on ne peut écrire qu’en faisant inconsciemment le pari qu’écrire retardera et même repoussera indéfiniment la mort, que l’écriture, comme la prière, est une sorte de rétrécissement, semblable à la mort, qui conduit non pas à une autre vie, mais à l’élargissement de celle-ci.
(Yvon Rivard, Le dernier chalet, Leméac, 2018)
© Maison de la poésie, Poitiers
Odile Caradec nous a quittés dans la nuit de mardi à mercredi. Ce n’est pas sans une grande émotion que je veux lui dédier ce poème que j’ai écrit en songeant à notre grande amitié.
Elle a eu la gentillesse de bien vouloir m’accueillir chez elle toutes ces dernières années à Poitiers. J’apportais mon drap de couchage (que les campeurs appellent "sac à viande") pour lui éviter de changer les draps. Je restais le plus souvent trois nuits à chaque fois et deux ou trois journées pleines. Je me suis aperçu que pour elle, qui était nonagénaire, le plus dur était de manger toute seule. Tant qu’elle a eu sa voiture, que je pouvais conduire, nous allions manger parfois au restaurant. Mais je lui préparais ses repas aussi, soit en réchauffant les plats faits par sa cuisinière auxiliaire de vie, soit en me mettant moi-même à la cuisine en puisant dans son réfrigérateur-congélateur ou en allant au marché du dimanche matin revenant avec des plats cuisinés asiatiques, qu'elle appréciait beaucoup. Et on mangeait joyeusement avant qu’elle parte siester. Je l’aidais à mettre le couvert ou à défaire la table, elle tenait à participer un peu. Puis je faisais la vaisselle avant de m’allonger pour ma sieste.
Le reste de la journée, je l’emmenais promener dans le parc en bas, et on causait de tout. Elle me racontait ses souvenirs d’enfance et surtout ses années de lycéenne dans un pensionnat catholique pendant les années de guerre (1941-1944) où, connaissant l’allemand, elle servait d’interprète quand les soldats nazis venaient faire une incursion. Nantie d'une licence d’allemand, elle enseigna quelques années avant de se reconvertir comme documentaliste dans un lycée de Poitiers. Et elle eut la joie de voir plusieurs de ses recueils de poèmes publiés en édition bilingue franco-allemand, traduits par Rüdiger Fischer. Je me racontais aussi et nous parlions de notre découverte de la littérature et de la poésie, de l’amour et de l’amitié, de voyages, de cinéma, de musique et même de la mort, qu’elle ne redoutait pas, ayant pleinement vécu.
Je lui citais Gandhi : "Si nous pleurions toutes les morts qui ont lieu dans notre pays, nos yeux seraient à jamais remplis de larmes. Cette pensée devrait nous aider à nous délivrer de la crainte de la mort", et elle acquiesçait. Évidemment le décès de son grand ami poète Georges Bonnet à 101 ans, en février dernier, l’avait beaucoup affectée. Ils se sont rejoints dans l’éternité de nos pensées.
Merci, Odile, tu m’as beaucoup soutenue après le décès de Claire, dont nous parlions souvent. Et ta chaude amitié a illuminé ces douze dernières années. Puissé-je moi-même avoir été pour toi, un petit lampion dans les dernières années de ta vie. Je t’ai beaucoup aimée. À bientôt sur l’autre rive...
L’amie Odile
elle était comme un roc assoiffé de silence
elle ramait sur l’herbe haute de la vie
sa barque vient de toucher terre
les reflets du soleil n’agiteront plus ta chevelure
tes rires ne trancheront plus nos visages
et ta voix ne résonnera plus à notre appel
quel rêve viendra désormais troubler les nuits ?
quelle étoile éclairer nos chemins ?
quel oiseau meubler nos regards ?
le temps nous file entre les doigts
le temps de l’été finissant
qui oubliera de réchauffer l'amitié
l’ombre se fait déchirante
le souvenir hantera nos blessures
vers quel oubli partirons-nous ?
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