vendredi 17 septembre 2021

17.09.2021 : Venise 2021-3, romans italiens

 

Il a fait un recueil de vers il y a quelques années, une maladie très répandue dans ces contrées.

(Ernesto Che Guevara, Second voyage à travers l’Amérique latine, 1953-1956, trad. Martine Thomas, Mille et une nuits, 2002)


Voici déjà quatre jours que je suis revenu de Venise, et ça me donne l’impression que ça fait un siècle. D’où sans doute mon vieillissement accéléré. Je reviendrai sur mes impressions de Venise 2021 un prochain jour. Je voudrais simplement parler aujourd’hui de mes lectures vénitiennes, puisque vous savez que je ne peux pas n’empêcher de lire quand je voyage. Et qu’en général, quand je vais dans un pays, je lis non pas, ou pas seulement, des guides de voyage, mais de la littérature du pays, en traduction française quand je ne connais pas la langue. Mais je me suis promis, si je dois repartir là-bas, de progresser un peu en italien. Je suis donc allé à la bibliothèque cet après-midi emprunter L’italien pour les nuls et une méthode orale avec cd. De plus, j’ai rencontré dans le bus en revenant de l’aéroport Bruno, un jeune musicien italien d’une trentaine d’années, professeur au Conservatoire et à la Faculté de musicologie de Bordeaux. On a sympathisé et je vais essayer de lui demander de me donner des cours particuliers, s’il en a le temps !

J’avais emporté à Venise ma liseuse et deux romans sur papier traduits de l’italien. Je les ai lus tous deux et les ai laissés dans la bibliothèque de l’hôtel : comme vous savez aussi, je pense que les livres sont faits pour être lus.

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Pendant le reste du voyage j’ai tiré sur les Indiens, roman de Fabio Geda (Gaïa éd., en poche Liana Levi), peut se lire dès l’adolescence. Emil, jeune roumain de treize ans, est passion par Tex Willer, cow-boy héros de western en B.D (dans lesquelles il a appris l'italien). Il sillonne Turin avec l’intention de retourner en Roumanie rechercher son père, immigré clandestin arrêté à la frontière et détenu dans un camp. Emil fuit. Jusqu'ici, il habitait, avec la compagne de son père, chez un architecte qui leur offrait un beau logement en échange de quelques heures de ménage. Il fuit, car il a donné un gros coup de poing à l'architecte et l'a laissé tout sanguinolent. Devenu seul, Emil cherche aussi à retrouver son grand-père paternel, comédien de rues, qui a disparu, mais qui n’a cessé de lui écrire régulièrement. Il ne l'a jamais vu, mais le comédien ambulant le fait rêver. Emil entame un voyage hasardeux jusqu'à Berlin (d’où vient une lettre de son grand-père) avec un groupe de sympathiques marginaux, puis Toulouse et enfin Madrid où se trouve la troupe du grand-père. Récit d'aventure et de formation donc, le texte est écrit à la première personne, successivement par deux protagonistes, Emil et l’architecte. Chaque récit du garçon est suivi en contrepoint des chapitres de l'architecte. On finit par comprendre leurs motivations. Récit sur l'immigration et ses difficultés, vue à travers les yeux et l’imaginaire d'un jeune garçon,  et aussi sur la générosité émouvante de l’architecte, personnage fragile. C'est un récit picaresque, chaotique, où le jeune héros côtoie toutes sortes de personnages, dans ce voyage initiatique dont Emil sort grandi. Un beau roman.

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Notre agent en Judée, de Franco Mimmi (éd. Gallimard, Folio policier) intéressera davantage les lecteurs de romans historiques que ceux de polars, qui peuvent être les mêmes, moi par exemple. Il s’agit d’une reconstitution des derniers mois de la vie de Jésus. Ponce Pilate, le préfet, est inquiet : les impôts rentrent mal, les zélotes sont menaçants, l'autorité romaine est compromise. Or, Caïphe le grand-prêtre, lui suggère de suivre les agissements d’un certain Jésus, qui prêche la paix, l’amour, la tolérance et la non-violence entre les hommes, et serait susceptible de calmer les Juifs et de leur faire accepter le domination romaine ("Rendez à César ce qui appartient à César"). Ponce Pilate confie à son espion Afranios d'enquêter sur ce Jésus. De son côté, l’empereur Tibère, qui vit à Capri, charge son agent Aduncus d'enquêter secrètement sur la situation et les capacités de Ponce Pilate. Pendant que Jésus parcourt le pays en prêchant et suivi par de plus en plus de disciples, il est contacté par les zélotes, nationalistes juifs qui fomentent une révolte et lui adjoignent Judas, un des leurs comme disciple chargé de le surveiller. De leur côté, Afranios et Aduncus pistent Jésus et pensent en effet qu’il ferait un excellent ami objectif du régime romain, en prêchant la résignation. Ils décident d’agir dans l’ombre, tandis que Judas joue le jeu des zélotes... On a beau connaître l’histoire, on est subjugué par les qualités narratives de l'auteur qui mêle personnages historiques et inventés dans une approche de l'Histoire, celle transcrite dans les Évangiles, mais donnée ici avec force et réalisme, comme si on y était. Les deux agents romains ne pourront pas empêcher la vindicte des Juifs, et en particulier des zélotes, décidés à faire condamner Jésus ! À déconseiller aux fanatiques antichrétiens, mais à conseiller aux lecteurs curieux. Un vrai tour de force.

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Et, comme il me restait encore quatre jours, j’ai trouvé dans ma liseuse un roman d’Antonio Fogazzaro, Le saint. J’avais déjà lu de cet auteur et à Venise aussi, Un petit monde d’autrefois (voir mon blog du 13 septembre 2018) qui m’avait beaucoup plu. 


Pierre Maironi, après beaucoup d'errements sentimentaux (il a aimé une autre femme que la sienne), abandonne le monde après la mort de sa femme dont il se sent coupable. Il se réfugie dans un couvent comme jardinier sous le nom de Benedetto. Sous la surveillance de Dom Clément, un moine moderniste, il prêche une réforme en profondeur du catholicisme. Dom Clément fréquente Jean Selva, un intellectuel qui forme un groupe chargé de rénover la religion en retrouvant la source vive de la foi. Passant pour un saint, Benedetto est chassé du couvent et fuit vers Rome, où il a une audience avec le Pape à qui il conseille d'être compréhensif à l'égard des théologiens modernistes qui cherchent à retrouver cette source. Le Saint a fait connaître le modernisme au grand public, au cœur des grands débats de cette période avant qu’une encyclique de 1907 ne le condamne. C’est donc l’histoire d'un simple fidèle, placée dans une crise culturelle provoquée par l'intrusion du positivisme et des méthodes critiques entrant dans le champ de la théologie et des sciences religieuses. Bien que modéré dans l’analyse, le livre sera mis à l’index par la Papauté. Benedetto est suivi par des personnages nombreux, des malades qui espèrent être guéris, et aussi par la femme qu’il a aimée et n'a jamais perdu de vue, et il mourra dans le dénuement, en odeur de sainteté. J’ai lu avec intérêt, alors même que je ne suis pas expert en religion catholique, ce roman injustement oublié.

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Mais, franchement, mieux vaut lire de la littérature que les infos glanées sur internet ou sur la télé de la chambre d’hôtel ! 

À suivre...


 

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