vendredi 28 février 2014

28 février 2014 : cueilli en lisant


J'avais le temps. Mais, en fait, le temps finit toujours par manquer. Alors que notre envie d'en disposer et de le rendre éternel demeure.
(Rodrigo Fresán, La passion des foules, in Histoire argentine, trad. Isabelle Gugnon, Seuil, 2012)

Pour finir en beauté le mois de février 2014, quelques citations que j'ai tirées de mes lectures ce mois-ci, extrêmement éclectiques. Des phrases à méditer !
Sur le genre (dont on parle tant) :
"Masculin et féminin ne sont-ils pas extrêmement mêlés dans l'être humain! Et ainsi tu comprends que dans une réflexion sur la culture j'estime un peu primaire la typologie "homme", "femme". Pourquoi en rester si souvent à cette distinction (comme principe conceptuel ? Bien !). Mais si l'on vise le concret, l'atomisation doit aller beaucoup plus loin, jusqu'à l'individualité la plus singulière. L'Europe est faite d'individus (comportant chacun du masculin et du féminin), non pas d'hommes et de femmes." (Walter Benjamin, Lettre à Herbert Belmore, 23 juin 1913)
Sur les hommes politiques de tous les temps :
Années 1900 : Louise Michel : "Les uns sont conservateurs, les autres républicains, libres-penseurs ou socialistes, ça ne fait rien, pourvu qu'on arrive." (conversation rapportée par Ernest Girault, Une colonie d'enfer, Ed. Libertaires, 2007) ;
Années 1980 : "Ces gens [Marchais, Chirac] mentent. Ils sont eux-mêmes harassés par leur lutte pour la popularité, mais en vain, car ils sont à eux-mêmes leur propre déveine, curieusement parallèles, haineux tous deux sans répit aucun, inlassablement plantés au milieu du décor. Tragiques : des appariteurs du musée du pouvoir." (Marguerite Duras, Je ne crois pas au mot gloire..., 1986, in Le monde extérieur : outside 2, POL, 1993) ;
Années 1990 : "La décennie 1990 avait désormais poussé la politique vers une voie de garage, vers la compétition entre nullités. En cette époque qui fait de la conquête du centre le seul credo stratégique, la grisaille et la sottise deviennent valeur ajoutée." (Paolo Persichetti, Exil et châtiment : coulisses d'une extradition, Textuel, 2005) 
Sur l'écriture :
"En général, un écrivain ne sert à rien et n'a d'utilité que pour lui-même. Certes, il y a aussi les lecteurs, qui constituent un monstre tout aussi mystérieux et respectable. Mais qu'est-ce qui pousse quelqu'un à s'asseoir pour écrire alors qu'il pourrait faire un tas d'autres choses bien plus gratifiantes à court et moyen terme ? C'est choisir une vie bien pénible […] que d'affronter chaque jour une feuille blanche, chercher quelque chose dans les nuages pour le ramener sur terre. Une page blanche, c'est presque aussi intimidant qu'une arme à feu braquée sur un visage." (Rodrigo Fresán, La vocation littéraire, in Histoire argentine, trad. Isabelle Gugnon, Seuil, 2012) ;
"Lire et surtout écrire, c'est me découvrir unique, intense et fertile devant l'instant présent qui passe, tout en relativisant la fragilité humaine qui m'habite, en la déléguant ailleurs momentanément, tout en l'extraterritorialisant quelque peu loin de moi. Opération magique pour laquelle je n'ai besoin que de papier." (Antoine Vivaud, Senesco, 1987-2004 : journal d'un vieillissement, Fayard, 2006)
Sur la modernité :
"Il se rappelait combien ces femmes avaient été contrariées lorsque l'électricité était arrivée dans leur petit coin de pays. Mais ce n'était pas tellement l'électricité qui les dérangeait, plutôt les réverbères. À quoi bon détruire la nuit ?" (Nii Ayikwei Parkes, Notre quelque part, trad. Sika Fakambi, Zulma, 2014) ;
"Aussi le Faust d'aujourd'hui ne cherche-t-il ni connaissance, ni amour, mais célébrité, succès populaire, son nom en haut de l'affiche. […] Tu veux vendre des millions d'exemplaires de ton livre ? Marché conclu : tu auras des piles de tes œuvres à la FNAC […] on t'achètera les droits pour faire un film avec Tom Cruise […] Et pour obtenir tout cela, tu n'auras quasiment rien à perdre, sauf la qualité artistique, le style, la grammaire, l'invention narrative, la responsabilité morale, la position éthique, la reconnaissance des futurs lecteurs, le respect de tes contemporains : ton âme." (Alberto Manguel, Monsieur Bovary & autres personnages, L'Escampette, 2013)
Sur le métier d'enseignant :
"Il s'interrogeait sur le but de son travail. Que faisait-il dans un endroit où le titre de professeur était si dévalorisé ? Quel était son rôle, si toutefois il en avait un, alors qu'il récitait des litanies sur les droits de l'homme en constante contradiction avec les nouvelles parues dans les journaux, ou qu'il parlait du droit des peuples à une autodétermination dont les pays riches se foutaient comme de leur premier bonnet phrygien ? " (Rolo Diez, In domino veritas, tard. Alexandra Carrasco, Gallimard, 2003)
Sur le fait de vieillir :
"J'attends d'avoir soixante ans pour vraiment jouer les rôles de mon âge. À ce moment-là il sera tout à fait impossible de tricher." (Ingrid Bergman, conversation avec Marguerite Duras, Bergman encore et toujours Bergman Bergman, 1966, in Le monde extérieur : outside 2, POL, 1993) ;
"Je fourbirai les armes. L'ennemi veut ma mort que je ne crains pas. Les chiffres sont des salauds. Ils comptent sur les faiblesses du corps, vertiges, raideurs, etc... pour m'avoir à disposition. […] Mauvais acteurs, les chiffres ! Je mourrai, d'accord, mais jamais je n'accepterai d'être morte. Nuance. La tour de contrôle du grand cirque, c'est moi qui la surveille." (Dominique Rolin, Le futur immédiat, Gallimard, 2002)
Sur une certaine forme de cinéma contemporain (ça s'est encore aggravé depuis !) :
"est-ce d'ailleurs encore du cinéma que ce futurisme répétitif qui s'adresse à l'adolescence ?" (Marguerite Duras, Pour une nouvelle économie de la création, 1985, in Le monde extérieur : outside 2, POL, 1993)
Sur l'ordre :
"Moi, j'étais incapable de ranger. Il aurait d'abord fallu que je fasse le ménage dans ma tête." (Louis Atangana, Une étoile dans le cœur, Rouergue, 2013)
Sur la vie, en général, les réflexions d'un prisonnier :
"3 mai 2006 : Discutant avec Toto sur les taules, lui comme moi croyons avoir trouvé la clef pour survivre lorsque tout va mal. Il faut regarder en bas. Dit autrement, il y a pire. Pire, c'est être rejeté des siens. Pire, ce serait baigner dans la frayeur au point de ne jamais remettre les pieds hors cellule, et ils sont nombreux dans ce cas. Plus loin, ce serait d'être embastillé dans une prison turque ou latino-américaine. Dehors, pour positiver, nous regarderions vers le haut, vers un objectif. Conclusion, dans notre non-monde, tout est inversé." (Christophe de La Condamine, Journal de taule, L'Harmattan, 2011)

Une chaussette veuve

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