je le vois en criminel […] quand sa parole parle contre la force de vie.
(Quentin Lamotta, Le crabaudeur, Dire, 1999)
Depuis janvier, j’ai repris pied dans le théâtre : aller au théâtre d’abord, puis débuter un atelier théâtre. Ce dernier va consister en une suite de sketches à un, deux ou trois personnages. Nous sommes un groupe d’une douzaine et nous inventons collectivement nos sketches. C’est pour le moment un peu laborieux ! Et au théâtre, j’ai vu deux one-man-shows dans de petits théâtres, des textes du Zarathoustra de Nietzsche pour un comédien-danseur étincelant, et des extraits d’À la ligne de Joseph Pontus, dits par un comédien seul.
Et puis hier, je suis allé voir Le Cid de Corneille, donné par la même troupe que le spectacle sur Pontus. Le Cid, pour moi, c’est toute une histoire. On en avait étudié et appris par cœur quelques scènes (la querelle Don Diègue-Don Gormas qui commence par
"Enfin, vous l’emportez, et la faveur du Roi
Vous élève en un rang qui n’était dû qu’à moi",
la scène où Don Diègue se désespère d’avoir perdu son honneur qui débute par "Ô rage, ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie !", et celle du défi de Rodrigue à Don Gormas : "À moi, Comte, deux mots…" En effet, j’étais entré à huuit ans dans la classe des grands (du CE2 au Certificat d’études) de notre école rurale, et le maître ne se cassait pas la tête : même classe pour tout le monde. Donc les petits de huit ans comme moi apprenaient des extraits du Cid aussi bien que les grands de treize-quatorze ans. Ces derniers étaient ainsi initiés à la grande littérature classique, et quittaient l’école en connaissant un peu Le Cid.
Par ailleurs, à la suite de nos nombreux déplacements, nous perdîmes une année, mon frère aîné Michel et moi, et redoublâmes la quatrième : et deux années de suite, nous eûmes Le Cid au programme. C’est dire que nous connaissions bien la pièce qui nous plaisait beaucoup. Nous jouions les scènes apprises à l’école devant la famille, mes parents, ma grand-mère et mes jeunes frère et sœur, à la grande joie de Mamie. Je jouai un Rodrigue très juvénile.
Je vis la pièce au théâtre pour la première fois avec Claire à la Comédie Française en 2002, je crois. Les comédiens français disaient le texte en sourdine et il fallait tendre l’oreille ou connaître le texte quasi par cœur comme moi pour saisir tous les mots. Pourtant nous étions au parterre. Je l’ai revu au Ranelagh, vers 2014, avec mes cousins parisiens ; c’était joué en tragi-comédie. Le comique était assuré par un roi d’opérette, qui suscitait le rire à chacune de ses apparitions.
cop photo Avide vacarme
Hier soir, le décor était fait de voiles et de grosses cantines métalliques. Les comédiens n’étaient que quatre (deux femmes, deux hommes) qui jouaient plusieurs rôles. Ainsi le Roi fut joué sur un échafaudage situé derrière les voiles, et successivement par le même acteur que Rodrigue, la même actrice que L’Infante, et le même acteur que Don Diègue. On ne voyait que sa tête et sa main gauche affublée d’un gant noir. Une partie du texte fut dite en chœur par les quatre comédien.nes, par exemple une bonne partie du Combat contre les Maures. Ce côté collectif m’a bien plu. Et j’ai conclu de la représentation que les pères, sous prétexte d’honneur, se montrent des assassins !
Après le spectacle, nous avons pu discuter avec les comédiens sur les partis-pris de mise en scène. 2 acteurs, 2 actrices, de grandes marionnettes aussi. C’était beau et parfois grandiose, ça ressemblait à du théâtre japonais. Les vers étaient bien servis, parfois au micro en ce qui concernait le Roi ! Je sens que je vais y retourner, car comme toujours avec les classique, à peine une trentaine de spectateurs avaient pris place. Et peu de jeunes, alors qu’ils sont si nombreux à succomber aux sirènes des séries télévisées, surtout américaines. Notre patrimoine théâtral est-il destiné à disparaître ?
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