jeudi 5 janvier 2023

5 janvier 2023 : les poèmes du mois, Rimbaud


Notre loi prescrit de se laver les mains avant de se mettre à table. Lui [Jésus] au contraire a dit que cet usage importait peu, car ce qui entre dans la bouche n’est ni pur ni impur, puisqu’il finit ensuite à la décharge. C’est ce qui sort de la bouche, ce que quelqu’un dit, qui est pur ou impur. Ce sont les mots que nous utilisons qui font une personne pure ou impure.

(Erri De Luca, Une tête de nuage, trad. Danièle Valin, Gallimard, 2018)



En ce début d’année, me voici armé pour affronter de nouveau la poésie, en espérant que l’invention, l’inspiration, reviendront. Aussi, pour me mettre en bouche, je relis Rimbaud. J’en cite ici deux poèmes, un de forme classique, un sonnet, et l’autre en prose poétique. Et bonne année, en poésie !



Ma bohème (Poésies)



Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ;

Mon paletot aussi devenait idéal ;

J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ;

Oh ! là ! là ! que d'amours splendides j'ai rêvées !



Mon unique culotte avait un large trou.

Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course

Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.

Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.



Et je les écoutais, assis au bord des routes,

Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes

De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;



Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,

Comme des lyres, je tirais les élastiques

De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !



Aube (Illuminations)



J’ai embrassé l’aube d’été.

Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombres ne quittaient pas la route
du bois. J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.

La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.

Je ris au wasserfall* blond qui s’échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse.

Alors je levai un à un les voiles. Dans l’allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l’ai dénoncée au coq. À la grand’ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.

En haut de la route, près d’un bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses voiles amassés, et j’ai senti un peu son immense corps. L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois.

Au réveil il était midi.



* chute d’eau, cascade, en allemand

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