Devant
la formidable inflation verbale des médias et surtout de la
publicité qui érode, et constamment affadit le langage par le
caractère répétitif de ses effets de choc, la poésie n'a pas
d'autre voie que de "donner un sens plus pur aux mots de la
tribu", ainsi que l'a dit ou prophétisé Mallarmé. La
découverte de ce sens plus pur demande aux lecteurs un certain
effort de décryptage que beaucoup d'entre eux, dans la monde
occidental, ne sont plus disposés à faire.
(Henry
Bauchau, L'écriture à l'écoute, Actes sud, 2000)
Alias
Maria
(Alias = pseudonyme) est le nom donné à une
jeune fille depuis qu'elle a
pris le maquis
pour rejoindre la guérilla des
FARC,
au cœur de la forêt amazonienne de Colombie. Un nom de guerre, qui
indique qu'en
embrassant la cause, elle
a effacé son
passé duquel
nous ne saurons rien.
Maria
est devenue
une
compañera, habillée
en treillis et
fait partie d'un commando comprenant pas mal
de jeunes
femmes.
À
voir son
visage encore adolescent,
son air
un
peu
triste, on
se doute que la vie n'est pas facile, et qu'elle ne l'a peut-être jamais été pour elle. Maria a perdu depuis
bien longtemps l’innocence de ses treize ans. Le
groupe dont elle fait partie, attaqué par les gouvernementaux ou les
milices paramilitaires (au service des narcotrafiquants ou de la bourgeoisie)
doit rejoindre un lieu plus sûr dans
la
jungle. Comme
tant
d'autres, on peut supposer que
Maria a
rejoint les rangs des FARC, aussi
bien par
soif d’un idéal que
par
l’attrait des armes et de
leur
pouvoir, mais
sans doute
aussi parce les
FARC
offrent gîte
et
repas à
ces Indiens privés de tout,
et même les services d’un médecin.
Maria
va
faire partie d'une
mission : transporter en lieu sûr le nouveau-né de la compagne du commandant. En
effet, malgré les
avortements pratiqués par
le médecin,
des bébés naissent en
pleine
jungle. Maria,
accompagnée
de deux soldats (dont
Mauricio, son "amoureux" ou plutôt son compagnon de sexe, et un jeune noir) et
d’un tout
jeune gamin
d'une
douzaine d'années qui croule sous
un barda deux fois plus lourd que lui,
fuit
au cœur de la forêt, le bébé contre son sein. Le
film est le récit de cette
expédition, huis-clos oppressant dans
la chaleur humide,
où le
danger est partout et où
les règles de la guérilla, sans pitié, sont appliquées à tous,
quelque soit le sexe ou l’âge : le
jeune garçon, Yuldor, une fois blessé, sera achevé par Mauricio, puisqu'on est dans l'incapacité de le soigner.
J'ai
beaucoup aimé ce
film sans
concession, ni sur
ses personnages, ni sur
le
spectateur. Au
moment où une autre sorte de guérilla nous menace (et des jeunes
femmes aussi s'embarquent dans le djihadisme), Alias Maria nous fait
réfléchir sur les violences
de notre monde. Son
aspect
documentaire est
superbe, illustrant
la
réalité
de la Colombie et de ses guerres intestines,
mais
sans aucune thèse : film engagé, mais non moralisateur ;
le réalisateur porte un
regard presque
clinique sur un petit groupe,
et
dresse
le portrait bouleversant d’une gamine qui
se bat
pour sa survie. Portrait
qui ne nous laisse pas indemne : habituée probablement depuis
son enfance à une vie extrêmement dure, Maria fait preuve d'une
force d'âme
et
d'un
courage exceptionnel, aussi bien que d'une capacité à s'intéresser
aux autres (épisode de la rencontre du couple des vieux paysans) et
d'une acuité de vision qui lui fait deviner l'arbitraire
(pourquoi seule la "femme" du commandant a eu le droit
de ne pas avorter ?), la manière dont les hommes (mâles) se
comportent (mal) avec les jeunes femmes (Mauricio ne lui demande jamais son avis pour l'amour), à l'exception de Byron, le
noir, issu d'une fratrie nombreuse et qui sait changer les couches
d'un bébé, ce qui n'est pas très viril dans ce monde de machos !
Maria (extraordinaire Karen Torres)
Les
paysages m'ont rappelé ce que je voyais du sommet du mont Tonkui, et
je soufflais et je souffrais avec Maria quand il lui fallait grimper sur d'incertains
sentiers, tout en soutenant avec empathie le malheureux Yuldor, blessé. C'est mon troisième film colombien de l'année, après L'étreinte du serpent (cf ma page du 9 janvier) et La terre et l'ombre. Il y a une sorte de poésie brute dans ce film magnifique ! Et qui nous montre de vrais êtres humains, pas des superhéros à la mords-moi le nœud comme Batman ou Superman...
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