samedi 4 mars 2023

4 mars 2022 : roman des "seventies"

 

Après un quasi-demi-siècle, les mots sonnent faux. Le passé est trop lourd, ce qu’on a vécu trop grand, ce qu’on a ressassé trop acide. On se raccroche aux formules creuses et aux hésitations. De quoi vérifier que le temps nous a désaccordés. Chacun a ruminé l’histoire. Elle a changé de goûts et on n’a plus les mêmes.

(Patrick Pécherot, Pour tout bagage, Gallimard, 2022)



Eh bien, voici un nouveau roman de Patrick Pécherot. Pour tout bagage se passe pendant les années 70, en France : un "temps préhistorique", comme dit le narrateur

Unis par une idée assez vague, "le fascisme ne passera pas", un petit groupe de lycéens, Antoine, Arthur, Paul, Yvon et leur amie Sylvie, enflammés par les rêves de révolution post-soixante-huitarde, par l’action des groupuscules anti-franquistes (l’enlèvement du banquier Suarez par le G.A.R.I., qui lutte ainsi contre Franco), par les rassemblements du Larzac contre l’armée, par l’envie de tout chambouler qu’on peut avoir à dix-sept ans, se retrouvent pris dans un drame : un homme, Edmond, qui allait acheter une montre pour la communion de sa fille, est tué par une belle perdue. Il était au mauvais endroit au mauvais moment. Qui a tiré ? C’est l’un d’eux.

Quarante-cinq ans plus tard, Arthur, le narrateur, essaie de comprendre ce qui s’est passé. Les "mousquetaires", comme ils se s’étaient surnommés, qui se pensaient guérilleros, adeptes de la liberté sexuelle (jusqu'à commettre le pire), de la contre-culture, admirateurs des extrémismes de gauche, se sont dispersés, ont vécu leur vie, ont renié parfois leurs idéaux de jeunesse, sont morts déjà. "On est gênés de nos silences. On finit par s'éviter. On se salue encore de la main lorsqu'on se croise. Un jour on ne se croise plus". Le temps a détruit leur complicité de jeunesse : ils se sont perdus de vue pour tirer un trait sur cette balle perdue qui continue à turlupiner Arthur. L’époque a changé, les gilets jaunes ont remplacé les "nanarchistes".

Le livre est conçu comme un kaléidoscope de fragments de mémoire, l’histoire resurgit et se recompose au gré des retrouvailles, les utopies (changer le monde, le rendre plus fraternel, vivre en communautés, en amour libre, idées libertaires, nucléaire non merci) ont pris un coup dans l’aile, la nostalgie n’est plus ce qu’elle était, les rêves sont éteints, les fleurs dans les cheveux et les pattes d’eph’ ont disparu. Arthur commente de vieilles photos, balaie le paysage sociologique de ces années militantes enfuies (on pense aux Années d’Annie Ernaux) et fait le constat de la suite plus que décevante. Sa quête se fait en une écriture très vive, mêlée d’argot, de parler populaire, en hommage aux deux Léo, Léo Ferré le chanteur (le titre est emprunté à une de ses chansons) et Léo Malet, le créateur de Nestor Burma.

Ce roman paru dans La Noire (continuatrice de la Série noire), est plus sociologique que polar (ceux qui vont le prendre parce qu’il est classé ainsi dans les librairies et les bibliothèques risquent d’être déçus). Mais une jolie réussite qui ravira ceux qui ont vécu les seventies comme moi (dommage que mon frère aîné soit déjà mort, il aurait aimé) et les fera découvrir aux plus jeunes. 

 

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