On
n'apprécie pas les avantages d'un père, d'un père
Sauf
quand on trouve la maison vide du père.
On
ne voit pas une mère, une mère
Plus
excellente que l'or,
Sauf
quand on retrouve la case maternelle vide de la mère.
Alors
on marche, marche à pas comptés
Dans
la nuit du cœur
et dans l'ombre des yeux
Et
l'on sort pour verser d'abondantes et brûlantes larmes.
(Ahmadou
Kourouma, Les soleils des Indépendances, Seuil, 1970)
Comme
la grande absente serait contente de voir comment notre fille
s'occupe bien de son vieux père. Il est vrai aussi qu'on parle
beaucoup d'elle et que c'est comme si elle nous accompagnait aussi !
24
févier : Réveil
à 7 h. petit déjeuner à 7 h 30. À 8 h, nous
retrouvons Ahmed devant l'hôtel, et prenons la voiture. Au bout de
deux km, nous sortons de la route bitumée et nous engageons sur une
piste très défoncée. Nous passons bientôt auprès de l'une des
visites à faire, celle des fameuses Cascades de Man. "Elles
sont à sec", prévient Ahmed, "il n'a pas plu depuis six
mois." Donc pas d'arrêt ! Encore trois quarts d'heure de piste, et nous garons la
voiture dans un renfoncement.
nid de fourmis sur un tronc
À
partir de là, nous commençons à grimper par une piste vers le
sommet du Mont Tonkoui où a été installée la tour de la Radio-Télévision
Ivoirienne. Piste heureusement ombragée souvent, mais la chaleur est intense
dans l'atmosphère brumeuse saturée d'humidité. Nous passons près
de bambous géants (et souvent desséchés : il n'a pas plu
depuis une éternité), de kapokiers gigantesques. Nous voyons un
criquet rasta (couleurs de la Jamaïque), de beaux papillons, des
oiseaux...
les bambous géants et Ahmed
La
montée est très éprouvante, quoique non difficile : à peine
500 m de dénivelé, pour 8 km et 2 heures de marche, mais plus de
35° à l'ombre. Nous atteignons la belle résidence de
l'ex-gouverneur, superbe villa d'altitude, maintenue en bon état.
Puis prenons un raccourci pour gagner le sommet et la tour où
j'arrive épuisé, et en nage. Le gardien nous propose, après une
petite pause, de grimper au sommet de la tour : ajoutons 450
marches dans l'escalier en colimaçon heureusement très frais, car
au centre de la tour. J'ai bien cru que je n'y arriverais pas !
Nous sommes là-haut à 1243 m.
le sommet, Lucile et Ahmed
De la terrasse, beau point de vue sur les autres montagnes
environnantes, sur le village auprès duquel nous avons laissé la
voiture, mais la brume empêche de voir les lointains. Dommage. Mais
j'étais tellement heureux d'y être arrivé. Mon état de fatigue me fait me rendre compte que
j'ai bien mes soixante-dix ans...
dans la brume, le village en bas et les montagnes au loin
Le
retour fut plus rapide et presque pétillant, environ une heure 15. Par
contre, en voiture, la piste pour revenir me parut plus pénible
encore. Pauvre Lucile qui conduisait, je lui servais vaguement de
guide, pour dire à gauche, à droite, au milieu, pour tenter
d'éviter les plus gros trous. Nous avons fini tellement éreintés
qu'il n'était plus question d'aller voir les singes sacrés ni
l'atelier des sculpteurs qu'Ahmed nous proposait. Pendant tout le périple, notre guide n'a rien
bu. Je n'ai pas non plus aperçu l'ombre de la moindre sueur sur son
tee-shirt, alors que j'étais trempé.
le criquet "rasta"
De
retour à l'hôtel, nous mangeons léger, une salade. Puis nous
allons nous mettre en maillot de bain pour tenter de nous détendre.
Heureusement la piscine est loin d'être glacée. Le temps est
toujours brumeux, de la terrasse on aperçoit à peine le contour des
montagnes dans l'air ambiant, ultra-humide et chaud.
Nous
n'avons même plus envie de bouger. Une partie de scrabble. Lecture.
Et nous observons aux tables voisines le séminaire de formation animé par un jeune Chinois (en anglais,
alors que visiblement un grand nombre de stagiaires, presque tous
jeunes, ne comprennent pas ce qu'il dit, les autres servent de
truchement) destiné à apprendre le maniement d'un nouveau modèle
de GPS mobile. À une table voisine, je parle avec un Ivoirien plus
âgé : c'est lui qui organise ces rencontres, il y en aura
d'autres dans les régions voisines. Comme je m'étonnais de voir que
le Chinois ne parle pas français, il se montre d'accord avec moi.
Puisque c'est la langue officielle du pays, pourquoi la Chine
n'envoie-t-elle pas des commerciaux francophones ? D'autant plus
que le Chinois vit depuis cinq ans en Côte d'Ivoire, où il représente les intérêts
de sa société. Raison de plus pour parler français, me
semble-t-il.
Quand
la nuit tombe, le séminaire est fini, chacun est reparti avec sa
petite machine et un cadeau. Trouvant le restaurant de l'hôtel cher
et pas forcément excellent, nous allons en ville manger dans un
maquis, Chez Paye, recommandé par Ahmed et Le petit fûté.
Aussi quelconque qu'à l'hôtel : poisson au riz.
