Il
apparaît en effet que la disposition naturelle de l’homme veut
qu’il se serve du pouvoir au-delà de ses besoins.
(Alcides
Arguedas, Race de bronze,
trad. Marcelle Auclair et al.,
Plon, 1960)
Jeudi
5 décembre, j’ai repris mon bâton de pèlerin et de manifestant,
heureux de me retrouver au milieu de cette foule, loin des insanités
délivrées par les experts des médias écrits et télévisuels. Une foule où
les jeunes côtoyaient les adultes, les retraités et même les
vieux, les femmes et les hommes, les
pompiers et les hospitaliers, les
professeurs et les étudiants, les
familles avec enfants et les solitaires,
les lycéens et
les chômeurs (reflet de ce qui attend les précédents) car comme le disait un
des slogans lu sur un gilet jaune "La
solidarité est la tendresse des peuples".
Et où trouver cette solidarité
aujourd’hui, à part dans les collectes des banques alimentaires,
les visites faites aux vieux amis et, justement, ces marches que le
pouvoir nous incite à faire, simplement pour faire entendre les cris
et la colère de
ceux qui sont obligés de dire : "Si
la galère était un sport, j’aurais ma place"
(autre slogan de la manif).
La
manif de Poitiers (10000 personnes environ) était bien encadrée, il
n’y a pas eu de débordements, même si la colère était réelle
(surtout chez les jeunes qui craignent d’être les dindons de la
farce en cours, avec des retraites qui seront souvent divisées par
1,5 ou 2 d'ici trente ans) : la police est restée discrète, malgré les gilets
jaunes et leurs slogans : "Fâchée,
mais pas facho", "MÉTRO
BOULOT CAVEAU ? » (allusion au
fait qu’à peine à la retraite, on sera tout près du cimetière,
comme à l’époque de la retraite à 65 ans), et le merveilleux
"Pôle emploi : t’as de beaux
vieux, tu sais !" (allusion au
fait que, vu l’étroitesse des futures retraites, on devra, malgré
son âge avancé, retourner à Pôle emploi pour trouver des petits
boulots nécessaires pour compléter les dites retraites).
Mais
ça ne faisait rien, on était content d’être ensemble, joyeux même comme les femmes
d’âge mûr qui avaient enfin l’impression de cesser d’être
transparentes ou invisibles, et appréciaient certains slogans comme
"La révolution sera la floraison de
l’humanité comme l’amour est la floraison du cœur".
Ceux qui tirent le diable par la queue
étaient ravis de lire sur des pancartes "LIBERTAIRE
ÉGALITAIRE FRATERNITAIRE", autre
manière de dire que, puisqu’on battait le pavé, on
redressait la
tête et que, peut-être, on éloignait un
tant soit peu le spectre du pavé et
de la mouise !
Car
on n’ignorait pas que, autre slogan très lu, si "En
haut on se gave sans scrupule. En bas on en bave sans pécule !",
ce petit poème devrait ouvrir les yeux de ceux qui veulent continuer
à demeurer nos maîtres… Car "nous, les petits, les obscurs,
les sans-grades, / Nous qui marchions fourbus, blessés, crottés,
malades, / Sans espoir de duchés ni de dotations, /Nous qui
marchions toujours et jamais n’avancions ; /Trop simples et
trop gueux pour que l’espoir nous berne", nous commençons à
trouver notre voie et notre voix, celle de la solidarité et de la
fraternité, au moins le temps d’une manifestation, et
nous savons maintenant qu’en haut, là où on se gave sans
scrupule, on a tellement peur qu’on n’a rien trouvé de mieux qu'une féroce répression policière, régression qui nous ramène aux beaux temps
de Monsieur Thiers, fossoyeur de la Commune de 1871.
Et,
reprenant la phrase du marquis de Sade (La
philosophie dans le boudoir)
"encore une fois, de quel droit celui qui n'a rien
s'enchaînera-t-il sous un pacte qui ne protège que celui qui a
tout ?", au moins, en ces temps incertains, nos gilets
jaunes, malgré leur orthographe parfois incertaine (mais bien
moins pourtant que celle des copies de candidats aux concours que je
corrigeais dans les années 90, malgré leur Bac + 3 à + 5), qui,
dans les ronds-points et pendant leurs réunions, ont réappris à
lire, à s’informer et à se cultiver, ne sont plus près à
avaler les couleuvres d’un gouvernement plus que menteur. Et nous
continuerons à les soutenir !
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