jeudi 23 mars 2023

23 mars 2023 : comment j'ai baptisé ma nouvelle bicyclette !

 

Vous êtes laids ? Soit, mes frères. Enveloppez-vous de sublime, c’est le manteau de la laideur.

(Frédéric Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, trad. Geneviève Bianquis, Flammarion, 2020)



J’ai commencé Ainsi parlait Zarathoustra que je lis à petites doses, j’en ai bien pour deux mois encore. C’est ainsi qu’on doit savourer les grands livres. J’avais tenté de le lire quand j’étais ado, vers 16/17 ans, et ça fait partie des rares livres que j’ai abandonnés en cours de lecture, car il ne convenait ni à mon tempérament, ni à ma culture d’alors. Je ne le recommande d’ailleurs pas aux ados d’aujourd’hui, toujours prêts à dégainer leur smartphone. Ce qui m’a valu une jolie conversation téléphonique lors d’une balade à vélo récente. Et grâce au smartphone, j’ai réussi à baptiser ma nouvelle bicyclette !

                                                        les vélos protestent aussi ! 

J’étais parti pour une balade à vélo. Quand je suis à vélo, j’oublie souvent d’apporter mon téléphone, et si je le prends, je m’empresse de le mettre en mode avion, car quand il sonne, ça me fait sursauter. Mais ce jour-là, je l’avais pris, machinalement, et oublié le mode avion.

Le téléphone sonne. C’est le portable… Je suis arrivé contre le parking du stade, je peux donc m'écarter, m'arrêter et ne gêner personne. Je ne connais pas le numéro affiché mais je décide de voir qui c'est ; ça me fera une pause le temps de la communication.

Voix d'homme : « Allo, Ketty ? »

Tiens, je croyais m'appeler Jipé. Serait-ce un de mes multiples hétéronymes ? J’émets une sorte de grognement qui peut passer pour féminin.

La voix : « C’est moi. Ton bichon ! Tu me reconnais ? Pourquoi t’es partie comme ça ? »

Nouveau grognement de ma part. J'ai envie de voir où le mec veut en venir.

« T’es fâchée, ma douce ? »

Ma douce, maintenant ! Comme je ne dis mot, il se lance dans ce que je prévois être un long discours.

« Écoute, faut pas m’en vouloir. Je t’aime, tu sais… »

Il s'arrête, le temps que Ketty – ou moi – assimile cet aveu.

« Bon, d’accord, j’ai fait une connerie… Mais sans penser à mal. C’est pas ce que tu crois. Y a que toi que j’aime… L’autre ne compte pas ! Ketty, tu m’écoutes ? »

Je me sens obligé de grogner de nouveau.

« Ben toi alors, on peut dire que t’es drôlement rancunière. Parce que tu nous as vus à la terrasse d’un café et que je lui tenais la main… Qu’est-ce que t’as cru ? Ouais, si j’étais un menteur, je pourrais te raconter des bobards, te dire que c'était ma cousine qui avait besoin d'être consolée, ou que je lisais les lignes de la main pour voir si elle allait gagner à l'euromillion … Non, en fait, je veux pas te mentir, et en plus, t’y croirais pas, t’es fine, t'es maline, toi. C’est vrai qu’elle me déplaisait pas, mais c’était uniquement pour tenter ma chance, voir si je séduisais encore un peu. Je ne savais plus, depuis qu'on se connaît, si j étais encore capable de plaire et de séduire. Tu m'entends, Ketty ? »

(long silence, je respire bruyamment, comme si je refoulais mes larmes).

« Tu vas pas te mettre à chialer, tout de même ! Après tout ce qu'on a vécu ensemble ! Puisque je te dis que tout ça n’a pas d’importance, c’est du pipeau, il ne s’est rien passé, je ne recommencerai plus. Y a que toi qui comptes, tu le sais bien. »

Je grogne.

« Réponds-moi, ma biche. Merde, dis-moi un mot, dis que tu m’en veux pas ! On dirait que tu le prends mal ! Tu vois, moi, si je t’avais surpris dans la même situation, je sais pas ce que j’aurais fait, mais… Je me serais dit, voilà, elle teste son coefficient de séduction… Voilà. Ouais, c’est ça que je me serais dit. Et jamais j’aurais imaginé qu’y aurait quelque chose entre vous deux. Voyons, je te connais, j’ai confiance en toi ! »

J’ai un chat dans la gorge, je tousse.

« Ah non, c'est tout ce que tu trouves à dire, toi ? En fait, ça me prouve que toi, t’as pas confiance en moi… »

Il commence à me pomper l'air. Marre de l'écouter. Je raccroche.

C'est ce jour-là que j'ai décidé d'appeler ma bicyclette Ketty. Je sais que, elle, je la tromperai jamais. J'irai jamais caresser la selle d'une autre bicyclette. Car ma Ketty, pour se venger, pourrait bien faire exprès de déraper et pourrait bien me précipiter dans un fossé plein d'eau croupie !

                                                            Dessin de Karak
 

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