Anougba
: Ceux qui vont à la vitesse de la flèche veulent
toujours aller de plus en plus vite. Parce qu'ils ne savent pas vers
quoi ils courent, volent.
(Amadou
Koné, Le respect des morts, Hatier, 2002)
Je
repensais à cette belle réplique pendant mon voyage en avion.
Encore celui-ci fut-il, à l'aller, à l'aéroport de Casablanca et
après l'escale, l'occasion de belles rencontres. J'avais lu à
Toulouse la belle pièce de théâtre de Koné, achetée chez Présence africaine à Paris.
D'abord,
dans le hall de transit, je discute avec des Français retraités
qui, eux, partent vers Dakar, où ils se sont fait construire une
maison. Ils y vivent définitivement, ont un titre de résident et ne
reviennent en France que pour voir leurs enfants et petits-enfants.
Ils n'ont qu'une hâte : repartir, me disent-ils. Je ressens
pour eux "cette même fraternité vague
qui nous émeut à l'étranger à la vue d'un Français" dont
parle Marcel Proust dans Les plaisirs
et les jours.
Ensuite,
la nuit tombe quand nous montons dans l'avion pour Abidjan. Toujours
avec Royal Air Maroc et en Boeing. Nous sommes très bien servis par
le personnel de bord. Mon voisin est un militaire Marocain, Samir, qui participe à la force d'interposition en Côte d'Ivoire,
l'ONUCI. Il est marié, père de deux enfants. Nous sympathisons, il
est désolé de voir son fils d'une dizaine d'années passer le plus
clair de son temps sur sa Playstation... Je compatis ! Nous
échangeons nos adresses mail. Il m'enverra un mail, et je lui
téléphonerai d'Abidjan sans pouvoir cependant le revoir.
Je
n'aurai pas l'outrecuidance de dire qu'après deux semaines, je
connais la Côte d'Ivoire comme ma poche. Je ne peux que livrer des
impressions, en utilisant mon journal de bord. Et d'abord sur
Abidjan.
15 février :
Pierryl, qui s'est fait arracher une dent de sagesse pendant que je dormais encore, ne travaille donc pas ce matin ; il me propose de sortir dans le coin, faire connaissance du quartier dit Cité des arts. En voulant enfiler mes nu-pieds je me rends compte que la semelle est complètement pourrie, j'ai pris les vieux. Il me dit que les cordonniers ici sont très bien. Pierryl m'emmène au petit marché du quartier, où on vend des fruits et légumes (on achète bananes, mangue et papaye), me montre la petite supérette à côté (indispensable pour faire la monnaie des billets de 10 000 Francs CFA) et le cordonnier à qui je donne mes chaussures à réparer. Je vois qu'il faut faire très attention en marchant, des plaques de béton manquent sur les grosses rigoles qui charrient les eaux de pluie. On peut se casser une jambe si on ne regarde pas où on met les pieds. On voit de ci-de là de gros oiseaux blancs, des pique-boeufs, qui farfouillent dans les détritus nombreux. Des bouts de plastique partout. Grosse chaleur.
Après
manger, il me dépose au Plateau, le quartier central situé sur sa
route, où je veux voir l'Institut français et la grande Librairie
pour essayer de trouver un plan d'Abidjan. Et essayer aussi d'acheter
des nu-pieds, car les miens ne seront prêts que samedi prochain. Je
me balade donc dans le quartier, préférant les trottoirs à
l'ombre. Je m'arrête à l'Institut français, ouvert, mais la
bibliothèque est fermée le lundi. À
la Librairie
de France,
je cherche en vain un plan, ça n'existe plus. Coïncidence, sur le compte rendu de son voyage actuel au Pérou de mon ami Jean (de Lyon, rencontré sur le cargo en 2013), il me signale : "Je
me suis mis en quête d'acheter une carte routière du Pérou,
mission impossible pour le moment, grandes librairies, stations
services, rien n'y fait, produit totalement inconnu ici, surprenant".
Je
continue ma promenade, croise de nombreux petits marchands de rue
proposant téléphones portables, ceintures de cuir, montres,
porte-monnaies, clés USB, caleçons, socquettes, et même des
cigarettes à l'unité, etc. J'entre dans une boutique pour acheter
des nu-pieds : les tennis m'échauffent cruellement, je les
réserverai pour les randonnées en montagne que Lucile me propose
pour la semaine prochaine. Tout le monde a l'air affairé. Je suis le
seul "Blanc" à marcher à pied.
