Il a fait un recueil de vers il y a quelques années, une maladie très répandue dans ces contrées.
(Ernesto Che Guevara, Second voyage à travers l’Amérique latine, 1953-1956, trad. Martine Thomas, Mille et une nuits, 2002)
Voici déjà quatre jours que je suis revenu de Venise, et ça me donne l’impression que ça fait un siècle. D’où sans doute mon vieillissement accéléré. Je reviendrai sur mes impressions de Venise 2021 un prochain jour. Je voudrais simplement parler aujourd’hui de mes lectures vénitiennes, puisque vous savez que je ne peux pas n’empêcher de lire quand je voyage. Et qu’en général, quand je vais dans un pays, je lis non pas, ou pas seulement, des guides de voyage, mais de la littérature du pays, en traduction française quand je ne connais pas la langue. Mais je me suis promis, si je dois repartir là-bas, de progresser un peu en italien. Je suis donc allé à la bibliothèque cet après-midi emprunter L’italien pour les nuls et une méthode orale avec cd. De plus, j’ai rencontré dans le bus en revenant de l’aéroport Bruno, un jeune musicien italien d’une trentaine d’années, professeur au Conservatoire et à la Faculté de musicologie de Bordeaux. On a sympathisé et je vais essayer de lui demander de me donner des cours particuliers, s’il en a le temps !
J’avais emporté à Venise ma liseuse et deux romans sur papier traduits de l’italien. Je les ai lus tous deux et les ai laissés dans la bibliothèque de l’hôtel : comme vous savez aussi, je pense que les livres sont faits pour être lus.
* * *
Pendant
le reste du voyage j’ai tiré sur les Indiens,
roman de Fabio Geda (Gaïa éd., en poche Liana Levi), peut se lire dès l’adolescence.
Emil,
jeune roumain de treize ans, est
passionné
par
Tex Willer, cow-boy héros de western
en
B.D (dans lesquelles il a appris l'italien). Il sillonne Turin avec l’intention de retourner en Roumanie
rechercher
son père, immigré
clandestin
arrêté à la frontière et détenu dans un camp. Emil fuit.
Jusqu'ici, il habitait, avec la compagne de son père, chez un
architecte qui leur offrait un beau logement en échange de quelques
heures de ménage. Il
fuit, car
il a
donné un gros coup de poing à l'architecte et l'a laissé
tout
sanguinolent. Devenu seul,
Emil
cherche
aussi
à retrouver
son grand-père paternel, comédien de rues, qui a disparu,
mais qui n’a cessé de
lui écrire
régulièrement. Il
ne
l'a
jamais vu, mais
le comédien ambulant le fait rêver.
Emil
entame un
voyage hasardeux jusqu'à Berlin (d’où
vient une lettre de son grand-père)
avec un groupe de sympathiques marginaux, puis Toulouse
et enfin Madrid où se trouve la troupe du grand-père. Récit
d'aventure et de formation donc, le texte est écrit à la première
personne, successivement
par
deux protagonistes, Emil
et l’architecte.
Chaque
récit du garçon est
suivi en contrepoint des chapitres
de l'architecte.
On
finit par comprendre leurs motivations. Récit sur
l'immigration et
ses difficultés,
vue
à travers les yeux et
l’imaginaire d'un
jeune garçon, et aussi sur
la générosité émouvante de l’architecte, personnage fragile.
C'est un récit picaresque, chaotique,
où
le jeune
héros
côtoie toutes sortes de personnages, dans ce voyage initiatique dont Emil
sort grandi. Un beau roman.
* * *
Notre
agent en Judée,
de Franco Mimmi (éd. Gallimard, Folio policier) intéressera
davantage les lecteurs de romans historiques que ceux de polars, qui
peuvent être les mêmes, moi par exemple. Il s’agit d’une
reconstitution des derniers mois de la vie de Jésus. Ponce Pilate,
le préfet, est inquiet : les impôts rentrent mal, les zélotes
sont menaçants, l'autorité romaine est compromise. Or, Caïphe le
grand-prêtre, lui suggère de suivre les agissements d’un certain
Jésus, qui prêche la paix, l’amour, la tolérance et la non-violence entre les
hommes, et serait susceptible de calmer les Juifs et de leur faire
accepter le domination romaine ("Rendez à César ce qui
appartient à César").
Ponce Pilate confie à son espion Afranios
d'enquêter sur ce Jésus. De
son côté, l’empereur Tibère, qui vit à Capri, charge son agent
Aduncus d'enquêter secrètement sur la situation et
les capacités
de Ponce Pilate. Pendant
que Jésus parcourt le
pays en prêchant et
suivi par de plus en
plus de disciples, il
est contacté par les zélotes,
nationalistes juifs qui fomentent une révolte
et lui adjoignent Judas, un des leurs comme disciple chargé de le
surveiller. De leur côté, Afranios
et Aduncus pistent
Jésus et pensent en effet qu’il ferait
un excellent ami objectif du régime romain, en prêchant la résignation.
Ils décident d’agir dans l’ombre, tandis que Judas joue le jeu
des zélotes... On a beau connaître l’histoire, on est subjugué par
les
qualités narratives de l'auteur qui mêle personnages historiques et
inventés dans une approche de l'Histoire, celle
transcrite
dans
les Évangiles, mais
donnée ici avec
force et réalisme, comme
si on y était.
Les
deux agents romains ne pourront pas empêcher la vindicte des Juifs,
et en particulier des zélotes, décidés à faire condamner Jésus ! À
déconseiller aux fanatiques antichrétiens, mais à conseiller aux
lecteurs curieux. Un vrai tour de force.
* * *
Et, comme il me restait encore quatre jours, j’ai trouvé dans ma liseuse un roman d’Antonio Fogazzaro, Le saint. J’avais déjà lu de cet auteur et à Venise aussi, Un petit monde d’autrefois (voir mon blog du 13 septembre 2018) qui m’avait beaucoup plu.
Pierre Maironi, après beaucoup d'errements sentimentaux (il a aimé une autre femme que la sienne), abandonne le monde après la mort de sa femme dont il se sent coupable. Il se réfugie dans un couvent comme jardinier sous le nom de Benedetto. Sous la surveillance de Dom Clément, un moine moderniste, il prêche une réforme en profondeur du catholicisme. Dom Clément fréquente Jean Selva, un intellectuel qui forme un groupe chargé de rénover la religion en retrouvant la source vive de la foi. Passant pour un saint, Benedetto est chassé du couvent et fuit vers Rome, où il a une audience avec le Pape à qui il conseille d'être compréhensif à l'égard des théologiens modernistes qui cherchent à retrouver cette source. Le Saint a fait connaître le modernisme au grand public, au cœur des grands débats de cette période avant qu’une encyclique de 1907 ne le condamne. C’est donc l’histoire d'un simple fidèle, placée dans une crise culturelle provoquée par l'intrusion du positivisme et des méthodes critiques entrant dans le champ de la théologie et des sciences religieuses. Bien que modéré dans l’analyse, le livre sera mis à l’index par la Papauté. Benedetto est suivi par des personnages nombreux, des malades qui espèrent être guéris, et aussi par la femme qu’il a aimée et n'a jamais perdu de vue, et il mourra dans le dénuement, en odeur de sainteté. J’ai lu avec intérêt, alors même que je ne suis pas expert en religion catholique, ce roman injustement oublié.
* * *
Mais, franchement, mieux vaut lire de la littérature que les infos glanées sur internet ou sur la télé de la chambre d’hôtel !
À suivre...
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