En matière de propriété, le droit du premier occupant est incertain et mal assis. Le droit de conquête, au contraire, repose sur des fondements solides. Il est le seul respectable parce qu’il est le seul qui se fasse respecter. La propriété a pour glorieuse et unique origine la force.
(Anatole France, L’Île des Pingouins, Théolib, 2014)
Je suis en train de lire L’Île des Pingouins d’un de nos plus anciens Prix Nobel de littérature (1921), une sorte de sotie (comme disait le regretté André Gide, autre prix Nobel) et dont j’ai bien aimé la citation ci-dessus. Probablement une dénonciation de la colonisation, qui continue à faire des dégâts dans le monde entier : guerres, pogroms, déplacements de populations, oppression, etc.
Et je trouve qu’une fable de La Fontaine, un des plus grands poètes français, illustre à merveille le problème, car qu’est-ce que la colonisation, sinon s’approprier des terres en dépit du peuple qui y vit, comme l’ont fait les Anglais en Amérique du Nord, en Afrique et en Asie, les Espagnols et les Portugais un peu partout et spécialement en Amérique du Sud, les Français principalement en Afrique, et comme le font actuellement les Israéliens en Palestine ou tentent de le faire les Russes en Ukraine aujourd’hui.
Le chat, la belette
et le petit lapin
Du palais d'un jeune Lapin
Dame Belette un beau matin
S'empara ; c'est une rusée.
Le Maître étant absent, ce lui fut chose aisée.
Elle porta chez lui ses pénates un jour
Qu'il était allé faire à l'Aurore sa cour,
Parmi le thym et la rosée.
Après qu'il eut brouté, trotté, fait tous ses tours,
Janot Lapin retourne aux souterrains séjours.
La Belette avait mis le nez à la fenêtre.
Ô Dieux hospitaliers, que vois-je ici paraître ?
Dit l'animal chassé du paternel logis :
Ô là, Madame la Belette,
Que l'on déloge sans trompette ,
Ou je vais avertir tous les rats du pays.
La Dame au nez pointu répondit que la terre
Était au premier occupant.
C'était un beau sujet de guerre
Qu'un logis où lui-même il n'entrait qu'en rampant.
Et quand ce serait un Royaume
Je voudrais bien savoir, dit-elle, quelle loi
En a pour toujours fait l'octroi
À Jean fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume,
Plutôt qu'à Paul, plutôt qu'à moi.
Jean Lapin allégua la coutume et l'usage.
Ce sont, dit-il, leurs lois qui m'ont de ce logis
Rendu maître et seigneur, et qui de père en fils,
L'ont de Pierre à Simon, puis à moi Jean transmis.
Le premier occupant est-ce une loi plus sage ?
Or bien sans crier davantage,
Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis.
C'était un chat vivant comme un dévot ermite,
Un chat faisant la chattemite,
Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras,
Arbitre expert sur tous les cas.
Jean Lapin pour juge l'agrée.
Les voilà tous deux arrivés
Devant sa majesté fourrée.
Grippeminaud leur dit : Mes enfants, approchez,
Approchez, je suis sourd, les ans en sont la cause.
L'un et l'autre approcha ne craignant nulle chose.
Aussitôt qu'à portée il vit les contestants,
Grippeminaud le bon apôtre
Jetant des deux côtés la griffe en même temps,
Mit les plaideurs d'accord en croquant l'un et l'autre.
Ceci ressemble fort aux débats qu'ont parfois
Les petits souverains se rapportant aux Rois.
Jean de La Fontaine (Fables)
De nombreuses versions parlées de cette fable se trouvent sur Youtube ! Entre autres la version Fabrice Luchini à comparer avec la version Louis de Funès.
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