Pour
essayer de trouver un peu de fraîcheur, j'avise un petit parc. La
chaleur est la même. Un groupe de musulmans, installés sur des
tapis de prière, fait ses dévotions. Plus loin, un conteur (en
langue locale) capte l'attention d'un public masculin très attentif.
Je croise des collégiens et lycéens en uniforme. Puis je me dirige, toujours à pied, vers la cathédrale d'Abidjan,
récemment restaurée, car elle avait subi des dégradations pendant
les « événements » des années 2000. Réalisée par
l'architecte italien Aldo Spirito, c'est un joyau élancé vers le
ciel, très épuré, très lumineux à l'intérieur, où il fait plus
frais, sans climatisation, signe qu'elle est bien conçue.
Car dehors,
la chaleur est accablante. J'avais envisagé de rentrer à pied
(environ 2, 5 km), mais la circulation est très dense sur ces grands
axes, et en plein soleil. Je prends donc un taxi.
Première
nuit : Il y a un climatiseur dans la chambre que Lucile et
Pierryl ont mis à ma disposition, mais je l'éteins en même temps
que la lumière. Et préfère, en cours de nuit, quand je me
réveille, ouvrir fenêtre et porte pour établir un courant d'air
bienvenu. Tout de même, la température nocturne reste à 28° !
16 février :
À midi, Pierryl débarque pour manger. Je ne savais pas (ils partent travailler avant mon réveil), j'avais mis à cuire quelques pâtes, on achève les lentilles d'hier avec des œufs au plat. Sa joue a désenflé, il n'a plus aussi mal.
L'après-midi,
comme Pierryl m'avait dit d'acheter du pain et indiqué qu'il y a une
boulangerie près de l'église Saint-Jean de Cocody, à environ 1 km
de chez eux, je décide d'y aller, et toujours à pied, seul moyen de
voir la population et de prendre le pouls de la vie citadine. Grosse
chaleur, bien entendu : le seul avantage, c'est que, comme on
sue beaucoup, on n'a pas besoin de pisser, ce qui est toujours ma
hantise dans les grandes villes.
Seul "Blanc" en vue ! Je passe à côté de l'immeuble
de la RTI (Radio-Télévision Ivoirienne), bien gardé. Je découvre
le marché de Cocody et ses innombrables petits marchands, soit
installés dans des un lacis de cases et sur la place, soit sous des
éventaires le long du trottoir du boulevard Latrille, soit vendeurs
à la sauvette qui tentent de harponner les passants.
Je
finis par découvrir l'église, sans y entrer, puis la fameuse
boulangerie, appartenant à un Libanais (ils sont assez nombreux dans
le commerce ici). Tout à côté, je repère un cybercafé. Mais,
assommé par la chaleur, je rentre me mouiller sous une douche
rapide.
Le
soir, Pierryl et Lucile m'emmènent en voiture (Pierryl a une voiture
de fonction qu'il peut utiliser pour son usage personnel) dans un
nouveau quartier, tout au bout du Boulevard Latrille, à environ 2,5
km de chez eux : Blockosso. Imaginez une dédale de cases, souvent de
petits commerces, débouchant sur la lagune. Nous nous installons
dans un maquis (= restaurant africain souvent en plein air) au bord de l'eau.
Pierryl a commandé du poulet braisé aux oignons accompagné
d'attiéké (semoule de manioc). Ici, les choses se commandent à une
des cuisinières tenant son commerce dans le coin ; elle vient nous
apporter la commande au maquis au bout de trois quarts d'heure
environ. En attendant, nous buvons de la bière pour nous rafraîchir.
Nous sommes dans la nuit abidjanaise. Il fait chaud, mais c'est plus
supportable qu'en plein soleil. Le plat arrive, on nous apporte un
seau d'eau, car nous mangeons à l'africaine, avec les doigts, qu'il
faut donc rincer de temps en temps. C'est succulent ! Paraît
toutefois qu'il ne faut pas abuser d'attiéké, très constipant.
En
sortant du maquis, Pierryl et Lucile me font repérer la gare
lagunaire de Blockhosso, d'où on peut prendre un bateau-bus pour
traverser la lagune et aller à Treichville, où Lucile m'a dit que
je pourrai acheter du tissu dans le grand marché couvert. C'est
qu'Abidjan est une ville lagunaire comme Venise, et que le bateau-bus
est un moyen commode et efficace (et plus frais) de se déplacer d'un
quartier à l'autre, d'autant plus qu'il n'y a que trois ponts et
une circulation automobile énorme.
À
suivre...
PS : depuis mon aventure de Melbourne, je m'abstiens de prendre des photos de gens !
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