jeudi 31 mars 2016

31 mars 2016 : cinéma français pas mort : "Tempête" et "Le cœur régulier"


Manger, quand on y pense, ça ressemble toujours à un meurtre : n‘est-ce pas, en effet, le seul acte qui nous « condamne » à supprimer l’objet même de notre désir ?
(Nadine Vasseur, Le poids et la voix, Le temps qu’il fait, 1996)

Cette excellente remarque de Nadine Vasseur dans son bel essai vaut pour quasiment tous les désirs : ne parle-t-on pas de « petite mort » pour l'amour ? Et, quand on a vu un film, la plupart du temps, ne disparaît-il pas de notre désir ? Idem pour un roman ? Cependant, il est des films, des romans, des amours fort heureusement et même des aliments qu'une seule consommation n'annihile pas. Parmi les derniers films vus, je vais vous en présenter deux que je recommande : des films français qui donnent une belle vision de notre cinéma, toujours vivant.
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Avec Tempête, Samuel Collardey nous offre un très beau film, qui sonde formidablement les âmes. Il se passe en partie sur la mer, car le personnage principal, Dom, pratique le "grand métier", dix jours en mer et deux jours à terre l'hiver, quinze jours en mer et deux jours de repos l'été. C'est dire qu'il ne peut pas s'occuper excellemment de ses deux adolescents dont il a la garde et qu'il aime farouchement au point d'avoir adopté l'aînée, Maylis, fille de sa femme et de père inconnu.

Ah ! La mer… Éléments déchaînés… Ses somptueuses tempêtes, la vulnérabilité pour ceux qui vivent de tels moments. Et le gouffre qui sépare la terne vie des terriens de celle, exaltante, des marins... Pour Dom, trente-huit ans, la mer et la pêche sont sa passion. Il balance entre entre l'état d'adulte et celui de l'éternel adolescent qu'il fut lors de son premier embarquement à seize ans. Mais voilà, ses enfants sont devenus adolescents, et il se comporte en grand frère avec Matteo et Mailys : taquineries, batailles, jeux quand ils se retrouvent. Mais Matteo et surtout Maylis ne sont pas vraiment armés pour la vie, ils auraient besoin d'un père. Certes Matteo pourra suivre sa trace et devenir marin. Mais Mailys, c'est autre chose. À seize ans, elle est enceinte quoique dans un déni de grossesse, et le bébé présente des malformations, il faut faire une opération. Et Dom, reparti sur la mer, sera absent dans ce moment crucial pour elle. Comprenant qu'il risque alors de perdre la garde de ses enfants, Dom tente une reconversion à terre. Mais nous sommes aujourd'hui : le contexte social est mauvais, la crise affecte aussi la pêche, et se lancer dans l'aventure (achat d'un bateau) sans soutien financier se révèlera impossible. Tempête est un film d'une humanité profonde, un grand film social qui parle des humbles, chose rare au cinéma. Ne le ratez pas quand il passera à la télévision. Les trois acteurs principaux jouent leur propre rôle.

Avec Le cœur régulier, cette fois co-production franco-belge tirée d'un roman d'Olivier Adam, on est dans un autre monde. Qui n'a jamais eu envie de se suicider ? Alice (Isabelle Carré, magnifique) vit dans un univers protégé, elle a tout pour être heureuse : maison ultra sophistiquée, beaucoup d'argent, deux beaux enfants, un mari aimant, mais sa vie tourne à vide. Quelque chose ne va pas tout à fait chez elle. C'est l'arrivée de son jeune frère Nathan et son accident de moto dans lequel il meurt qui va la troubler. Mais avant sa mort tragique, elle a eu le temps de renouer le lien avec Nathan le vif, l'impétueux, le bohème, riche de ses faiblesses et de ses sentiments, qui vit, lui. Quand il a débarqué dans la maisonnée (en l'absence du couple de parents partis pour une soirée), il chamboule tout : il organise une partie de crêpes dans la cuisine, les gosses crient, osent rire, et Alice s'illumine. Seul Léo, le trop parfait mari, résiste à cet enthousiasme. Dans la nuit, Nathan enfourche sa moto et entraîne Alice. Il lui avoue qu'il revient du Japon, où il a fait une rencontre qui l'a transformé. Il se sent en paix avec lui-même.

Désarçonnée par ce décès brutal, Alice prend l'avion. C'est au-dessus de falaises battues par les vents, au Japon, qu'elle va trouver le désir de vivre et non pas de survivre. Elle y est en quelque sorte sauvée par Daïsuke, celui qui recoud ceux qui n'ont plus le cœur à vivre. Sans les juger, sans les consoler. Simplement il écoute. Il a tout abandonné pour se placer du côté de ceux qui ont besoin d'une main secourable à un moment de leur vie. C'est très beau, fin, délicat, sans pathos ! Un personnage proche de Fúsi dans le film islandais récent. Belle utilisation du cinémascope. Un grand moment.


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