Car n’est-il pas urgent de refuser et de combattre la disparition de tout ce qui ne peut pas être chiffré, calculé : la liberté, la fraternité, la dignité, la beauté, la gratuité, l’amour, etc. ?
(Jean-Claude Besson-Girard, La Décroissance, N° 169, mai 2020)
1er mai. Même si on m’a conseillé de remplir une attestation pour aller manifester (on ne sait jamais), je suis allé à la manif du 1er mai, que je n’avais pas pu honorer l’an passé. J’avais mon attestation qui, heureusement, n’a servi à rien. Passant à côté de la cathédrale, j’ai aperçu un campement de SDF devant le portail sud de la cathédrale, preuve si j’en doutais encore, de l’augmentation de pauvreté et aussi, du fait que églises et cathédrales ne sont plus les lieux d’asile qu’ils furent naguère. Triste époque.
J’ai rejoint la manif à son début, place de la République. Je me suis dit : "ils sont venus, ils sont tous là" (enfin pas tous, manquaient à l’appel des représentants de toute la droite, du RN à LREM, en passant par le Modem et les Républicains, ainsi que la gauche classique, PS – que penserait Jean Jaurès de cette absence ? – radicaux et EELV, encore une preuve de la droitisation de la société et de mépris du peuple par nos élites), enfants, mères et pères de famille, jeunes, vieux, handicapés, intermittents, soignants, gilets jaunes, féministes, musiciens, défenseurs de la Palestine opprimée, et c’était bon enfant, et c’était agréable de se balader de groupe en groupe. Mais on sentait la colère sous-jacente… Heureusement la police était absente, ce qui évita les provocations.
Les drapeaux fleurissaient, le rouge dominait, mais on voyait aussi le drapeau originel de la République espagnole dont les tenants souhaitaient une autre constitution que celle léguée par Franco, il y avait aussi des Chiliens qui souhaitent aussi une constitution plus démocratique que celle initiée par Pinochet, il y avait des Kurdes avec leur drapeau et des slogans anti-Erdogan.
Parmi les politiques il n’y avait que l’extrême gauche, du PCF à la France insoumise, en passant par le NPA, Lutte ouvrière, Nouvelle donne et les anars. Parmi les nombreux syndicats présents, la CFDT et la CFTC brillaient par leur courageuse absence. Mais tous les autres étaient là.
En regardant les slogans, j’en ai trouvé un qui m’a plu : MACRON SAIGNEUR DE LA FRANCE. Pas très original pourtant, mais je sens bien le détournement d’un homonyme : SEIGNEUR devient SAIGNEUR. On remarquera que tous les grands, seigneurs, rois, empereurs, puis dirigeants de la République, se sont comportés à la fois comme des seigneurs (châteaux et palais) et comme des saigneurs : la police et la force armée comme garants de l’autorité. Les plus grands seigneurs-saigneurs furent Louis XIV et Napoléon Ier avec leurs guerres incessantes, mais la République n’est pas en reste avec ses deux guerres mondiales et ses guerres coloniales. Heureusement qu’il y eut des réfractaires : "Sous le premier empire, chaque fois qu’on prenait à la France un peu de sa chair pour boucher les trous faits par le canon de l’ennemi, il se trouvait, dans le fond des villages, des fils de paysans qui refusaient de marcher à l’appel du grand empereur", écrivait Jules Vallès dans Les Réfractaires (Plein chant, 1996).
Et le temps était avec nous : pas chaud, mais il ne pleuvait pas, du moins ici. D’après mes calculs, on était environ 3000. Une petite fille de 3-4 ans suivait la manif en marchant sur la bordure du trottoir : elle se débrouillait pour ne pas marcher sur les joints qui séparaient chaque bloc de béton.
À l’année prochaine, et sans masques !
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