Ce mois-ci, un poème du XIXe siècle, parmi mes préférés du grand Victor Hugo :
Je suis plein de regrets. Brisé par la souffrance,
Lui regarde en avant : je regarde en arrière,
Les fontaines chantaient. Que disaient les fontaines ?
Hermann reprit alors : «Le malheur, c'est la vie.
Et je lui dis : «Tais-toi ! respect au noir mystère !
À
quoi songeaient les deux cavaliers dans la forêt ?
La
nuit était fort noire et la forêt très sombre.
Hermann
à mes côtés me paraissait une ombre.
Nos
chevaux galopaient. À la
garde de Dieu !
Les
nuages du ciel ressemblaient à des marbres.
Les
étoiles volaient dans les branches des arbres
Comme
un essaim d'oiseaux de feu.
Je suis plein de regrets. Brisé par la souffrance,
L'esprit
profond d'Hermann est vide d'espérance.
Je
suis plein de regrets. Ô mes amours, dormez !
Or,
tout en traversant ces solitudes vertes,
Hermann
me dit : «Je songe aux tombes entr'ouvertes !»
Et
je lui dis : «Je pense aux tombeaux refermés !»
Lui regarde en avant : je regarde en arrière,
Nos
chevaux galopaient à travers la clairière ;
Le
vent nous apportait de lointains angélus ;
Il
dit : «Je songe à ceux que l'existence afflige,
À
ceux qui sont, à ceux qui vivent. —
Moi,
lui dis-je,
Je
pense à ceux qui ne sont plus !»
Les fontaines chantaient. Que disaient les fontaines ?
Les
chênes murmuraient. Que murmuraient les chênes ?
Les
buissons chuchotaient comme d'anciens amis.
Hermann
me dit : «Jamais les vivants ne sommeillent.
En
ce moment, des yeux pleurent, d'autres yeux veillent.»
Et
je lui dis : «Hélas! d'autres sont endormis !»
Hermann reprit alors : «Le malheur, c'est la vie.
Les
morts ne souffrent plus. Ils sont heureux ! J'envie
Leur
fosse où l'herbe pousse, où s'effeuillent les bois.
Car
la nuit les caresse avec ses douces flammes ;
Car
le ciel rayonnant calme toutes les âmes
Dans
tous les tombeaux à la fois !»
Et je lui dis : «Tais-toi ! respect au noir mystère !
Les
morts gisent couchés sous nos pieds dans la terre.
Les
morts, ce sont les cœurs qui t'aimaient autrefois
C'est
ton ange expiré ! c'est ton père et ta mère !
Ne
les attristons point par l'ironie amère.
Comme
à travers un rêve ils entendent nos voix.»
(Victor
Hugo, Les Contemplations)
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