26
février : Cette fois, lever à 6 h. Instruits par l'expérience
d'hier, nous avons donné rendez-vous à Ahmed à 7 h. En montagne,
il est bon de partir tôt et de rentrer, si possible, pour midi !
La Dent de Man ne culmine qu'à 881 m, mais se présente comme un
piton, donc d'accès plus difficile qu'hier, même si la randonnée
sera moins longue.
À
7 h, nous retrouvons Ahmed, qui nous dit qu'une agence de
voyages lui a confié des touristes provenant d'un autre hôtel. Il nous cède à Sidiki, autre guide
agréé, pour le même tarif. Sidiki est un bel homme, sec et mince, d'une quarantaine
d'années (pour autant qu'on arrive à donner un âge aux Ivoiriens),
qui parle bien français et anglais, en plus des langues locales. Il
sait s'adapter au profil des touristes (âge notamment), nous dit-il. Et nous
partons sur la piste cabossée jusqu'au village où il habite, point de
départ de la randonnée. Nous garons l'auto sous un arbre, donnons
un pourboire au gardien.
la Dent de Man, vue du village
La
montée est d'entrée raide, tout droit jusqu'à un sentier qui
contourne une première montagne, la Dent de Man est derrière. Comme
je vois beaucoup de brûlis, Sidiki nous explique qu'ils servent à
la fois à produire de la cendre pour les sols à cultiver et à
faire la chasse au petit gibier (hérissons = porcs-épics ici,
agoutis, rats et autres petits rongeurs) ainsi qu'aux quelques biches
qui traînent par là, ce gibier étant une des sources de protéines
pour les villageois, complément alimentaire non négligeable dans ce
pays déshérité.
un brûlis
Nous
passons à côté d'une plantation de manioc et apercevons des
racines de manioc épluchées, en train de sécher. Le manioc sert
aussi à fabriquer du tapioca. Plus loin, ce sont des cacaoyers. De temps à autre
un immense kapokier : Sidiki nous explique qu'on en file le
"coton". Quelques palmiers pour l'huile de palme. La
chaleur est intense, car depuis le village, nous sommes en terrain
dégagé. Nous arrivons à une petite source. Arrêt bienvenu, nous
buvons, Lucile et moi, à nos bouteilles. À notre grand étonnement,
Sidiki attrape un récipient qui traîne là et, le remplissant
d'eau, boit de cette eau. Je lui donne ma casquette à tremper dans la source pour me rafraîchir la tête. Il apprécie l'idée et fait de même pour
lui.
on approche
La
montagne contournée, nous arrivons au pied de la Dent de Man. Sur
les contreforts, Sidiki nous fait observer un animal qui se rit des
escarpements : un renard, d'un marron foncé surprenant. À
partir de là, nous allons grimper tout droit vers le sommet du
piton, en faisant attention à ne pas glisser : nombreux rochers
et feuilles par terre à cause de la sécheresse. Sans le guide, je
ne pense pas qu'on aurait trouvé la voie pour y arriver. C'est
escarpé. Sidiki devant, moi au milieu, Lucile derrière en
serre-file, à qui je tends la main de temps pour lui faire franchir
un cap difficile. On est souvent obligé d'utiliser les mains et de
monter à quatre pattes.
Mais,
arrivé au sommet, où j'arrive trempe à tordre (Sidiki est sec), c'est de toute beauté, en dépit de la brume
persistante. On aperçoit dans le lointain la ville de Man et les
montagnes. Je suis ravi d'être là. Sidiki pensait que je n'y
arriverais pas et craignait surtout qu'il m'arrive un malaise, aussi
est-il allé assez doucement, avec des pauses nombreuses. Au moment où on s'apprête à redescendre, Ahmed arrive, suivi de deux touristes suisses allemands. L'un des deux parle français.
des papayers
Et
la descente est encore plus délicate, extrêmement éprouvante pour
les genoux, mais au moins je ne souffle pas comme à la montée. On
retraverse les brûlis, on voit les claies destinées à protéger
les nouveaux semis avant repiquage. De ci-de là, on aperçoit les
travailleurs de la terre, hommes ou femmes, souvent isolés ou par
deux, à qui Sidiki dit quelques mots : il connaît tout le
monde ici.
Noua
achevons la descente fort courbatus, les bouteilles d'eau sont finies
(3 litres à nous deux), il est presque midi. Près de la voiture, on
nous invite à nous asseoir sur un banc, à l'ombre des arbres. Petits enfants et adultes se
pressent autour de nous.
Encore une fois, nous
sommes trop fatigués pour nous arrêter chez les sculpteurs sur
bois. Tant pis ! Sur le chemin du retour, Sidiki nous fait signe
d'arrêter : ses enfants rentrent de l'école. Une petite fille
et un garçon, puis une grande fille, il les fait monter à
côté de moi qui suis derrière. Le roi n'est pas leur cousin. Nous
les abandonnons peu avant la sortie du village, Sidiki habitant par
là.
Et
nous rentrons à l'hôtel. Allons à la piscine pour nous rafraîchir.
Nous n'avons guère faim. Après-midi semblable à celui d'hier, sans la réunion de formation. Beau
soleil. Un peu plus de monde à l'hôtel, notamment des jeunes qui se
jettent dans la piscine avec délices. Le Chinois est toujours là,
esseulé, pendu à son i-phone et à son ordinateur. Partie de
scrabble. Lecture. Repas léger.
À
suivre...
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