Ulysse […] n’est guère obsédé par cette ritournelle du XXIe siècle : "Le monde change ! Il faut l’accepter !" Dans la pensée antique, on ne s’inflige pas ce pensum formulé par Hannah Arendt : "la dégradation obligatoire d’être de son temps".
(Sylvain Tesson, Un été avec Homère, Éd. Des Équateurs, 2018)
place San Marco : pas de Chinois, de Japonais ni d'Américains ou de Russes, au grand désespoir des marchands
Le séjour à Venise cette année a été très différent des années précédentes. Jusqu’à un mois avant le départ, nous n’étions même pas sûrs d’y aller. Il fallait remplir des tas de papiers sur internet : certificat de traçabilité (EU Digital Passenger Location Form : heureusement que Mathieu a été là pour m’aider), autorisation d’entrer en Italie, attestation pour rentrer en France, tous documents rigoureusement inutiles puisqu’ils n’ont été demandés ni aux aéroports de Roissy (lieu du départ), de Venise (lieu d’arrivée et de départ d’Italie), de Bordeaux (lieu de retour an France).
L'île San Giorgio, au fond, vue de San Marco
Après tout, moi aussi, je vais devenir aussi paranoïaque que nos dirigeants : je rends grâce à tous ces fonctionnaires d’aéroport de n’avoir vérifié que le passe sanitaire et d’avoir laissé tomber tous les autres documents. Ils ont autre chose à faire !!! Et tant mieux pour nous… Même si ce que je dis va donner du grain à moudre à tous les fanatiques du flicage complet. Heureusement que derrière tous ces agents chargés du contrôle, il y des humains, et pas des machines.
Un canal
Bref, je suis arrivé entier à Venise, où le fameux passe n’était obligatoire que dans l’hôtel, les transports en commun (et pas les gondoles !), les lieux à visiter (y compris la Biennale d’architecture), les cinémas et théâtres (mais le théâtre Goldoni était fermé : pas de commedia dell’arte cette année, tant pis pour moi). En revanche, dans la rue, le port du masque (féminin en italien : la mascherina) restait facultatif, tant mieux. Car, comme on marche beaucoup à Venise, on grimpe beaucoup d’escaliers (pour franchir les ponts sur les fréquents canaux), ça nous a permis de respirer librement.
un campo presque vide tôt le matin
Mais les ennuis numériques ne faisaient que commencer : cinq jours avant le départ, nous avions reçu des organisateurs de la Mostra une injonction de nous inscrire sur le site boxol.it, pour procéder à la réservation de places de cinéma à faire dans les 72 heures qui précéderaient la projection choisie. J’avais emporté pour ce faire mon petit ordinateur ultra portable (ancêtre de la tablette actuelle) puisque je reste encore aujourd’hui (jusqu’à quand ?) réticent à l’usage du smartphone, dont on devient vite esclave. Je n’ai cependant pas réussi à faire la moindre réservation. Et je n’ai pas été le seul ! Même les usagers assidus de cet engin ont été plusieurs à y renoncer, après avoir passé des heures à essayer. Et le mur du Lido destiné à donner nos impressions sur les films a été intégralement rempli (m’a-t-on dit, car je ne suis pas allé vérifier) de mots durs et d’insultes pour les concepteurs du logiciel.
Didon et sa suivante
Je suis allé aussi à un concert Vivaldi, et pour changer des Quatre saisons, si souvent déjà entendues à Venise, j’ai choisi une soirée concertos, où il y eut, en plus de ceux du musicien vénitien, une sonate guillerette de Rossini et un excellent concerto de Mendelssohn. J’ai énormément marché en ville. Et finalement une des dames du groupe, Christine, m’a dit : « on peut contourner l’histoire des réservations et voir des films, en allant au cinéma (trois salles) près de l’hôtel, ils y projettent des films du festival, et c’est très simple ». Elle m’a demandé de l’accompagner dès le samedi 4 septembre. C’était en effet très simple : seul inconvénient, notre accréditation ne servait à rien, on devait payer à chaque séance. Ce qui fait que j’ai payé le festival en double. Comme j’ai fait des excursions avec Christine j’ai raté, le mardi suivant, la projection de L’événement, le film français qui a obtenu le Lion d’or. Nous étions en excursion à l’île San Giorgio et, à l’heure dite, en train de manger au restaurant.
la petite rue de mon hôtel
Heureusement qu’il ne fallait pas réserver pour tout ! Donc j’ai passé dix jours frais et dispos, sans avoir les inconvénients des forcenés qui ont voulu faire usage de leur accréditation. Parfois, ils arrivaient pleins d’espoir après avoir, croyaient-ils, réussi parfaitement leur réservation, et ils se retrouvaient le bec dans l’eau, car ils avaient dû faire une fausse manœuvre : il ne leur restait plus, pour se consoler, qu’à aller se baigner sur la très belle plage du Lido, et encore fallait-il là aussi montrer patte blanche ! Ou bien, leur siège se trouvait dans la zone plate de la grande salle du Palabiennale, avec des têtes devant eux qui les empêchaient de lire les sous-titres.
ma chambre à l'heure de la sieste
Tandis que nous, dans notre cinéma à cinq minutes à pied de l’hôtel, nous pouvions nous balader entre deux films dans le quartier du Rialto ou dans des endroits peu courus, ou bien en début d’après-midi, faire un petit roupillon dans notre chambre d’hôtel, avant de voir un autre film ou de partir dans des visites de Venise. Un couple de Rochelais, que je vois à Venise depuis 2011, a même décidé de revisiter Venise de fond en comble et de ne voir aucun film, sauf les projections gratuites en plein air et en soirée à l’autre bout de l’île principale, avec l’inconvénient de n’avoir pas de sous-titres, car destinées aux Italiens. Je ne suis pas sûr qu’ils reviendront, comme moi d’ailleurs, si le numérique s’impose comme cette année !
À suivre...
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