres, la liberté qu'ils donnent à l'individu et le partage
spirituel qu'ils nous proposent.
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