mercredi 6 août 2025

6 août 2025 : le poème du mois

 

Tant que tu ne m’oublieras pas, je vivrai dans ton cœur.

(Toshikazu, Kawaguchi, Le café où vivent les souvenirs, trad. Géraldine Oudin, Albin Michel, 2023)

 

                En ouvrant le livre de Erri De Luca Le contraire de un (Gallimard, 2004), je tombe sur le premier texte, que je suppose être un vibrant hommage de l'auteur à sa mère. Je vous le soumets comme poème de ce mois d'août. Ce texte me rappelle mes chers disparus, comme j'en serai bientôt un, pour ceux qui m'ont aimé.

            Erri De Luca est un auteur italien que je suis depuis une vingtaine d'années : aucun de ses livres ne m'a déçu !


            MAMM'EMILIA

 

En toi j'ai été albumen, œuf, poisson,

les ères sans limites de la terre

j'ai traversé dans ton placenta,

hors de toi je suis compté en jours.

 

En toi je passé de cellule à squelette,

un million de fois je me suis agrandi, 

hors de toi l'agrandissement a été immensément mineur.


Je suis éclos de ta plénitude

sans te laisser vide parce que le vide

je l'ai emporté avec moi.


Je suis venu nu, tu m'as couvert

ainsi j'ai appris nudité et pudeur

le lait et son absence.


Tu m'as mis en bouche tous les mots

par cuillerées, sauf un : maman.


Celui-là le fils l'invente en battant ses deux lèvres

celui-là le fils l'enseigne.


De toi j'ai pris les mots de mon lieu,

les chansons, les injures, les blasphèmes,

de toi j'ai écouté mon premier livre

derrière la fièvre de la scarlatine.


Je t'ai aidé à vomir, à cuire les pizzas, 

à écrire une lettre, à allumer un feu,

à finir tes mots croisés, je t'ai versé du vin

et j'ai taché la table, 

je ne t'ai pas mis de petit-fils sur les genoux

je ne t'ai pas fait frapper à une prison

pas encore,

de toit j'ai appris le deuil et l'heure où y mettre fin,

je ressemble à ton père, à ton frère,

je n'ai pas été fils.

De toi j'ai pris les yeux clairs

pas leur poids

à toi j'ai tout caché.


J'ai promis de brûler ton corps

de ne pas le donner à la terre. Je te donnerai au feu

frère du volcan qui orientait notre sommeil.


Je te répandrai dans l'air après l'averse

à l'heure de l'arc-en-ciel

qui te faisait ouvrir grand les yeux.






 

 

 

 

 

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